Joseph Glauber, en porte-à-faux avec Trump
Lorsque le président américain élu Donald Trump a affirmé que l’ALENA était « le pire accord commercial à avoir été signé par les États-Unis et qu’il allait le déchirer », Joseph Glauber s’est pris la tête entre les deux mains. « C’est complètement faux ! » affirme celui qui a été économiste en chef du Département américain de l’agriculture (USDA) et négociateur en chef du secteur agricole américain au sein de l’Organisation mondiale du commerce (OMC).
Rencontré dans son bureau de l’International Food Policy Reseach Institute (IFPRI), à Washington, l’ex haut fonctionnaire, qui a travaillé sous cinq présidences différentes, laisse aujourd’hui libre cours à sa critique.
Selon lui, les agriculteurs canadiens et américains ont largement bénéficié de l’ALENA, avec des importations et des exportations agroalimentaires sensiblement égales entre les deux pays, pour établir un commerce bilatéral qui se chiffre à 47 milliards $ en 2015.
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Et la promesse électorale du président Trump de construire un mur entre les États-Unis et le Mexique, le troisième « amigo » de l’ALENA, payé par une taxe sur les produits importés de ce pays, risque d’avoir des effets pervers sur la santé même des Américains. « Les États-Unis importent du Mexique quelque 25 milliards $ de fruits et légumes hors saison. Ce sont des aliments essentiels à une saine alimentation », poursuit-il.
Avec son slogan « Make America Great Again », le président Trump risque aussi de raviver le débat sur l’étiquetage du pays d’origine (COOL), dommageable tant pour les producteurs de bœuf et de porc du Mexique que pour ceux du Canada.
« Les secteurs agroalimentaires de nos trois pays sont fortement imbriqués, au même titre que l’industrie automobile », souligne l’expert qui espère ne pas voir la situation dégénérer en guerre commerciale.
Le Canada avait eu gain de cause à quatre reprises au tribunal de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), dont la dernière en décembre 2015, à l’effet que l’étiquetage du bétail canadien, de l’abattoir jusque dans les comptoirs d’alimentation américains, était une mesure discriminatoire.
Et le Canada avait reçu le feu vert de l’OMC pour imposer une taxe de rétorsion de plus d’un milliard $ sur les exportations américaines. Le différend s’est réglé avant d’en arriver là.
Joseph Glauber doute que le président américain puisse renégocier l’ALENA : « Légalement, cela va être très difficile et il faut l’approbation du congrès », précise-t-il. Il déplore aussi le retrait des États-Unis, par le président Trump, de l’accord du Partenariat transpacifique (PTP) où le pays avait plus à gagner qu’un accord bilatéral avec le Japon, pense-t-il.
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Et il y a la Chine, qui a surpassé le Canada, devenant le premier client pour les exportations agroalimentaires américaines.
Le quart de la superficie de soya planté aux États-Unis, par exemple, est destiné à l’empire du Milieu. « Certains joueurs clés de l’administration Trump, comme le nouveau secrétaire au Commerce, Wilbur Ross, croient que les États-Unis peuvent se permettre une dispute commerciale avec la Chine. C'est très naïf de leur part! »
Plusieurs questions enveniment les relations entre la première et la seconde puissance mondiale de la planète, dont la présence accrue de la flotte militaire chinoise en mer de Chine, le vol de propriété intellectuelle, et un monstrueux déficit commercial en faveur de l’empire du Milieu.
Si jamais le président Trump cherche à jouer du coude avec le premier ministre chinois Xi Li, celui-ci pourrait frapper où ça fait mal, au cœur de l’Amérique, chez les fermiers américains, en achetant son soya du Brésil ou de l’Argentine, croit l’économiste.