La technologie ThermoSem semble presque trop belle pour être vraie. Simple, efficace, viable, sans produits phytosanitaires. Des considérations logistiques et l’état des sols freinent toutefois son adoption.
D’abord, est-ce que le procédé ThermoSem fonctionne au Québec? Sollio Agriculture démontre depuis quelques années déjà un intérêt pour cette technologie qui a été testée par la Ferme de recherche non pas une, mais bien trois fois, soit en 2012, en 2013 et, plus récemment, en 2022.
Chaque test s’est révélé probant, d'après les résultats que Lucie Kablan, directrice à l'Innovation chez Sollio Agriculture, a pu analyser. Entre les semences témoins, traitées chimiquement ou traitées à la vapeur, celles qui ont bénéficié de la technologie ThermoSem étaient en moyenne aussi efficaces que celles traitées par produits phytosanitaires. En 2022, le traitement thermique a entraîné un rendement similaire à celui du fongicide (voir Tableau 1).
Des sols en santé pour des semences traitées à la vapeur
Il n’est cependant pas dit que tous les sols accueilleraient amicalement ces semences, puisque plusieurs d’entre eux conservent en leur sein des parasites qui peuvent provoquer l’éclosion de maladies. Autrement dit, même si la semence est saine, encore faudrait-il que le sol le soit également.
L’Évaluation des maladies racinaires des céréales et du soya du Québec, une étude faite par le Centre de recherche sur les grains (CÉROM) entre 2017 et 2019, en partenariat avec Sollio Groupe Coopératif, visait à connaître l’ampleur des maladies racinaires du soya et des céréales à paille dans les régions agricoles du Québec et à établir des liens entre les conditions de champ, les pratiques culturales et les variables de maladies racinaires et de rendement.
« La monoculture, qui entraîne la dégradation de la structure et de la qualité du sol par la perte de matière organique, conduit à une sensibilité accrue aux maladies des racines », peut-on lire dans le rapport. Diverses méthodes culturales sont présentées pour minimiser l’impact de ces maladies, notamment :
- Des semences saines depuis la récolte (sélection et traitement de semence);
- Des pratiques culturales qui aident à rompre les cycles des maladies (une bonne rotation de culture);
- Des cultivars résistants;
- Des terrains adéquats (bon drainage, bon égouttement);
- Une bonne date de semis (selon la culture).
Les conditions météorologiques peuvent bien sûr avoir un impact. La saison 2017, plus pluvieuse, a été plus propice aux maladies racinaires que la saison 2018, ce qui a eu un effet par exemple dans le rendement en soya, toujours d’après le rapport.
Les maladies racinaires sont l’un des grands problèmes du secteur agricole au Canada. Alors que les fongicides font effet directement dans le sol, les semences traitées à la vapeur ne peuvent agir à ce niveau. Pour que la technologie soit vraiment efficace, il faudrait donc que s’accordent au traitement à la vapeur les conditions pédologiques et climatiques et, surtout, les pratiques culturales mises en place.
Frida Dalemar, directrice générale chez Lantmännen BioAgri, précise par ailleurs qu’il y a de grandes différences selon les champs et les zones géographiques pour ce qui est des maladies racinaires. « ThermoSem est un traitement contre les agents pathogènes transmis par les semences, explique-t-elle. Certains traitements chimiques synthétiques des semences ont un effet contre les attaques des organismes pathogènes transmis par le sol, mais pas tous. Avec un traitement ThermoSem, nous ne pouvons pas influencer ce qui se trouve dans le sol, mais nous pensons que les semences traitées par ThermoSem peuvent générer une plante plus résistante. »
Une logistique distincte
La logistique entourant le traitement des semences est un autre enjeu important au Québec par rapport à la Suisse, un pays somme toute assez petit. La Suisse s’étend sur un territoire de 41 285 km2, dont 70 %1 sont occupés par des montagnes où se fait davantage l’élevage de vaches laitières en alpages que la culture de céréales. Pas étonnant, donc, que 70 % du territoire agricole soit occupé par des prairies et des pâturages. La Suisse est par ailleurs dotée d’un redoutable réseau ferroviaire omniprésent sur tout le territoire. Dans le pays, 70 % du transport de marchandises se fait par train2.
Au Canada, le pourcentage de transport ferroviaire serait plutôt de 44 %3. Pour ce qui est du Québec, la zone agricole est de plus de 63 000 km2 (dans un territoire de 1,7 million de km2) et elle s’étend dans les 17 régions administratives du Québec4.
Les installations de traitement des céréales sont réparties dans le territoire de manière à conserver la proximité avec les producteurs de semences, les usines de criblage (où sont criblées et ensachées les semences) et les producteurs (acheteurs de semences). Pour traiter les semences avec la technologie ThermoSem dans le réseau coopératif, près d’une dizaine d’emplacements seraient sollicités, ce qui multiplie les coûts.
C’est d’autant plus complexe que, bien que le principe d’un traitement à la vapeur soit relativement simple, sa mise en place l’est beaucoup moins. Les installations requièrent des infrastructures imposantes. Les équipements actuellement disponibles sur le marché sont conçus pour de grands volumes, avec une capacité d'environ 10 tonnes par heure. Ils nécessitent de grandes infrastructures et comprennent deux chambres – la première pour le traitement et la seconde pour le refroidissement et le séchage –, ainsi qu'une importante source d'énergie.
Bref. ThermoSem au Québec : impossible? Non. Improbable? Oui. Du moins dans l’immédiat. Pour que la technologie soit adoptée, encore faudrait-il généraliser à grande échelle les pratiques culturales les plus favorables à une bonne santé des sols, espérer une diminution importante des coûts d’installation ou revoir complètement la logistique entourant le transport des céréales.
La situation serait-elle différente si la technologie pouvait être utilisée pour le maïs et le soya? Peut-être. On verra dans les prochaines années si Lantmännen BioAgri, le développeur suédois de ThermoSem, connaîtra le succès dans ses recherches en ce sens.
Photo : Stéphanie McDuff
Références
1 Office fédéral de la statistique OFS, Agriculture : Statistiques de poche, https://www.swissstats.bfs.admin.ch/collection/ch.admin.bfs.swissstat.fr.issue24078722400/article/issue24078722400-01
2 Transports : la Suisse, pionnière du fret ferroviaire. Un exemple pour la France?, https://www.tf1info.fr/environnement-ecologie/transports-la-suisse-pionniere-du-fret-ferroviaire-2164465.html
3 Transport de marchandises au Canada et rôle du rail, Chaire de recherche de l’énergie, HEC Montréal, 2023, https://energie.hec.ca/wp-content/uploads/2023/02/Rapport-detude_2023-1_DeBruycker.pdf
4 Gouvernement du Québec, Zone agricole du Québec, https://www.donneesquebec.ca/recherche/dataset/zone-agricole-du-quebec