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La toxicomanie dans le milieu agricole

Photo : iStock

Amphétamines, boissons énergisantes, opiacés, cocaïne… Quand on doit achever d’importants travaux sans compter ses heures, tous les moyens sont bons, parfois même au détriment de sa santé. Regard sur la toxicomanie dans les familles agricoles.

Les producteurs accomplissent des miracles. Technologie, technique et performance leur permettent de venir à bout de tâches colossales en un temps record. Mais certains, pour y arriver, laissent leur santé sur les rangs. Il n’y a pas que les semis qui les poussent à travailler toujours plus vite. Les récoltes aussi. Ou la construction d’un nouveau bâtiment. Et quoi d’autre encore?

22 h 40. Jack* pensait bien avoir terminé ses semis de maïs. Tôt ce matin-là, la journée s’annonçait idéale pour donner un grand coup et boucler l’ouvrage, après 10 jours d’une rare intensité – 750 acres au total. Demain sera maussade et pluvieux. Comme les jours qui suivront. Pluie, pluie, pluie.

Mais voilà, une panne de machine est venue lui dérober trois heures de son précieux temps. Trois heures… et quelques milliers de dollars. Encore. Il doit refaire le plein avant de repartir, mais il est crevé. La course folle, la frénésie, le délire du printemps l’ont épuisé, vidé de ses forces.

Quelques comprimés avalés à la hâte avec un Red Bull l’aideront à donner le dernier effort. Un cocktail toxique qu’il s’est servi à quelques reprises ces derniers jours.

Diane*, sa blonde, ne sait rien de cette néfaste habitude que la pression de la performance lui a fait prendre. Une habitude risquée pour sa santé physique et mentale.

C’est reparti. Tracteur et semoir sont sur les rangs. Lui, temporairement ragaillardi par ce coup de fouet au cerveau, recommence de plus belle. Il lui reste encore cinq heures de travail. Il n’ira au lit qu’au petit matin. Un peu de cannabis l’aidera à trouver le sommeil.

Diane trouve que son beau Jack a changé depuis quelque temps. Il est nerveux, irritable, impatient, parfois colérique. Elle ne retrouve plus que rarement la douceur de ses gestes, son regard complice, ses marques d’attention…

 

Vous n’êtes pas seul

Jack n’est pas seul à faire des heures de fou. Il n’est pas seul non plus à consommer pour y arriver…

Semer 500, 750, 1 000 acres, il faut en général 10 jours pour y arriver!

La nuit, les phares du tracteur éclairent les rangs d’une lumière crue. Un halo sur fond d’une profonde noirceur. À 4 h du matin, la concentration n’y est plus. La fatigue s’incruste. Des absences de conscience se manifestent. Pour Jack, tout ça semble un peu lointain. Il est égaré dans ses pensées. Ai-je dormi? Suis-je déjà rendu au bout du rang? Que s’est-il passé? L’homme de fer, invulnérable, n’existe pas. Ce n’est que pure fiction.

Dave*, le père de Jack, avait déjà raconté à son fils que leur voisin de 58 ans, un Maître-éleveur bien en vue, avait dû suivre une cure de désintoxication et une cinquième thérapie quelques années plus tôt. L’homme, accro au travail et aux anxiolytiques, dont il abusait, avait perdu la maîtrise de sa vie. Épuisé et stressé, il avait enfin décidé de se laisser aider et d’aller de lui-même consulter. C’était ça ou la fin de son couple, de sa vie familiale, de son entreprise. Plus personne ne l’endurait.

Cynthia*, de son côté, pensait un jour reprendre la ferme familiale. C’était son plus grand rêve. Mais la toxicomanie, dont elle a souffert à l’adolescence, l’a projetée dans un enfer qui a duré une décennie. Aujourd’hui, elle est bien établie à la ferme, avec son conjoint, leurs trois jeunes enfants et ses parents vieillissants. La charge de travail pour assurer la croissance de l’entreprise et en tirer suffisamment de revenus pour faire vivre tout ce beau monde augmente et menace son fragile équilibre. Stress, insomnie, anxiété…

Tous ne souhaitent pas suivre les pas de leurs parents, mais la pression pour y cheminer est parfois forte. Les 150 vaches en lactation et l’entreprise que son père a léguées à Carl* sont venues à bout de ses forces. Trop, c’est trop. Encore plus quand la passion n’y est plus. Sixième génération à la ferme, Carl a d’abord dit oui à ce « projet de vie », ne voulant pas déplaire à son illustre paternel, friand de médailles agricoles. Et ne voulant pas être celui, aux yeux de cet homme plus grand que nature, qui aura mis un terme à son rêve, à la tradition centenaire. Privé de ses propres ambitions, Carl n’était pas à sa place. Il s’est échappé de sa situation en se gelant…

Les cas comme ceux de Jack, du Maître-éleveur, de Cynthia et de Carl sont nombreux. On occulte bien souvent son état pour sauver la face. Personne n’est assez déconnecté pour se rendre compte qu’une telle situation est problématique.

Quand on est fatigué, épuisé, surmené, on cherche parfois son paradis ailleurs…

 

Paradis artificiels

Nul besoin d’aller dans la grande ville pour se procurer des substances psychoactives. Au village, on sait où trouver le revendeur. Pour les jeunes en région, changer son réseau d’amis est loin d’être facile. La même petite « gang » nous suit. Changer d’amis, c’est aussi changer de mentalité. « Il faut qu’un jeune retrouve tous les intérêts positifs du monde pour ne pas retourner dans la consommation », disent les ressources d’aide consultées.

Pour certains, jeunes ou moins jeunes, l’image compte pour beaucoup. Et la pression de l’entretenir est forte. Gâtez-vous, qu’ils disent, vous le méritez bien! D’autres diraient plutôt : laissez faire le voisin et tout ce qu’il a. Il faut savoir se contenter de ce qu’on a et s’aimer soi-même.

En avez-vous vraiment besoin? Pourquoi devoir toujours planer? Qu’est-ce qui ne va pas? Souffre-t-on d’un mal de vivre? D’un manque d’affirmation de soi? Les substances psychotropes sont un leurre. Il y a toutes sortes de bonnes habitudes dans la vie. On doit se trouver un à-côté qui fait du bien. Qu’est-ce qu’il nous faut pour avoir un buzz qui soit naturel? La consommation excessive, ça commence toujours par une première fois.

Les ressources d’aide disponibles sont compétentes et attentionnées, mais sont-elles suffisantes? Sans doute pas. Récemment, à la Clinique d’anxiété de Montréal, on ne prenait plus de nouveaux patients, car la liste d’attente était trop longue! Qu’en est-il en région?

Quand un jeune a sa place dans l’entreprise, quand il a une valeur décisionnelle, cela lui procure à la fois intérêt, satisfaction et défis. Si l’ambiance est directive, il trouvera autre chose pour le faire « buzzer » – ce peut être l’alcool, le cannabis ou d’autres drogues. Cela dit, ce ne sont pas tous les jeunes qui consomment, indiquent les statistiques, loin de là. Il y a des profils plus sujets à ça. Les jeunes, il faut leur faire attention.

Lire l'article complet dans l'édition de novembre-décembre 2019 du Coopérateur.

*Récit et noms fictifs

 

Patrick Dupuis

QUI EST PATRICK DUPUIS
Patrick est rédacteur en chef adjoint au magazine Coopérateur. Agronome diplômé de l’Université McGill, il possède également une formation en publicité et en développement durable. Il travaille au Coopérateur depuis plus de vingt ans.

patrick.dupuis@lacoop.coop

patrick.dupuis@sollio.coop

QUI EST PATRICK DUPUIS
Patrick est rédacteur en chef adjoint au magazine Coopérateur. Agronome diplômé de l’Université McGill, il possède également une formation en publicité et en développement durable. Il travaille au Coopérateur depuis plus de vingt ans.

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