Vous savez aussi bien que moi qu’une journée pluvieuse, comme celle où j’écris ces lignes, n’est plus l’occasion de prendre un peu de temps pour soi. Qu’il pleuve ou non, les dossiers continuent de se bousculer et il faut s’en occuper : gestion, main-d’œuvre, investissements…
Le dernier dossier qui vient de nous tomber sur la tête, devrais-je plutôt dire, est le projet de loi 41, qu’a déposé le MAPAQ. Vous vous doutez bien qu’il ne me réjouit aucunement, pas plus que de nombreuses autres organisations agricoles et parties prenantes, d’ailleurs. Seul l’Ordre des agronomes du Québec semble en tirer une quelconque satisfaction!
Début juin, alors que j’étais en train de terminer mes semis de soya et de haricots secs, je pensais à nos agronomes et à notre réseau, et à quoi leur futur pourrait bien ressembler si ce projet de loi était adopté. Séparer la vente d’intrants du service-conseil agronomique, comme le propose essentiellement le gouvernement, viendra perturber la liberté d’action des producteurs agricoles et la structure même de notre agriculture. Peut-on imaginer pire contexte alors que le spectre des pénuries alimentaires se matérialise?
Comme producteur, ce projet de loi me heurte. Parce qu’il remet en cause mon indépendance et mon expertise quant à ma propre entreprise! Si je suis dans l’obligation de consulter un agronome indépendant chaque fois qu’une décision de nature agronomique devra être prise sur ma ferme, sous prétexte que, selon certains, les agronomes de notre réseau sont en apparence de conflit d’intérêts, il est clair que mon exploitation en pâtira.
Notre volonté, en tant que producteurs, est de travailler efficacement, de prendre des décisions réfléchies, d’agir rapidement. Ce projet de loi nous met des bâtons dans les roues. Il ralentit notre prise de décision. Il entrave notre logistique de travail. Notre autonomie, nos connaissances, notre savoir-faire ne sont-ils plus reconnus? Les producteurs agricoles sont mieux formés que jamais. Beaucoup sont eux-mêmes agronomes ou technologues. Soudainement, on ne reconnaîtrait plus cette expertise? C’est le monde à l’envers. Combien d’agronomes faudra-t-il pour mener à bien la multitude d’interventions qu’il leur sera nécessaire de faire en vertu de ce projet de loi? Faut-il le rappeler, il y a non seulement pénurie de main-d’œuvre, mais également pénurie d’agronomes!
Non seulement ce projet vient perturber nos façons de faire dans nos fermes, mais comme président de Sollio Groupe Coopératif, j’arrive au constat qu’il va déstructurer la chaîne logistique d’approvisionnement de notre réseau. Je suis extrêmement préoccupé par les impacts qu’il aura sur l’agriculture québécoise et notre organisation.
Il faut bien le rappeler, les coopératives se sont constituées pour venir en aide aux producteurs, qui se sont pris en main en se dotant d’infrastructures d’approvisionnement d’intrants. Puis, en se donnant des services, offerts par des professionnels hautement qualifiés, des experts-conseils, agronomes et technologues, qui les accompagnent et qui ont à cœur leur réussite. Ces professionnels, conscients des enjeux sociétaux et au fait des plus récentes avancées technologiques, notamment grâce à nos propres investissements en R et D, recommandent de nouvelles pratiques agronomiques plus respectueuses de l’environnement. La relation de confiance entre le conseiller et son producteur est certainement un atout lorsqu’il est question d’agriculture durable. Pensons à tout son potentiel en matière de décarbonisation de l’agriculture. Malheureusement, tel qu’il est proposé, le projet de loi va mettre à mal cette relation.
Oui, la Loi sur les agronomes, qui date de 1972, doit être repensée et adaptée aux réalités d’aujourd’hui. Mais pour cela, il faut en discuter, en débattre, et travailler ensemble à trouver des solutions. Malheureusement, nous n’avons eu que très peu de temps pour nous préparer à la trop courte période de consultation sur ce projet. Et nous n’avons pas senti d’écoute.
Dans sa forme actuelle, le projet de loi ne tient pas la route. Les producteurs et organisations agricoles ne feront que subir les conséquences d’une démarche qui ignore la réalité du terrain. Si le souhait du gouvernement est d’entendre la voix des consommateurs, cela doit inévitablement passer par une meilleure prise en compte des besoins et des enjeux des agriculteurs ainsi que de notre modèle d’affaires.
Inapplicable par sa complexité, ce projet de loi ne fait aucunement consensus. Il doit être revu de fond en comble. Nous allons nous mobiliser et faire appel à tous nos alliés afin que le gouvernement retourne à la table de travail et qu’il soit davantage à l’écoute du monde agricole.
Sur ce, je vous souhaite un bel été!