
Le ton enthousiaste de l’économiste en chef du Département américain de l’agriculture, Seth Meyer, contrastait avec les chiffres dévoilés lors du 101e forum sur les perspectives agroalimentaires 2025 tenu les 27 et 28 février derniers à Arlington, en Virginie.
L’événement attire le gratin agricole de la planète — secrétaires commerciaux d’ambassades, consultants, hommes d’affaires, économistes, agriculteurs, fonctionnaires, etc. — pour connaître l’état de l’agriculture de la première puissance agricole et militaire de la planète.
En 2025, plus du tiers du revenu des agriculteurs américains soit 180 milliards de dollars américains proviendra des aides directes de Washington, dont des aides d’urgence dues à la mauvaise humeur de Dame nature et à des indemnités du programme fédéral d’assurances des commodités, estime Seth Meyer.

Sous le premier mandat Donald Trump, en 2020, ces aides ont représenté la moitié de ce revenu pour pallier la guerre commerciale avec la Chine et ensuite aux pertes encourues par la COVID-19.
En plus des aides d’urgence, l’économiste attribue la situation actuelle entre autres aux bas prix du maïs et du soya ces trois dernières années. Ces deux productions représentent 50 % des revenus des céréaliers américains. Il prévoit que les revenus provenant des productions de bœuf et d’œufs vont diminuer par rapport à 2024 et que ceux des producteurs de lait, de porcs et de poulets vont légèrement augmenter.
Record historique du déficit commercial agroalimentaire
Depuis 2022 l’écart se creuse entre les exportations et les importations agricoles de l’Oncle Sam. Seth Meyer prévoit qu’en 2025 les importations se chiffreront à 219,5 milliards de dollars américains et les exportations de 170,5 milliards USD. pour un déficit historique de près de 50 milliards USD.
Selon l’économiste, ce déficit est en partie attribuable à la force du dollar et se creuse entre les produits transformés à haute valeur ajoutée comme les produits laitiers, la viande, les boissons, les fruits et légumes et les commodités comme les grains, les oléagineux, le coton ou le tabac.
En ouverture du forum, Gregg Doud, l’ancien négociateur en chef des accords commerciaux en agriculture sous la première présidence de Donald Trump et aujourd’hui président de la National Milk Producers Federation (NMPF) disait en résumé, « Nous devons nous éloigner de la production de commodités pour fabriquer des produits transformés comme le parmesan du Wisconsin ».
Ce dernier a offert un rapide tour des conditions de marchés et de concurrence pour les denrées américaines : au Mexique, au Brésil, en Inde, au Japon, en Chine, tout en prenant l’Union européenne en grippe : « Un marché protectionniste depuis 37 ans où nous avons un déficit commercial de 23,6 milliards USD, réfractaire à nos technologies GM, et où il est impossible de faire des affaires », a-t-il dit en substance.
Pas un mot sur le Canada. Gregg Doud a toutefois fait allusion aux investissements de 8 milliards de dollars dans l’industrie laitière américaine au cours des trois dernières années et que le défi, dans le monde concurrentiel d’aujourd’hui, « est de négocier les lignes tarifaires ligne par ligne » afin de gagner des parts de marché.
Gregg Doud n’a également pas pipé mot sur la menace tarifaire de 25 % du président Trump sur le commerce et des représailles potentielles sur la demande de denrées américaines alors que le Canada, le Mexique et la Chine constituent à eux seuls cinquante pour cent des exportations agricoles américaines. (Le président Trump a mis sa menace à exécution le 4 mars en imposant une première salve de tarifs de 25 % douaniers sur les biens importés du Canada et du Mexique.)

L’allocution de Brook Rollins
En selle au poste de Secrétaire à l’agriculture depuis à peine deux semaines, Brook Rollins, fondatrice du groupe de réflexion America First Policy Institute, est une inconditionnelle du président Trump. « Nous (le président et moi) n’en attendons pas moins et nous avons peu de patience autre que d’obtenir un succès très rapide pour obtenir un accord équitable pour l’agriculture américaine », a-t-elle dit.
Brook Rollins a fait acte de présence en diffusion web lors de la deuxième journée du forum.
Cette dernière est rattrapée par le prix record des œufs, près de 9,00 USD la douzaine, alors que le cheptel de volailles du pays est décimé par la grippe aviaire. Une situation qui contribue à gonfler la facture d’épicerie des ménages américains. L’inflation du prix du panier d’épicerie, qui a contribué à la défaite électorale du tandem démocrate Biden/Harris, a déjà grimpé à près de 14 % en 2022-2023. Elle est aujourd’hui sous la barre des 2 %, mais cela ne signifie pas que la famille américaine moyenne a plus d’argent dans sa poche.
Par ailleurs, la secrétaire Rollins s’est engagée à ce que l’aide d’urgence de 31 milliards de dollars soit acheminée aux agriculteurs « à la vitesse Trump » avant le 21 mars, date butoir exigée par le Congrès.
Quant à la déportation massive de plus de dix millions d’immigrants illégaux promise par le président, dont plusieurs récoltent les fruits et légumes et traient les vaches des producteurs américains. « Je réalise que la main-d’œuvre est un sujet préoccupant dans la communauté agricole. Écoutez, personne mieux placé que le président Trump comprend les défis que cela représente pour vous et je vais être là pour lui rappeler », a-t-elle indiqué.
(Selon Seth Meyer, le poste de dépenses le plus important à la ferme en 2025 est la main-d’œuvre, avant l’achat de bétail ou de volailles, les semences, les taxes foncières ou le prix de location des terres)
Inquiétude chez les fonctionnaires et les agriculteurs
Durant l’allocution de Brook Rollins, de nombreuses questions ont été envoyées par les quelque mille participants en ligne. Le personnel du Département de l’agriculture craint de subir le sort de l’Agence américaine d’aide humanitaire (USAID) par Elon Musk. Le multimilliardaire chargé par le président Trump d’éviscérer la fonction publique fédérale a congédié pour de bon ou temporairement quelque 5000 employés et contractants de l’USAID à Washington et autour du globe. L’agence œuvre auprès des populations les plus démunies dans 120 pays.
Le Département américain de l’agriculture emploie 100 000 personnes et le personnel de ses agences, réparties dans plus 4500 bureaux dans le monde rural américain, administre des programmes clés allant du crédit, du soutien aux revenus, au prix des denrées, à la sécurité alimentaire, à la prévention de pandémie, d’assistance en cas de catastrophe naturelle, de conservation des sols, etc. Sur le fil conversationnel, on pouvait lire :
- Allez-vous contrecarrer publiquement le narratif qui vilipende les employés fédéraux et vous engager à sécuriser les emplois d’analystes des agences du Département de l’agriculture (NASS, ERS, ARS) qui fournissent des analyses aux agriculteurs, aux communautés rurales et aux consommateurs ?
- Est-ce que le Département de l’agriculture va continuer d’encourager la santé des sols et promouvoir par exemple le semis direct ?
Aucune de ces questions n’a été relevée par l’économiste en chef qui agissait en maître de cérémonie. Seth Meyer sera conférencier aux Perspectives agroalimentaires prévues le 23 avril prochain à Drummondville.
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