Technicien en sols, Benoit St-Laurent a travaillé dans ce secteur avant de commencer comme représentant commercial en 1994 et de fonder GMABE en 2015, une entreprise spécialisée dans la commercialisation d’outils technologiques provenant des États-Unis et d’Europe.
Enthousiaste pour deux, l’homme reste toutefois lucide : pour la prochaine décennie, les robots ne seront pas vraiment un game changer au Québec, une innovation de rupture qui bouleverse tout, qui pousse tous les joueurs à adopter la nouvelle technologie au risque de quitter le secteur. Pensons aux robots de traite : s’ils ont amené une qualité de vie et plus de lait produit depuis 20 ans, toutes les fermes n’en sont pas équipées pour autant.
« Tout est dans la tâche à exécuter, juge le robophile. Le robot n’est pas intelligent, on lui demande seulement de ne pas se perdre! » N’empêche, il ne tarit pas d’éloges envers la dizaine de solutions numériques qu’il commercialise. Rencontré à la foire des Journées horticoles et grandes cultures de Saint-Rémi, l’homme suscite un intérêt croissant. « Ce n’est pas la frénésie, mais on a dépassé le stade de simple curiosité », estime-t-il.
Oz et Orio, les deux porte-outils qu’il propose, viennent de France et ont été mis au point par Naïo Technologies. Dino, maintenant Orio, a été adopté dès 2020 par l’équipe d’agriculture de précision d’Agriculture et Agroalimentaire Canada (Saint-Jean-sur-Richelieu) qui, avec ce robot, standardise ses opérations culturales et élimine le facteur humain. Oz, lui, n’est pas plus haut que le genou (150 kg). Il a été testé de 2020 à 2022 par l’agronome et chercheuse en malherbologie Maryse Leblanc de l’IRDA dans le maïs sucré, dans l’optique d’un mode de production biologique.
On a comparé les performances d’Oz quant à l’efficacité du désherbage, au temps requis et à la performance économique par rapport à trois autres méthodes (houe maraîchère, sarcleur sur tracteur porte-outils et désherbage manuel). Un robot Oz avec deux batteries à l’autonomie de huit heures se détaille 57 500 $ CAN, roule à un maximum de 1,8 km/h, utilise le système RTK-GPS, opère même de nuit et sarcle un hectare par jour. La carte de navigation est générée en fixant l’antenne du robot sur le semoir au semis ou directement à l’écran du robot. Une dizaine d’Oz sont en service au Canada.
Les résultats, pour trois passages en saison, montrent qu’Oz a une efficacité similaire aux autres méthodes, mais que les dépenses liées aux ressources humaines sont réduites de 20 % par rapport à la houe et de 60 % comparativement au désherbage manuel. La robotisation fait donc meilleure figure que la houe maraîchère, mais le désherbage au tracteur reste plus rapide et économique.
Pour Benoit St-Laurent, c’est l’intérêt des gouvernements et des tractoristes envers les engins qui dictera l’envol définitif de leur popularité. « De grands fonds verts sont derrière Naïo qui vient tout juste de recueillir 32 millions d’euros », illustre le technophile. En 2022, John Deere a lancé son prototype Sesam 2 avec sa batterie de 1000 kWh, un gros cube sur roues avec cabine détachable.
Autre exemple : vous vous rappelez de DOT, le robot développé par un agriculteur saskatchewanais qui faisait grand bruit en 2017-2018? Il a été racheté et rebaptisé OMNiPower en 2019 par la multinationale Raven Industries du Dakota du Sud, elle-même rachetée en 2021 pour 2,1 milliards $ US par Case IH et New Holland! « Les agriculteurs d’ici sont particulièrement conservateurs. Plusieurs me disent qu’ils vont attendre que leur fournisseur bleu, rouge ou vert offre des produits avant d’investir, mentionne Benoit St-Laurent. Mais pour l’instant, un des freins reste l’amour de la conduite des tracteurs. Les agriculteurs aiment encore ça, conduire leur gros tracteur confortable! » Deux autres écueils des robots : la peur de l’inconnu et la peur de la mécanique électrique, sans cambouis, ce à quoi ne sont pas habitués les cultivateurs. « On tient un inventaire de pièces critiques, des modules souvent prêts à l’emploi. »
Capteurs et caméras
Du côté des capteurs, ceux-ci permettent d’autonomiser des tâches tels l’échantillonnage des sols ou le dépistage des cultures. Les nouveautés sont nombreuses, par exemple Bitwise Agronomy, un outil prédictif dans les fraises, framboises, bleuets ou raisins basé sur les images captées par une simple caméra GoPro lors de n’importe quelle opération culturale. Les vidéos, analysées à distance moyennant un abonnement annuel, permettent de quantifier le nombre de bourgeons, le stade de développement ou la quantité à récolter.
Féru des sols, Benoit St-Laurent propose aussi SoilOptix, un outil de télédétection d’abord développé pour la prospection minière. Un appareil fixé devant un VTT ou à l’arrière d’une camionnette à 60 cm du sol capte le rayonnement gamma (énergie) émis par les éléments de la couche arable, le tout en roulant à 15 km/h. Couplée à des échantillonnages de sol stratégiquement situés servant à l’étalonnage (un échantillon pour trois hectares), cette technologie génère des cartes d’agriculture de précision pour les propriétés chimiques (nutriments), mais également physiques (texture, capacité d’échange cationique, matière organique, contenu en eau). Elle permet même d’estimer rapidement le contenu en carbone d’un hectare de sol — à quand la commercialisation de services de séquestration du carbone?
Pour les applications à taux variable, les plus robophiles jumelleront SoilOptix à Augmenta. Cet analyseur de biomasse de 20 000 $ CAN installé sur le toit d’un tracteur prend des photos sur une largeur de 38 m (125 pi) en résolution 4K en comparant la quantité de lumière rouge (visible) absorbée par les plantes selon le contenu en chlorophylle et le rayonnement dans le proche infrarouge réfléchi par les végétaux. Il effectue ce travail en temps réel sans prescription électronique au moyen de six caméras du même type que celles qui sont embarquées sur les drones qui quadrillent les champs. Un algorithme NDVI (index de végétation par différence normalisée) qui fait même intervenir l’apprentissage profond (neurones artificiels) permet ensuite de contrôler, derrière le tracteur, par l’entremise d’un système Isobus (communication tracteur-machinerie), les quantités d’intrants à appliquer comme l’azote, et aussi de diminuer la quantité de fongicides, défoliants et régulateurs de croissance utilisés, sans risquer de réduire les rendements. Beaucoup d’économies potentielles pourraient être réalisées selon la saison et les surfaces cultivées.
Prochainement, un nouvel algorithme d’Augmenta viendra moduler les traitements phytosanitaires « vert sur brun » en ouvrant et en fermant les buses en temps réel. Cette fonctionnalité sera rendue possible par l’analyse d’autres longueurs d’onde différenciant les cultures et leurs ennemis — feuillage des adventices et feuillage affecté par les maladies.
CET ARTICLE FAIT PARTIE DU DOSSIER « Nos nouveaux amis Erion, Orio, Guss et Nexus » PARU DANS LE MAGAZINE COOPÉRATEUR D'AVRIL 2023.
Pour lire les autres articles du dossier :
Photos par Étienne Gosselin : (en-tête) Benoît St-Laurent de GMABE