Le bras de fer se poursuit aux Pays-Bas entre le gouvernement et ses producteurs agricoles. En 2023, les leaders politiques tenteront de convaincre quelque 3 000 fermes, considérées comme de grands émetteurs, de réduire en partie ou en totalité leurs émissions d’azote.
L’objectif du gouvernement est de convaincre le plus de gens possible à quitter le secteur volontairement. Ainsi, les agriculteurs se verront offrir un plan de rachat; une offre en vigueur jusqu’à la fin de l’année seulement.
Dans un échange avec le Coopérateur, le ministère de l’Agriculture précise sa vision : « Réduire les émissions d’azote peut se faire en délocalisant, en innovant, en passant à un autre type d’activité (avec moins ou pas de bétail et donc moins d’émissions d’azote) ou en arrêtant. À cette fin, un régime de résiliation temporaire et unique sera disponible pour les entrepreneurs qui sont des émetteurs de pointe. »
Le pays compte environ 53 000 exploitations agricoles. Les fermes visées par cette politique sont surtout des élevages laitiers et porcins.
Objectifs ambitieux et controversés
L’Association néerlandaise de l’agriculture et de l’horticulture (LTO), qui représente 35 000 producteurs, participe aux discussions. À l’été 2022, des pourparlers impliquant le syndicat avait donner lieu à quelques avancées, mais « beaucoup de désaccords demeurent sur le calendrier et les objectifs », précise le syndicat par courriel.
On se souviendra qu’en 2022, la proposition gouvernementale avait soulevé la colère des agriculteurs qui ont manifesté en bloquant des autoroutes, en déversant du fumier et des déchets, en incendiant des bottes de paille et manifestant devant le domicile de plusieurs responsables politiques.
Performance = pollution
L’agriculture aux Pays-Bas est reconnue pour sa performance. Grâce à son modèle agricole, ce petit pays est le deuxième plus grand exportateur du monde de produits alimentaires, juste après les États-Unis.*
Aujourd’hui, les Pays-Bas est un des plus gros émetteurs de gaz à effet de serre en Europe.**
En tant que membre de l’Union européenne (UE), le gouvernement a été forcé d’agir rapidement pour répondre aux obligations européennes — politiques et légales — en matière de réduction des réductions d’émissions de gaz à effet de serre.
« Les Pays-Bas approuvent les objectifs du Pacte vert de l’Union européenne, qui sont conformes à notre propre politique ambitieuse en matière d’environnement, de climat, d’azote, de biodiversité et de rendre le système alimentaire plus durable. Le gouvernement actuel vise à rétablir l’équilibre grâce au programme national pour les zones rurales qui est soutenu par un fonds de transition de 24,3 milliards d’euros », précise le ministère par courriel.
Objectifs irréalistes?
Pour le syndicat des agriculteurs LTO, les visées du gouvernement ne sont pas réalistes.
« Les premières propositions du gouvernement comprenaient une carte affichant les zones où une réduction des émissions allant jusqu'à 95 % en 2030 était nécessaire, avec des régions entières confrontées à des objectifs de réduction de 70 %. Tout cela devrait représenter une réduction de 50 % au niveau national en 2030, ce qui est tout simplement irréalisable et aura des effets désastreux non seulement sur l'agriculture, mais aussi sur la viabilité économique, sociale et culturelle des Pays-Bas ruraux », précise le syndicat par courriel.
Après des mois de discussions difficiles, les agriculteurs demandent au gouvernement d’adopter une approche plus globale et de cesser de se concentrer sur la réduction d’azote pour laisser plus de place à l’innovation grâce à un programme national.
« Notre objectif sera d'essayer de parvenir à un accord avec le secteur agricole et le gouvernement. Cet Accord agricole (Landbouwakkoord, en néerlandais) ne devrait pas seulement se concentrer sur l'azote, mais aussi sur les autres domaines dans lesquels les agriculteurs sont confrontés à des objectifs et des défis : le climat, la qualité de l'eau, la capacité de gain et, le plus important, une véritable perspective pour le secteur à long terme. »
Obligations légales et menaces des tribunaux
Pourquoi un tournant si radical chez le deuxième plus important exportateur alimentaire mondial?
La situation s’explique en grande partie par la menace des tribunaux et la possibilité de sanctions économiques. En 1991, l’Union européenne adoptait La directive européenne sur les nitrates visant à protéger la qualité de l’eau dans toute l’Europe en empêchant les nitrates d’origine agricole de polluer les eaux souterraines et de surface et en encourageant l’utilisation de bonnes pratiques agricoles.
À l’époque, des règles strictes de diminution des émissions d’azote avaient été imposées aux pays membres. Mais les Pays-Bas, alors en plein essor agricole, avaient demandé et obtenu des dérogations. Ils ont donc continué à produire intensément, jusqu’à devenir le deuxième exportateur mondial de produits agricoles, derrière les États-Unis.
Récemment, en 2019, un bataille juridique impliquant le gouvernement néerlandais s’est conclue par une condamnation de l’État pour inaction climatique et non-respect de leurs obligations européennes. Le jugement leur imposait de faire de réels efforts en matière de réduction de gaz à effet de serre.
Le Pacte vert et la Loi européenne sur le climat
Le Pacte vert pour l'Europe est la stratégie mise en œuvre par l'Union européenne pour atteindre la neutralité climatique d'ici à 2050. Mais en vertu de la Loi européenne sur le climat, l’ambition politique d'atteindre la neutralité climatique à l'horizon 2050 devient une obligation juridique pour les membres de l’UE. Ainsi, l’objectif de réduire les émissions nettes de gaz à effet de serre d'au moins 55 % d'ici à 2030 par rapport aux niveaux de 1990 est juridiquement contraignant pour l'Union Européenne et ses États membres.
C’est aussi dans ce contexte politique et juridique que le gouvernement des Pays-Bas a déployé son plan national de réduction des émissions azotées qui vise la réduction de 50% des émissions d’azote d’ici 2030.
Redéfinir tout le secteur agricole
Malgré les réformes envisagées, le pays continuera d’être un exportateur non seulement en matière de production, mais aussi en termes de savoir et d’innovation, précise le ministère de l’Agriculture.
« En raison des défis auxquels nous sommes confrontés et du point de vue du développement du marché, la taille du secteur agricole va progressivement diminuer. Avec nos agriculteurs (ainsi que les supermarchés, les banques et d’autres maillons de la chaîne alimentaire), nous nous dirigeons vers un secteur agricole qui a une capacité de gain économiquement viable et qui relève les défis auxquels nous sommes confrontés en termes d’azote, d’eau, climat, etc. »
* « Ces résultats sont toutefois à nuancer, la réexportation des marchandises faisant partie intégrante du bilan commercial néerlandais (effet Rotterdam) ». Source : Les politiques agricoles à travers le monde.
** Source : Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques