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Comment Donald Trump a acheté le vote des fermiers américains

Photo : Christopher Gibbs (crédit : Christopher Gibbs).

Après avoir voté pour Donald Trump en 2016, Christopher Gibbs, un producteur agricole de l’Ohio et ex-employé du département américain de l’Agriculture, en est aujourd’hui un virulent critique, notamment sur les ondes du réseau CNN. Il a accordé au Coopérateur  une longue entrevue téléphonique. 

« Donald Trump a acheté le vote des fermiers en se servant d’un fond discrétionnaire du département américain de l’Agriculture (USDA) », affirme Christopher Gibbs, un producteur agricole de l’Ohio et ex-employé du USDA.

Pions d’une guerre tarifaire déclenchée en 2018 par le président Donald Trump avec ses principaux partenaires commerciaux, dont la Chine, les fermiers américains bénéficient depuis d’une aide ad hoc totalisant aujourd’hui 46,7 G$US en comptant celles octroyées pour compenser les pertes dues à la pandémie. 

En 2020, ces compensations représenteront un tiers du revenu net des agriculteurs américains, selon un récent rapport du Food & Agriculture Policy Research Institute (FAPRI).

« Dans mon cas, ces aides vont représenter plus de la moitié de mon revenu net cette année. C’est insoutenable à moyen et long terme ! » s’insurge Gibbs. 

Ce producteur de maïs, de soya, et éleveur de bœufs a également été directeur de la Farm Service Agency du USDA en Ohio, une agence responsable d’administrer les programmes de soutien aux agriculteurs dans cet État baromètre des élections présidentielles. 

Ces programmes de soutien sont votés par le Congrès tous les 5 à 7 ans avec l’adoption de la Loi agricole américaine ou Farm Bill, qui est la pierre d’assise de l’agriculture de la première puissance agricole et militaire du monde. 

Washington considère l’agriculture comme une question de sécurité nationale et la dernière Loi sur l’agriculture a été signée par le président Trump en décembre 2018 avec un budget éléphantesque de 428 G$US sur cinq ans (2019-2023).

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Photo : Carte des États-Unis avec l’Ohio en rouge (Source : Wikipedia).

Outrepasser le Congrès

Afin de dédommager les agriculteurs pour ses guerres commerciales et sa gestion de la pandémie, le président Trump, soutient Gibbs, a contourné l’approbation du Congrès en puisant à deux mains dans les coffres d’une autre agence du USDA, la Commodity Credit Corporation (CCC). 

Cette entité dispose d’un budget annuel discrétionnaire pouvant atteindre 30 G$US, par exemple, pour soutenir les agriculteurs en cas de catastrophe naturelle. Du coup, le président a créé un « Farm Bill de l’ombre » pour assujettir les producteurs à sa volonté. Et ces derniers risquent d’en payer le prix. 

« Que vont dire les contribuables des aides ad hoc du président Trump distribuées aux fermiers lors de l’adoption du prochain Farm Bill ? Ils vont dire “vous avez touché près de 50 G$US. Hé bien, c’est à notre tour d’avoir des programmes sociaux ou des infrastructures !” » soutient Gibbs.

Peur du président 

D’après Gibbs, les dirigeants des associations de producteurs de commodités — porc, blé, soya, maïs, etc. — savent que ce « Farm Bill de l’ombre » est inadmissible « mais ils sont restés muets, parce qu’ils ont voulu préserver l’accès à la Maison-Blanche afin de ne pas mettre en péril le prochain budget de la Loi sur l’agriculture. »

Ils ont agi ainsi « par peur des réactions du président, dont le modus operandi avec ses partenaires d’affaires et commerciaux est de les menacer pour obtenir ce qu’il veut », explique Gibbs, également membre de l’Ohio Farm Bureau. Le Farm Bureau est la plus puissante organisation de producteurs agricoles aux États-Unis et son appui au président Trump est inconditionnel. 

Selon Gibbs, le président américain a acheté le silence des dirigeants des grandes associations agricoles en leur octroyant 300 millions $US, en 2018 et 2019, toujours en puisant dans le budget de la CCC. « Si on dépose 37 M$ dans votre compte en banque, comme c’est le cas par exemple de l’American Soya Bean Association, vous vous la fermez », dit-il.

Pour qui votera l’Ohio ?

« Il y a trois semaines, je vous aurais dit Donald Trump. Mais aujourd’hui, il est nez à nez avec Joe Biden », croit Gibbs. 

En 2016, le producteur dit avoir voté pour le milliardaire de l’immobilier, parce qu’il incarnait les valeurs du monde rural du Midwest « le dur labeur, les affaires, moins de taxes, la religion, le droit au port d’armes, la perte du pouvoir d’achat et la protection de la classe moyenne », une dimension ignorée du parti démocrate à l’époque, selon lui. 

Quatre ans plus tard, le démocrate Joe Biden promet un vaste chantier de reconstruction du monde rural, soit un investissement de 400 G$, pour verdir l’économie américaine et lutter contre les changements climatiques. Il compte faire appel aux fermiers que ce soit pour l’augmentation de la production de biocarburants ou la captation de carbone. « Ce message est prometteur, mais malheureusement il ne percole pas dans nos campagnes », indique Gibbs.

Selon un sondage réalisé par Farm Future, un média agricole, les trois quarts des gros producteurs ont l’intention de voter une deuxième fois en faveur du président Trump. 

Ce ne sera pas le cas de Christopher Gribbs.

Nicolas Mesly

QUI EST NICOLAS MESLY
Nicolas Mesly est reporter, photographe et agronome (agroéconomiste). Les associations de presse du Canada ont récompensé son travail journalistique et photographique à plus de vingt reprises. Il est chroniqueur économique, entre autres à la radio de la Société Radio-Canada.

nicolas@nicolasmesly.com

QUI EST NICOLAS MESLY
Nicolas Mesly est reporter, photographe et agronome (agroéconomiste). Les associations de presse du Canada ont récompensé son travail journalistique et photographique à plus de vingt reprises. Il est chroniqueur économique, entre autres à la radio de la Société Radio-Canada.