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Champ libre – La consolidation agricole : entre inévitabilité et vigilance

Il suffit de prononcer le mot « consolidation » pour voir naître une certaine inquiétude dans le monde agricole. On pense aussitôt à concentration, fusion, intégration… et, presque automatiquement, au modèle américain avec ses mégafermes à perte de vue.

Ce modèle, nous le regardons souvent avec un brin de méfiance, voire de rejet. Et pourtant, que cela nous plaise ou non, la consolidation est bien en marche, ici aussi.

Prenons un instant pour regarder les chiffres : selon le MAPAQ, basé sur une extraction de données de Statistiques Canada, entre 2011 et 2021, le Québec a vu disparaître 13 % de ses exploitations agricoles. Dans le secteur laitier, la chute est encore plus marquée : 26 % de fermes en moins… Paradoxalement, la production de lait est en hausse de 24 % durant la même période. Moins de fermes, moins de vaches… mais plus de lait. C’est ça, la consolidation.

Alors, faut-il s’en alarmer? Pas forcément. Il faut plutôt la comprendre, la mesurer, et surtout, l'encadrer.

On peut se demander : pourquoi certaines entreprises grandissent pendant que d’autres disparaissent? Plusieurs facteurs entrent en ligne de compte, et parmi eux, la productivité. Les données des dernières années montrent une réalité préoccupante : la productivité des entreprises agricoles québécoises est non seulement inférieure à celle du reste du Canada, mais elle est en plus en déclin par rapport à 2014.

Un autre facteur est l’écart grandissant entre les entreprises les plus performantes et celles qui peinent à survivre. Comme le dit l’adage, il faut de l’argent pour faire de l’argent. Les entreprises financièrement solides peuvent se permettre d’innover, de prendre des risques calculés, d’investir… et de croître. Elles bénéficient aussi d’un meilleur accès au crédit, ce qui facilite l’achat de terres ou d’équipements, et donc, leur expansion.

Le BioClips+ de 20231 du MAPAQ est très clair sur ce point : dans les quatre principales productions agricoles du Québec, les plus grandes entreprises affichaient une meilleure productivité du capital. Autrement dit, leurs actifs sont mieux utilisés pour générer des revenus. Les fameuses économies d’échelle font leur œuvre.  Si, dans le secteur laitier, cette augmentation de productivité est plus modeste, dans le secteur porcin c’est une tout autre réalité!

Graphique 1


Attention toutefois. Si la consolidation peut améliorer l'efficacité tout en favorisant l'accès à la technologie et à l’innovation, elle n’est pas sans conséquence sociale. Moins de fermes, c’est aussi moins de familles agricoles, moins de diversité dans les campagnes, moins de vie dans les villages. La terre change de mains, se concentre, et l’équilibre rural se fragilise.

Alors que faire?

Peut-être qu’il faut cesser de voir la consolidation comme un mal absolu ou une fatalité. Elle est là. Elle continuera. Mais nous avons les moyens d’en orienter les effets. Si nous voulons préserver une agriculture vivante, familiale, enracinée dans ses régions, il faudra conjuguer productivité et diversité. Rentabilité et communauté.

Bref, la vraie question n’est pas de savoir si la consolidation est bonne ou mauvaise. Demandons-nous plutôt : quels choix ferons-nous pour qu’elle serve l’agriculture que nous voulons demain?

1 « Analyse de performance financière des entreprises agricoles des cinq principales productions du Québec — 2011 à 2021 », BioClips+, décembre 2023, vol. 24.
Les propos exprimés dans cette chronique n’engagent que son auteur.
Photo : iStock.com | IMNATURE

Pascal Thériault

Pascal Thériault est agronome et dirige le programme de gestion et technologies d’entreprise agricole au Campus Macdonald de l’Université McGill.

Pascal Thériault est agronome et dirige le programme de gestion et technologies d’entreprise agricole au Campus Macdonald de l’Université McGill.