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Il y a beaucoup de « Robert » dans Ferme « Gillubert », car Robert Héroux, producteur sans relève, a cédé sa ferme à un jeune couple dans un transfert non apparenté empreint d’altruisme. En prime : les quatre enfants de Raphaëlle Lemay et Pierre-Yves Lemay se sont trouvé un troisième grand-père!
Catégorie établissement | Ferme membre de Covris Coopérative
Mettons les choses au clair : transfert, repreneuriat, achat ou démarrage, le dossier de Ferme Gillubert initié en 2012? Bien malin qui statuerait sans sourciller! C’est certainement un peu tout ça, une formule unique qui lie Robert, Raphaëlle et Pierre-Yves. Mais dans le cœur de Robert, c’est un transfert. Aujourd’hui, le Leclervillois de 62 ans continue de travailler du lundi au vendredi comme salarié à la ferme qu’il a démarrée de zéro et exploitée pendant 15 ans sans prendre congé. Pour maintenir un lien avec le patrimoine hérité de son grand-père, Robert a gardé un boisé pour y bûcher en famille.
Pour l’expert-conseil ruminant Maxime Rousseau de Covris Coopérative, ce repreneuriat non apparenté constituait une première dans sa carrière parmi les membres et clients qu’il conseille – il a eu deux autres dossiers depuis. Pour l’agronome, voilà « un démarrage qui a toutes les allures d’un transfert non apparenté, avec des étapes précises, une belle communication, une bonne entente, un respect entre les deux parties. »
À Leclercville et dans Lotbinière, les fermes Roussettes et Joniel, des frères de Raphaëlle (Xavier, Julien et Thomas) et du frère de Pierre-Yves (Jocelyn), sont bien connues. L’entraide familiale a été déterminante pour permettre la succession de Gillubert. Le matin de la visite du Coopérateur, Pierre-Yves allait justement chercher la déchaumeuse chez son beau-père Émilien, machine partagée au sein de la Coopérative d’utilisation de matériel agricole (CUMA) de Leclercville. La participation à la CUMA est un facteur de succès de la succession. Elle soulage une pression financière importante.
En 2012, il n’existait pas d’organisme de maillage aspirants-propriétaires comme L’Arterre. Raphaëlle et Pierre-Yves y sont allés à l’ancienne, une balade du dimanche en auto qui les a menés route 132, où le site a impressionné durablement le couple, assez pour en parler à leur conseillère en gestion qui a joué le rôle d’entremetteuse.
Après les premières rencontres pour jauger du sérieux mutuel pouvait s’amorcer une première année de travail pour tester la relation et le partage des responsabilités entre Robert et Pierre-Yves alors que Raphaëlle poursuivrait ses fonctions d’agronome et directrice régionale pour le Centre d’insémination artificielle du Québec. Un plan de transfert décennal a ensuite été établi en commençant par l’évaluation des actifs pour déterminer un prix de vente et une planification des paiements pour minimiser les impacts fiscaux. « Robert voulait transférer, se rappelle Raphaëlle. Il avait été approché par le passé pour vendre rapidement, mais ça ne l’intéressait pas du tout. Notre stratégie de transfert à long terme, ça lui parlait. »
Le couple mentionne qu’il n’y a pas de mode d’emploi pour un transfert non apparenté : il existe autant de situations que d’individus, mais la transparence des échanges et la clarté du processus a permis aux jeunes de se projeter, d’avoir le sentiment qu’ils pourraient s’installer un jour. Même le voyagement – Robert a conservé la maison de la ferme pendant sept ans – n’était pas un obstacle, car on savait quand le déménagement aurait lieu.
« Dans un transfert non apparenté, il y a une ’’opération séduction’’ qui arrive, expose Raphaëlle. On veut montrer qu’on est capable. La bonne communication est importante, car ce sont les non-dits qui créent des escalades. » « Les premiers temps, Robert venait travailler même les fins de semaine! » se remémore Pierre-Yves. Pour empêcher des allures d’examens qui n’en finissent plus, le couple a réussi à mettre ses limites, car il était à l’étape d’élever une famille, période trépidante qui faisait contraste avec la vie monastique de Robert, qui s’est rapidement accommodé du brouhaha de Charline, Laura, Jeanne et Hubert à vélo dans les allées de l’étable ou des bâtons de hockey dans le garage!
En plus du transfert d’une entreprise viable et transférable est survenu un transfert de connaissances. « Robert a pu continuer à m’en apprendre beaucoup », évoque Pierre-Yves. « Les jeunes sont meilleurs que moi avec le troupeau, mais je suis encore utile pour l’entretien des machineries », rétorque Robert, qui prévoit une retraite pleine et entière dans deux ans.
En 2014, l’entreprise comptait 37 kilos de quota. Dix ans plus tard, elle est déjà rendue à 86 avec l’objectif de maximiser l’étable à 125. Les marges financières sont serrées – nos jeunes s’inspirent de la propension de Robert à bien gérer. Ce dernier a encore accès aux états financiers. Le plus beau reste que Robert continue de voir évoluer l’entreprise en participant à son expansion, motivé de voir les ambitions de deux jeunes, qui ne sont pas de son sang, se réaliser.
Photo : Christophe Champion
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