Un nouveau modèle d’affaires se dessine à l’horizon. Son objectif : sortir la terre de la spéculation foncière et en assurer sa vocation nourricière à perpétuité.
Il s’agit de la fiducie d’utilité sociale agricole, mieux connue sous l’acronyme FUSA. Dans ce modèle (une entité juridique sans but lucratif), la propriété du bien, en l’occurrence la terre, n’appartient plus à personne; elle n’existe que pour réaliser la mission qui lui est confiée. Les entreprises agricoles qui cultivent ces terres deviennent des usagers (superficiaires, locataires ou usufruitiers), avec la certitude d’y avoir accès tout au long de leur existence, pourvu qu’ils en respectent la mission.
Il y a au Québec neuf FUSA en activité, représentant à ce jour 300 ha. Suivent 10 projets potentiels, occupant près de 2500 ha. Pour mieux comprendre cette manière nouvelle d’accéder à la terre, le Coopérateur s’est entretenu avec Hubert Lavallée, président de l’organisme Protec-Terre, qui en fait la promotion depuis plus de 20 ans, et Marc-André Côté, directeur général de la Fiducie agricole UPA-Fondaction et de la Fiducie agricole REM.
La propriété des terres
L’agriculture de demain est-elle appelée à laisser derrière elle la propriété individuelle de la terre? Pour Hubert Lavallée, la spéculation foncière, telle qu’elle s’exerce actuellement, menace l’accès à la terre pour la relève. Dans cette perspective, la propriété individuelle des terres ne garantit aucunement la sécurité alimentaire de la société. « La location de la terre fait déjà partie de la réalité agricole québécoise, explique Marc-André Côté. Selon les données du recensement de 2016, 38 % des fermes ont eu recours à la location pour accroître leur superficie en culture en 2016, comparativement à 18 % en 1976. La présence croissante d’investisseurs acquérant des terres agricoles explique en partie ce phénomène. Ce type de location offre, la plupart du temps, des baux à court terme sans aucune garantie de renouvellement. Or, louer un fonds de terre détenu par une FUSA permet d’envisager un projet agricole sur du long terme, sans aucun risque de subir les effets de la spéculation foncière. Pourquoi? Parce qu’une fois acquis par la FUSA, le fonds de terre n’est plus soumis au marché. »
Qu’est-ce qu’une FUSA?
Sans entrer dans tous les détails techniques, précisons que la fiducie est un concept légal inscrit au Code civil québécois. « Au moment de sa refonte, dans les années 1990, s’y est ajoutée une nouvelle forme de fiducie, soit la fiducie d’utilité sociale [FUS], explique Hubert Lavallée. Contrairement aux fiducies privées ou familiales, c’est une entité sans but lucratif ayant l’obligation d’apporter un bénéfice à la communauté, et non simplement à des individus privés. Lorsqu’une FUSA est créée, c’est pour acquérir une ou plusieurs terres dans le but d’assurer à perpétuité leur vocation agricole, dans le respect des écosystèmes et au bénéfice de la société. »
Comment fonctionne la gouvernance
Les FUSA constituées avec le soutien de Protec-Terre ont un point commun : le conseil de fiduciaires est composé de représentants de la communauté et des agriculteurs-usagers, qui ensemble auront fait cheminer un projet commun. « Notre vision, chez Protec-Terre, est de faire en sorte que l’usage du fonds de terre qui cheminera vers une FUSA soit un projet collectif, gagnant pour les agriculteurs-usagers, gagnant pour les collectivités et gagnant pour l’environnement, explique Hubert Lavallée. Le point de départ est la volonté d’un ou d’une propriétaire de donner ou de vendre sa terre à une FUSA dans le but d’en garder sa vocation agricole à perpétuité, selon les principes d’une agriculture respectueuse des sols et de l’environnement. Notre rôle est d’aider à la mise en place d’un comité de démarrage, dont le mandat sera de réfléchir aux modalités d’usage de la terre, et ce, à perpétuité. Très souvent, ce comité devra trouver l’argent pour acquérir le fonds de terre, s’il s’agit d’une vente, attirer des aspirants agriculteurs et, par la suite, faire les démarches pour créer la FUSA. C’est à ce comité que revient le mandat de nommer les membres du conseil fiduciaire. » On comprendra que, dans cette perspective, les FUSA sont des projets communautaires associés à une collectivité.
« La Fiducie agricole UPA-Fondaction est également d’utilité sociale, précise son directeur général. Mais plutôt que d’être associée à un lot particulier, elle couvre tout le territoire du Québec afin de réduire ses frais de gestion. Cela n’empêche pas les locataires d’avoir leur projet bien à eux, puisqu’une fois choisie, cette FUSA n’intervient pas dans la gestion des entreprises de ses locataires. » La création d’UPA-Fondaction n’a pas suivi le même chemin que celle des FUSA encadrées par Protec-Terre. Elle est le fruit d’une réflexion faite sur plusieurs années au sein de l’UPA et de Fondaction pour faciliter l’accès à la terre à la nouvelle génération. « En s’associant à Fondaction, la fiducie dispose d’une ligne de crédit lui permettant d’acquérir des terres et mettre en place des projets », souligne Marc-André Côté. Comme il est écrit sur son site Internet, Fondaction est un fonds entièrement et résolument engagé en faveur du développement durable. À l’œuvre depuis deux ans, la Fiducie agricole UPA-Fondaction et la Fiducie agricole REM travaillent actuellement sur cinq projets un peu partout au Québec.
À quand les avantages fiscaux?
Pour Hubert Lavallée, le volet de prise en charge par la communauté autour des terres gérées en FUSA est important et devra être encouragé. « Dans les faits, le processus est facilitant lorsque la terre est donnée, en tout ou en partie, dit-il. Toutefois, ce n’est pas toujours le cas. Il y a actuellement des agriculteurs et agricultrices qui portent en eux ce souhait de voir leur terre appartenir à une FUSA, mais qui ne peuvent pas en faire don, car elle représente leur fonds de retraite. » Pour Marc-André Côté, si des avantages fiscaux sont accordés aux particuliers pour les dons de milieux naturels au Canada, rien n’empêcherait de faire de même pour les terres agricoles vendues au rabais. Il ne manque que la reconnaissance de ce modèle par l’Agence du revenu du Canada.
Penser l’agriculture autrement
Les deux promoteurs de FUSA sont du même avis : « Il faudra apprendre à penser l’agriculture autrement. C’est un changement de paradigme, de modèle, d’idéal, dans lequel la viabilité des entreprises agricoles ne passera pas nécessairement par la propriété individuelle du fonds de terre. » Pour eux, le modèle de la FUSA est souhaité et souhaitable. C’est une question de sécurité et de qualité alimentaires.
(Source : Entre l’investisseur et l’agriculteur, un nouveau type de propriétaire en milieu agricole : la fiducie d’utilité sociale, conférence présentée par Marc‑André Côté dans le cadre des Perspectives agroalimentaires du CRAAQ, 26 avril 2022.)