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Jérémie Lévesque : cultivateur, inséminateur, centenaire extraordinaire!

En 2022, tout comme Sollio, Jérémie Lévesque célèbre 100 ans d’agriculture. Portrait de ce jeune homme « qui ne fait pas plus qu’un 80 ans en forme », selon Gilles Asselin, expert-conseil de Nutrinor Coopérative!

Il a de l’énergie pour deux, une bonté innée, un esprit positif qui pollinise ceux qu’il côtoie. Il a l’agriculture au cœur et il véhicule toutes les valeurs qui vont avec : l’amour du métier, des animaux, des sols, des terriens. Le 22 octobre 2022, Jérémie Lévesque a eu 100 ans.

C’est son grand-père Eugène qui est venu de Jonquière à Normandin pour établir une ferme modeste : trois hectares, deux vaches, pas de maison. « Mon grand-père est décédé en 1919. Mon père, Albert, a hérité », raconte Jérémie, qui a continué la ferme, portant le troupeau à une douzaine de vaches, aidé par sa complice Agathe Frigon, fille de cultivateur qu’il a épousée en 1965 et sans qui la ferme n’aurait pas traversé les âges. Si l’ouvrage ne manquait pas à l’époque, malgré la petitesse de l’entreprise, en tout cas « il y avait moins de documents à remplir! » rigole Jérémie, qui se rappelle une facture de taxes municipales de 14,50 $! Le lait ne voyageait pas beaucoup, car une fromagerie était établie en face de la ferme.

Pour diversifier les revenus, Jérémie Lévesque a pratiqué le métier d’inséminateur pendant 22 ans, ce qui lui a donné une perspective sur le secteur agricole. « J’ai dû inséminer une trentaine de milliers de vaches au fil du temps. Elles ont beaucoup augmenté de taille! Avant, c’étaient des Canadiennes. Moi, j’ai changé pour la Holstein. Avec les années, j’ai vu beaucoup de fermes qui ont abandonné, vendues à des voisins. Ça reste les mêmes terres cultivées, sur des fermes plus grosses. Ça me fait drôle de ne pas voir de vaches dehors sur le rang, des granges “débâties”, moins de familles agricoles… »

Jérémie Lévesque

Hormis une ouïe laborieuse, Jérémie Lévesque a une santé de fer. Pas d’alcool, pas de tabac, pas de travail excessif, voilà le secret de sa longévité. Il faut aussi bien manger et ne pas sauter de repas, insiste-t-il. « Ma mère, Yvonne Larouche, est morte quand j’avais 11 ans. Je me suis morfondu, malade de chagrin, mais des femmes de mon entourage m’ont “changé les sangs” en me rendant malade avec de l’alcool et du citron. Ça m’a sauvé la vie », explique-t-il, croyant que c’est aussi ce qui lui a permis de vivre si longtemps.

Vivre longtemps, tout en affrontant quelques relents d’âgisme ici et là. « Je me suis déjà fait dire : “Si j’étais à ta place, je me bercerais sur la galerie.” Le gars avait une belle instruction, mais pas d’éducation! » dit Jérémie, sourire en coin, homme autonome qui a résidé un mois en maison d’aînés après une pneumonie - très peu pour lui. « Mon père vieillit à merveille », ajoute Gabriel, son fils, qui exploite depuis 1998 la Ferme Gaby Lévesque avec sa conjointe, Mélissa Landry. « Louise, ma sœur infirmière, s’occupe bien de lui. Le seul problème, c’est qu’il perd tous ses amis. Il vit donc de la solitude. Mais au moins, il a une belle liberté. »

Gabriel, qui dit ne plus voir que son père a 100 ans, ajoute : « L’hiver, il vient deux fois par semaine à l’étable. Durant l’été, il est ici tous les matins à 8 h 30 avec sa boîte à lunch. Il vit pour la ferme et la famille. Il fait du tracteur, ramasse un 100 balles rondes, les enrobe, décharge de l’ensilage, laboure, fauche, racle, épand du fumier, répare un bol à eau. Il fait aussi les commissions : des poches de moulée à la coop ou des pièces qu’il va chercher en pickup, car il a encore son permis. »

Mais pour l’heure, c’est changer l’huile de l’International 434, petit tracteur de la fin des années 1960, qui occupe Jérémie, couché en dessous pour dévisser le bouchon d’huile, après avoir découplé de la prise de force la poulie de 100 lb qui entraîne la courroie de la scierie mobile! Un tracteur dont le moteur est à son image, qui n’a jamais été « ouvert ». « Je n’ai jamais dépensé plus de 20 piastres sur lui! » assure Jérémie. Il fait tourner les boîtes à ensilage, la pompe à fumier ou la scierie – ce n’est pas un tracteur indispensable à la ferme, mais il accomplit de petites besognes, à son rythme, à sa capacité.

Tel homme, tel tracteur!

D’hier à demain

Jérémie, « c’est un monument, une encyclopédie, un beau soleil, dit de lui sa bru, Mélissa. Il fait des jardins extraordinaires. On lui demande des trucs sur tout ce qui touche la ferme! » C’est que l’homme continue de se cultiver, lecteur avide de La Terre de chez nous. De haut de sa jeunesse éternelle, il a connu l’agriculture avec des chevaux, remplacés en 1951 par l’achat d’un premier tracteur Ford. « Quand on a acheté nos chevaux Blacka et Little, l’année passée, un Canadien pur sang et un Quarter Horse croisé, il était très surpris, raconte Mélissa. Il s’aperçoit qu’ils peuvent servir à autre chose qu’au travail, qu’ils nous donnent autant d’amour qu’on peut leur en donner! »

Jérémie Lévesque a aussi connu les débuts des coopératives. « Mon père a pris une part sociale à la coopérative de Saint-Félicien en 1926. La coopérative nous a beaucoup aidés. Elle avait tout ce dont on avait besoin – et même un peu de crédit à l’occasion! » rigole le Normandinois, qui se rappelle des souvenirs moins drôles d’avant les coops, rapportés par son père Albert : des vaches vendues 12 $, du cochon à deux cennes la livre à l’abattoir… Pour Gabriel, « la coop a toujours été là, est encore là », sorte de force tranquille dans le paysage jeannois. La coopération a amélioré le sort de la ferme, qui n’a jamais eu besoin de prêts, pas même aujourd’hui, s’enorgueillit Jérémie. « J’ai eu la ferme gratis de mon père et je l’ai aussi donnée gratis. Je n’ai pas voulu donner de misère à Gabriel. Ça ne valait pas une fortune, ni pour moi ni pour le gouvernement! » Même sans emprunts, la ferme a réussi plusieurs sauts technologiques ou règlementaires. Le plus marquant pour Jérémie est certainement l’arrivée des trayeuses mécaniques, en 1960 – « une amélioration terrible », qualifie-t-il de sa parlure colorée. Bref, ne comptez pas sur Jérémie pour s’apitoyer sur le sort des agriculteurs, petits et gros. « Ce n’est pas plus difficile de vivre en agriculture aujourd’hui. On a de bonnes machines, de bons services. Oui, ça coûte cher, mais les agriculteurs font de l’argent! »

Et l’avenir? La ferme moyenne compte, au Québec, 70 kg de quota; celle des Lévesque en possède 42. « On vit assez bien, mais il ne faut pas être extravagant ou envier les autres », juge sagement Gabriel. En 1975 et en 1984, on a acheté deux lots de terre, décision salutaire pour donner une certaine envergure à l’entreprise, qui cultive aujourd’hui 121 ha de luzerne, maïs-ensilage et orge. Toutes les options sont sur la table : la vente à la belle-fille, à un repreneur non apparenté, l’encan aussi. Gabriel, 55 ans et quatrième génération, en est conscient, tout comme son père. « Je me ferme les yeux. Je ne verrai peut-être pas ça de mon vivant », avance, prudent, Jérémie.

Mais le centenaire revient au temps présent, retourne à ses occupations : besognes à la ferme, fabrication de traîneaux en bois pour les motoneiges, pêche et chasse à la perdrix, récolte de tomates qu’il offre à ses voisins et ses enfants. Il a la tête pleine de projets pour encore au moins les deux prochaines années.

Ou décennies?

Photos par Étienne Gosselin : (en-tête) Mélissa Landry, Jérémie Lévesque et Gabriel Lévesque.

Étienne Gosselin

QUI EST ÉTIENNE GOSSELIN
Étienne collabore au Coopérateur depuis 2007. Agronome et détenteur d’une maîtrise en économie rurale, il œuvre comme pigiste en communication et dans la presse écrite et électronique. Il habite Stanbridge East, dans les Cantons-de-l’Est, où il cultive le raisin de table commercialement.

etiennegosselin@hotmail.com

QUI EST ÉTIENNE GOSSELIN
Étienne collabore au Coopérateur depuis 2007. Agronome et détenteur d’une maîtrise en économie rurale, il œuvre comme pigiste en communication et dans la presse écrite et électronique. Il habite Stanbridge East, dans les Cantons-de-l’Est, où il cultive le raisin de table commercialement.