Un laboratoire de cultures en bandes

Morceler les champs est une manière efficace de réduire les pesticides et d’obtenir plus de résilience des cultures, nous apprennent les Néerlandais.

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Bandes fleuries au Pays-Bas

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Étienne Gosselin

Agronome et rédacteur

Étienne est détenteur d’une maîtrise en économie rurale et œuvre comme pigiste en communications. Il cultive commercialement le raisin de table à Stanbridge East dans les Cantons-de-l’Est.

Si la culture en bandes, sorte de compagnonnage de nos jardins domestiques, n’est pas nouvelle, les Néerlandais qualifient et quantifient les avantages du morcellement des cultures dans un pays où les hectares gagnés sur l’océan sont précieux, la proximité ville-campagne omniprésente. En somme, les Néerlandais font bande à part!

On dit strokenteelt en néerlandais, strip cropping en anglais. Pour contrer la monoculture, de nombreuses fermes, inspirées par les résultats issus de la ferme expérimentale Droevendaal et du groupe de recherche en écologie des systèmes agricoles de l’Université de Wageningue, planchent sur l’alternance des cultures.

Avec à son bord la conseillère agricole Maria van Boxtel et la professionnelle de recherche Anna de Rooij, le laboratoire vivant quinquennal CropMix regroupe 25 fermes biologiques et conventionnelles, 70 scientifiques, de nombreux agronomes, mais aussi de simples jardiniers, dans des projets rigoureux de science participative. Du lot, on compte aussi des économistes, des sociologues et même des acheteurs (supermarchés) pour trouver des moyens de mieux rétribuer les bonnes actions de producteurs qui se cassent la tête à définir des systèmes agricoles plus durables.

Le but avoué : mousser l’adoption de la fragmentation pour la résilience globale qu’elle apporte et pour la réduction des pesticides qu’elle permet. Certains participants néerlandais ont même testé un compagnonnage bien de chez nous, les trois sœurs : haricots (source d’azote), maïs (tuteur) et courge (ombre au sol). À la ferme, des producteurs ont testé de simples duos de culture ou des bandes entre 3 et 27 m de largeur.

Un producteur a fait huit cultures différentes réparties en 463 bandes, ce qui était peut-être beaucoup trop pour persévérer dans ce design!

— Maria van Boxtel

Constats : plus les bandes sont étroites, plus les effets de bordure se manifestent. Il s’agirait parfois de l’apport d’azote d’une bande de légumineuses, de l’effet de barrière physique d’une culture haute comme une céréale, de l’effet repoussant de l’odeur de soufre dégagée par une crucifère ou une alliacée, de la floraison d’une culture qui alimente en nectar ou en pollen des insectes auxiliaires bénéfiques ou des pollinisateurs dans la culture adjacente, d’une couverture de sol améliorée en bordure pour une évapotranspiration moindre, etc. Rapidement, la complexité du système rend difficile l’étude des causes et des effets, mais, globalement, la robustesse du système s’accroît.

Aussi, les producteurs bloquent souvent sur la logistique d'implémentation et la faisabilité à grande échelle. Une clé : les augmentations de rendement de 5 à 10 % doivent couvrir les frais de la main-d’œuvre supplémentaire associée aux viraillages et les coûts liés à la planification des bandes.

Pionnier du strokenteelt

En matière de culture en bandes, l’entreprise la plus avancée en Europe et possiblement dans le monde est la Ferme ERF, à Zeewolde. Cette ferme de 1000 ha qui produit en mode biologique cultive des terres à six mètres sous le niveau de la mer dans le Flevoland, dernière province conquise sur l’océan en 1986. Un pays neuf prêt pour de neuves idées!

Ce n’est pas un hasard si son exploitant, Roy Michielsen, a placé une parcelle de 64 ha bien à la vue entre l’autoroute A6 et une route secondaire en bordure de la ville d’Almere, qui compte 230 000 habitants : l’effet de l’alternance des cultures est esthétiquement saisissant!

Mais les réels avantages de la culture en bande sont autres : sur trois ans, on a mesuré une rentabilité accrue de 800 € par hectare pour l’ensemble de la ferme, comparativement à des blocs de deux hectares en monoculture. On ne s’explique pas entièrement ces bons résultats, mais on donne l’exemple des céleris-raves et des brocolis qui influencent positivement le rendement de la pomme de terre de respectivement 15 % et 38 %. La raison suspectée : le mildiou de fin de saison se disséminerait moins en raison des bandes, pour des plants qui photosynthétisent une ou deux semaines de plus avant le défanage.

Comparés aux témoins en monoculture, les rendements en bandes sont meilleurs pour la féverole (+32 %) et le panais (+41 %), mais négatifs pour l’avoine (-6 %) et l’oignon (-10 %). L’équipe du chercheur Dirk van Apeldoorn de l’Université de Wageningue mesure donc des effets généralement positifs, mais variables.

Nos sols cultivés en bandes semblent différents de ceux en monoculture. Ils contiennent probablement plus de champignons bénéfiques.

— Roy Michielsen

Après avoir testé des largeurs aussi diverses que 6, 12 et 24 m, la Ferme ERF a choisi le multiple simple de six mètres, largeur calquée sur l’envergure des machineries. Moins la bande est large, meilleurs sont les rendements. Les rampes d’irrigation arrosent toutefois toutes les cultures indifféremment. Tout est évidemment semé en géoréférençant les bandes.

Voisinage sous la loupe

À Voorst, le chercheur Aron Ortega, de l’entreprise semencière Vitalis Biologische de la société Enza Zaden, a colligé les résultats de quatre années d’essais de cultures maraîchères en bandes de 1,5 m. Si, dans les essais agronomiques, on tente d’éliminer les effets de bordure, chez Vitalis, on cherche à maximiser les effets positifs du côtoiement des espèces. On a mesuré que la laitue placée à côté du chou-fleur, du poireau ou du fenouil pouvait engendrer une hausse du rendement d’en moyenne 10 %.

À l’inverse, la citrouille s’avère une piètre voisine et nuit aux autres cultures, amputant le rendement de la laitue de quelques points de pourcentage à quelques dizaines de points de pourcentage, selon les années! Pour la semencière qui compte 400 variétés de légumes à son catalogue, il s’agit maintenant de sélectionner des variétés plus « sociables », qui s’étalent moins, par exemple, pour voisiner avec la citrouille.

Le chercheur Luuk Croijmans de l’Université de Wageningue a de son côté mesuré une présence accrue d’insectes phytophages sur des choux dans des systèmes de six cultures en bandes de trois mètres, mais néanmoins des rendements supérieurs à la monoculture, sans perte de qualité. Faut-il s’inquiéter? Pas du tout, puisque les insectes herbivores comme les chenilles de la piéride du chou en grand nombre étaient aussi accompagnés par des insectes zoophages comme les guêpes parasitoïdes, un équilibre rendu possible par le gîte offert par les autres bandes.

Même si les choux étaient d’aussi bonne qualité, Luuk Croijmans mentionne qu’il serait intéressant que des sociologues participent à conscientiser les consommateurs sur le caractère non essentiel de l’esthétisme de la nourriture, mais aussi à des services écosystémiques joués par les systèmes diversifiés : plus d’insectes attirent plus d’oiseaux champêtres et insectivores, qui sont en déclin au Canada comme aux Pays-Bas.

Sur les terres que cultive le maraîcher Edwin Tigchelaar de la Ferme EET-Wageningen, on trouve des planches cultivées fixes de 1,5 m de largeur alternées pour six groupes légumiers différents en plus d’une rest crop, soit une culture de trèfle, de luzerne et de graminées à gazon bonnes pour le sol. Ce schéma à sept bandes est cloné trois fois pour qu’à la 22e bande, on établisse une bande fleurie composée d’un mélange de 18 plantes à fleurs de neuf familles botaniques différentes!

Pour Edwin, diplômé de l’Université de Wageningue qui jouxte les terres qu’il cultive, ces cultures en bandes et ces bandes fleuries jouent un rôle dans l’équilibre écologique qu’il cultive sur sa ferme certifiée biologique, une biodiversité fonctionnelle qui permet la culture sans pesticide et qui attire l’œil des consommateurs qui achètent les légumes à la ferme.

La mission, qui a inspiré la rédaction de ce texte, s'inscrit dans le cadre d’un projet du Réseau québécois de recherche en agriculture durable (RQRAD) financé par le ministère de l'Agriculture, des Pêcheries et de l'Alimentation et le Fonds de recherche du Québec (FRQ).

Vous souhaitez en savoir plus? Visionnez les vidéos sur les cultures en bandes.

Cet article est paru dans le Coopérateur de novembre-décembre 2025, sous le titre « Des cultures côte à côte, main dans la main ».

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