« Et que la passion soit plus grande que les défis que la relève doit surmonter », croit l’administratrice au conseil d’administration de Sollio Groupe Coopératif.
Sophie Gendron n’a aucun plaisir à se retrouver sous les projecteurs. « Mais ça fait partie du contrat », lance-t-elle en acceptant tout de même de bon cœur de se prêter à l’exercice de l’entrevue. « L’idée, c’est de donner l’exemple, d’encourager d’autres femmes à s’engager dans l’administration de leurs coopératives », dit celle qui, en février 2025, quelques jours avant l’assemblée générale annuelle de Sollio Groupe Coopératif, occupait le siège du Secteur 6 au conseil d’administration. Un siège dévolu à l’application du Plan d’action pour une représentation équitable des femmes dans la gouvernance du réseau Sollio. C’est Marie-Pier Béliveau, élue le 27 février lors de l’assemblée générale, qui lui succède. Sophie occupe depuis un siège du Secteur 1.
« Siéger à un conseil, c’est accessible », assure la productrice de Saint-Denis-de-la-Bouteillerie, un petit village niché dans le Kamouraska, aux portes du Bas-Saint-Laurent. Et elle le dit sans minimiser l’effort que ce cheminement représente. « Presque toutes celles qui ont la coopération à cœur peuvent y trouver leur place », insiste-t-elle.
« Nous sommes souvent moins confiantes, poursuit l’administratrice. On n’ose pas proposer notre candidature à un poste sans s’assurer de posséder toutes les compétences requises. Il faut encourager toutes celles qui veulent tenter leur chance. »
Sophie Gendron ne chérissait pourtant pas l’ambition d’occuper un poste d’administratrice. La productrice a été pressentie par des gens qui ont cru en elle, ils lui ont témoigné leur confiance, ce qui a attisé sa curiosité. « Ça s’est fait une étape à la fois », déclare-t-elle.
En 2017, elle est élue au conseil d’administration de Groupe coopératif Dynaco, qui, dans la fusion de plusieurs coopératives, deviendra Avantis Coopérative en novembre de l’année suivante. Sophie y sera présidente du comité ressources humaines, gouvernance et éthique. En février 2021, avec tout juste quatre ans d’expérience, elle accède, en pleine pandémie, au conseil de Sollio Groupe Coopératif. C’est Cathy Fraser qui, souhaitant se présenter à un autre poste au sein du conseil, lui propose de lui succéder au siège du Secteur 6. « J’ai eu beaucoup d’encouragement, tant de mes proches que des gens de ma coopérative. Mais je vivais le syndrome de l’imposteur. Je ne me sentais pas prête. La marche m’apparaissait haute. Je me demandais ce que j’allais pouvoir leur apporter », confie-t-elle. Puis, elle réalise que si elle ne se lance pas tête baissée, jamais elle ne se sentira tout à fait en possession de ses moyens.
Comprendre les secteurs d’activité de Sollio Groupe Coopératif n’est pas simple. Sophie était familière avec l’agriculture québécoise, mais non pas à la grandeur du pays, où la division agricole de la coopérative, Sollio Agriculture, s’est développée au fil des ans. Elle connaissait Groupe BMR, la division détail, grâce aux magasins que possède sa coopérative régionale, mais elle ignorait toute l’ampleur de son vaste réseau de quincailleries. Idem pour Olymel, avec ses nombreuses usines et son envergure mondiale. Il lui faudra deux ans pour sentir qu’elle contribue pleinement à la gestion de l’entreprise.
« Sophie est à sa place, confirme Lucie Boies, administratrice au conseil d’administration Sollio Groupe Coopératif. S’il y a une nouvelle personne au conseil, tu l’assois à côté de Sophie. Elle est à l’écoute et bienveillante. Elle va au-devant des gens et facilite leur intégration. »
« Dès son arrivée, Sophie a été une véritable rassembleuse, ajoute Marc-André Roy, administrateur au conseil d’administration de l’entreprise. Elle a su unir le conseil. Elle en est le ciment. Son jugement est exceptionnel. Elle ira loin dans l’organisation. » On dit d’elle qu’elle a l’étoffe pour un jour devenir présidente du CA.
« Lorsque la tension monte, que les esprits s’échauffent et que l’on veut précipiter une prise de décision, elle nous lance un “Woh, les p’tits gars” bien senti et la pression de la marmite vient de baisser, renchérit l’administrateur Patrick Soucy. Elle sait apaiser les situations tendues. »
Il lui est arrivé dans son parcours d’être confrontée à une certaine résistance masculine, mais rien pour l’arrêter, dit celle qui s’est inspirée des administratrices qui l’ont précédée au conseil.
Une difficulté, pour Sophie, comme pour d’autres femmes, a été de conjuguer ses engagements au sein des conseils d’administration avec ses responsabilités familiales et d’entrepreneure. « Il y a des deuils à faire, concède-t-elle. Même si je ne peux plus autant pratiquer le vélo et le ski de fond, lire ou voyager, je me garde des moments d’évasion qui libèrent l’esprit. » L’érablière de 800 entailles qu’elle et son conjoint exploitent lui offre un espace de recueillement. Outre le temps des sucres, débroussailler la forêt, bûcher du bois et marcher lui changent les idées.
L’envol
Née en 1970 dans une ferme laitière de Saint-Antoine-sur-Richelieu, Sophie développe une grande passion pour les animaux. À tel point qu’elle passe plus de temps à l’étable qu’à la maison. Pas étonnant que l’ITAQ de Saint-Hyacinthe se retrouvera dans son parcours scolaire. « L’agriculture était en moi. Je ne voyais aucune autre possibilité de choix de carrière. »
Elle effectue des stages dans d’autres fermes de sa région et à la Coopérative du lac Saint-Pierre, aujourd’hui Covris Coopérative. À la fin de son DEC en zootechnologie, en 1990, elle travaille un été dans une ferme en Ontario et six mois en France. Grâce à un échange franco-québécois pour la jeunesse, elle est accueillie dans une ferme laitière du bourg d’Antonne, dans le département de la Dordogne. Elle goûte à la liberté que son jeune âge lui commande. Au terme de son séjour, elle visitera Paris et le sud de la France. Mais le Québec lui manque.
À son retour, elle travaille un été avec son père, René Gendron. « Mon père a été de nombreuses années président de La Coop de Verchères [aujourd’hui Agiska Coopérative]. Il a été mon modèle d’engagement en coopération. Ç’a tracé le chemin. »
Sophie se sent à l’étroit dans la ferme familiale qui ne peut alors accueillir que deux personnes à temps plein. « J’ai ouvert La Terre de chez nous et j’ai parcouru les offres d’emploi des coopératives agricoles », dit-elle, bien décidée à faire carrière en agriculture.
Elle se rend à une entrevue et accepte sur le champ l’emploi d’experte-conseil dans les secteurs laitier et végétal que lui propose à l’époque la Société coopérative agricole de la Côte-Sud à Saint-Philippe-de-Néri. Sophie saute dans sa voiture et file vers le Bas-Saint-Laurent. Elle s’installe à Saint-Pascal. Elle a 21 ans, une nouvelle vie commence.
Christian Lévesque, établi avec son frère Réal dans une ferme laitière et de grandes cultures, lui tombe dans l’œil. Idem pour lui. Elle travaille encore quelques années à la coopérative, puis se joint à Christian et à Réal dans l’entreprise. En 1997, elle démarre à son compte une production ovine en marge de l’élevage laitier. Deux années passent. Elle devient actionnaire de la Ferme Lénique et la production ovine y est intégrée. Entre 1995 et 2000, leurs trois garçons voient le jour, Antoine, Étienne et Mathieu.
Puis, après 12 ans en production, qui culmineront avec l’élevage de 200 brebis pur-sang, Sophie et ses partenaires doivent faire un choix. « On ne pouvait pas investir toute notre énergie dans les deux productions, relate Sophie. Sur le plan émotionnel, ç’a été difficile de se séparer des moutons, mais d’un point de vue économique, nous n’avons eu aucun regret. La production était peu rentable à cette époque. L’épisode de tremblante qui sévissait alors a rendu la situation intenable. Les gens faisaient abattre leur troupeau et n’achetaient plus de sujets pur-sang. J’ai dû expédier mes agnelles pur-sang à l’abattoir. On s’est concentrés dans le lait et je suis retournée travailler à temps partiel à la meunerie de Saint-Philippe-de-Néri. »
Elle y demeurera de 2008 à 2017, tout en trayant les vaches matin et soir. Et en étudiant, à distance, en bureautique, en comptabilité et en anglais, pour ensuite honorer, jusqu’en 2019, des contrats à temps partiel que lui confient le Centre de développement bioalimentaire du Québec et le Cégep de La Pocatière.
La ferme, la coopération, son milieu de vie
À ses yeux, la ferme et la coopération sont imbriquées dans son quotidien. Elle n’a d’ailleurs pas hésité à agir comme bénévole dans des causes de son village de 500 âmes. Elle a contribué à la remise en valeur du presbytère de Saint-Denis-de-la-Bouteillerie en le métamorphosant en une sympathique et accueillante auberge et halte café, La Maison de Jean-Baptiste. Elle siège au conseil d’administration de cet organisme et donne un coup de main pour la comptabilité, les inventaires et la gestion des ressources humaines. Elle a aussi fait partie d’un regroupement de parents qui cherchait à offrir des services de garde subventionnés accessibles aux villageois. « Assurer la présence d’infrastructures en région, c’est important, commente-t-elle. Ici, il n’y a déjà plus de dépanneur ni de station-service. »
« J’aime le travail à la ferme, mais j’ai besoin de contacts avec les autres. On est sur terre pour être en relation entre nous », partage Sophie, qui voit dans la coopération un moyen de contribuer à la société. « Mais c’est également une entreprise, ajoute-t-elle. Il faut qu’elle soit rentable. C’est un équilibre à atteindre qui est parfois source de conflits en moi. »
Son milieu de vie, ce sont aussi des amitiés qu’elle a développées à différentes périodes de sa vie et auxquelles elle tient. « Il ne faut pas s’isoler, insiste Sophie. Il faut entretenir ces relations. J’appelle mes amis, je prends de leurs nouvelles, je leur donne rendez-vous. »
Au conseil de Sollio, l’administratrice a le sentiment de recevoir plus que ce qu’elle donne en retour. « Des spécialistes de tous les horizons alimentent nos réflexions, c’est enrichissant, lance-t-elle. De plus, je suis en train de suivre la certification universitaire en gouvernance de sociétés offerte par le Collège des administrateurs de sociétés. »
Une de ses grandes forces, c’est son gros bon sens, estiment des collègues au conseil d’administration. Elle cherche ce qui apporte le plus de valeur au réseau et à ses membres.
« Elle défend toutes les productions agricoles, souligne Lucie Boies. Elle tient compte du point de vue de chacun et favorise le bien commun. »
Ce n’est pas un hasard si les injustices et les inégalités sociales touchent en elle une corde sensible. Sophie a d’ailleurs accepté, avec l’équipe d’Avantis Coopérative, de relever le Défi têtes rasées Leucan, le 21 juin dernier.
« Sophie nous rappelle toujours qu’une coop, ce sont d’abord ses personnes, avant les meuneries ou le siège social, souligne Frédéric Martineau, président du conseil d’administration d’Avantis Coopérative. Ça nous évite de ne focaliser que sur les résultats. Elle veut s’assurer que nos ressources peuvent répondre aux exigences qu’on demande. Elle gère l’entreprise, mais elle n’oublie pas que le réseau et une coopérative, ça part de ses membres. »
La relève
Sophie et Christian n’ont pas de relève parmi leurs trois enfants. Ils les ont encouragés à suivre le chemin qui les rendrait heureux, en respectant leurs champs d’intérêt.
C’est leur neveu, Vincent, fils de Réal, qui souhaite reprendre l’entreprise. Le jeune de 21 ans étudie à l’ITAQ de La Pocatière en Gestion et technologies d’entreprise agricole.
« Vincent est passionné comme je l’étais à son âge, dit-elle. Je trouve ça beau et j’ai envie de l’aider à surmonter les embûches, à faire les bons choix. »
« Ma vision, ce n’est pas d’atteindre 300 kg de quota. L’avenir de l’agriculture sera fait d’un amalgame de grandes et de petites fermes », croit Sophie, qui a pour principales responsabilités à la ferme la gestion de l’alimentation et de la reproduction du troupeau.
« Être administratrice, c’est s’ouvrir aux nouveautés, dit celle qui préside le comité des technologies de l’information chez Sollio Groupe Coopératif. En tant que producteur, il faut se remettre en question, maximiser l’efficacité, la rentabilité. Lors du Colloque des coopératrices, la psychologue Rose-Marie Charest a comparé la résilience face au changement à un GPS qui recalcule l’itinéraire lorsqu’on dévie de la route prévue. »
« Revoir ses choix, c’est stressant, admet Sophie. J’ai confiance en l’avenir et envers les jeunes. Il faut que leur passion soit plus grande que leurs défis, et qu’ils s’entourent de bons partenaires. »
Les coopératives sont justement de bons partenaires, mais y recruter des jeunes n’est pas une mince affaire, indique l’administratrice. Leur façon de penser a changé. L’attachement faiblit. Rien n’est acquis. Les coopératives aussi doivent se prêter à un exercice de « recalcul d’itinéraire ».
« J’éprouve du plaisir à gérer mon entreprise et à contribuer à l’essor du réseau Sollio. Je suis fière d’être coopératrice. Parfois, une parole, les mots d’un voisin, le soutien d’un proche suffisent à nous convaincre de nous impliquer », conclut Sophie.
Cet article est paru dans le Coopérateur de juillet-août 2025.