La marge alimentaire journalière : aller au-delà des coûts et de la marge par kilogramme
Les défis du contexte économique actuel nous obligent à maximiser la marge alimentaire journalière en tenant compte des coûts, mais aussi des revenus, pour finalement augmenter la capacité de remboursement (CDR) et le solde résiduel.
Il n’y a pas si longtemps, le secteur laitier a vécu une période favorable où du quota non négociable a été transformé en quota négociable, accompagné de dons de quota et de multiples journées additionnelles de production. Nous avons alors assisté à une progression impressionnante du quota moyen par ferme, à des achats de terres et d’animaux pour produire ce quota et, pour plusieurs, à des investissements majeurs en infrastructures pour donner du confort aux vaches dans des installations modernes à la fine pointe de la technologie. Nous étions alors dans un contexte économique favorable avec des taux d’intérêt très bas et une augmentation du prix du lait, tant attendue, enfin reçue.
Et puis, la pandémie et la guerre en Ukraine ont exercé une pression énorme sur les coûts de pratiquement tout ce qu’une ferme laitière peut acheter : machineries, équipements, intrants en alimentation et en productions végétales, etc. Mais l’élément qui a certainement le plus d’impact sur les liquidités des fermes, c’est l’augmentation des taux d’intérêt.
L'impact des taux d'intérêt sur les fermes laitières
Par exemple, une ferme de 100 kg de quota avec un revenu annuel d’environ 1 million $ et un endettement moyen de 27 000 $/kg sur 20 ans qui renouvelle ses prêts à un taux de 3 % supplémentaire se retrouve avec une augmentation de 51 000 $/année en annuité, soit environ 5 % des ventes de l’entreprise. Ce qui, dans bien des cas, fait fondre le solde résiduel minimal souhaité de 5 % des ventes. En gardant toujours cette cible minimale, ou bien on ajuste les remboursements de prêts avec le créancier pour respecter la CDR, ou bien on s’attaque aux dépenses et aux revenus (probablement les trois).
Au chapitre des dépenses, tous et toutes font leur possible pour en garder le contrôle, mais c’est un défi de réduire les dépenses sans affecter les revenus et sans hypothéquer le moyen terme de la ferme comme l’entretien de la machinerie et des équipements, la terre, la production et la santé du troupeau.
Réduire les coûts d'alimentation du troupeau?
L’alimentation du troupeau est un poste de dépenses majeur dans une ferme laitière. Il est légitime de vouloir s’y attaquer pour augmenter sa rentabilité, mais il ne faut pas oublier qu’il est aussi un poste majeur pour générer du revenu et contribuer à la santé du troupeau. On parle souvent de coûts, mais l’élément clé pour bien mesurer la marge alimentaire, quel est-il? Il est vrai qu’il faut considérer les revenus et les coûts/kg pour connaître la marge/kg de gras, mais il faut aller plus loin, surtout si on ne compare pas des productions similaires.
Selon les statistiques des Producteurs de lait du Québec, il y a depuis des mois, pour ne pas dire des années, toujours environ 1000 fermes en situation de production non reportable (sous-production) au Québec. Il y a donc un potentiel important de revenus à aller chercher. Dans un contexte où les achats de terre et les agrandissements sont coûteux et la main-d’œuvre rare, il faut se demander s’il est possible de dégager une meilleure marge alimentaire journalière avec les infrastructures disponibles, afin d’améliorer la CDR.
Les comparaisons et leurs limites
Pour bien comprendre que de comparer des coûts/kg entre fermes de productivité différente ne dit pas tout, partons d’une ferme de 140 kg de gras livrés avec un coût d’alimentation de 4,48 $/kg en concentrés et de 2,52 $/kg en fourrages, pour un total de 7,00 $/kg. Dans le graphique 1, les huit fermes de 100 vaches dont la production varie de 1,16 kg à 1,7 kg de gras vendu/vache/jour livrent entre 116 et 170 kg de gras/jour.
Dans un premier temps, si l’on regarde la marge journalière générée par la ferme moyenne, soit 1982 $, l’histogramme nous indique quels devraient être les coûts en concentrés/kg pour générer la même marge alimentaire journalière, et non un constat réel observé! Les huit fermes dégageraient la même marge journalière, avec ces coûts totalement différents, parce qu’elles ne livrent pas le même quota.
Dans les constats habituels, on voit souvent des coûts/kg similaires pour des niveaux de productivité différents. Ici, on démontre à quel point, lorsque la productivité augmente, les coûts pourraient monter pour réaliser la même marge, et à quel point, lorsque la productivité baisse, les coûts de concentrés devraient baisser, toujours pour réaliser la même marge. Autant avec une augmentation qu’avec une diminution de productivité, ces coûts sont loin des constats réels. La ferme à 1,61 kg de gras verra-t-elle ses coûts de concentrés/kg monter de 2,18 $/kg pour passer à 6,66 $? Très probable que non. De l’autre côté, les mêmes 100 vaches qui produisent 125 kg de gras le feront-elles avec un coût de 2,48 $/kg? Encore là, fort probable que non.
Considérant que les coûts et la marge/kg sont, la plupart du temps, très comparables d’une ferme à l’autre, regardons ici pour nos huit fermes, avec des coûts d’alimentation similaires, la différence de marge alimentaire annuelle dégagée par rapport à notre ferme moyenne qui livre 1,40 kg : 155 000 $ supplémentaires avec 1,7 kg livré ou 124 000 $ en moins avec 1,16 kg livré, soit un écart de 279 000 $/année pour un même nombre de vaches en lactation (voir le graphique 2).
Vous me direz : « Oui, mais les fermes ne livrent pas le même quota. » C’est justement la partie de l’équation qu’il ne faut jamais oublier. Nos composantes du lait affectent le revenu/kg, notre alimentation affecte les coûts/kg et la différence entre les deux nous donne notre marge/kg. Mais qu’est-ce qui donne la marge alimentaire en fin de compte pour payer les autres charges de l’entreprise, les salaires, les remboursements de prêts et dégager le solde résiduel le plus élevé possible? C’est la marge/kg multipliée par les kilogrammes livrés. Ces 2 éléments sont indissociables. La marge dégagée par la productivité servira à acheter le quota et à valoriser les actifs de la ferme à leur plein potentiel. À productivité égale en kilogrammes de gras livré, on veut le coût le plus bas possible, mais à productivité différente, peut-on réellement comparer les coûts sans comparer les revenus?
Si on vous posait la question suivante : qu’est-ce qui est le plus payant pour un salarié, gagner 20 $/h ou 25 $/h? On ne peut pas répondre à cette question sans connaître le nombre d’heures travaillées. Qu’est-ce qui est le plus payant entre une marge à 14 $/kg et une à 13,50 $/kg? On ne peut pas connaître la réponse à moins de savoir le nombre de kilogrammes livrés. L’objectif ultime est de produire le plus de kilogrammes possible au meilleur coût possible pour dégager la meilleure marge alimentaire journalière. N’oubliez jamais de multiplier la marge/kg par les kilogrammes livrés. Sur Lactascan, prenez le temps de regarder votre marge/vache/année (kg gras/v/jr × marge/kg × 365 jours). Comment est-elle?
Toutes les fermes font leur possible pour faire de bons fourrages et produire un lait rentable. Mais parfois, la météo ne collabore pas et, une fois les récoltes terminées, on fait quoi? On accepte une baisse de production ou on essaie de livrer le quota, qui sera inévitablement à coût plus élevé/kg? À la fin de l’année, probablement que la conclusion donnera un constat de coûts/kg plus grand, avec un sentiment d’échec, mais c’était fort probablement la meilleure chose à faire pour maximiser la marge journalière. Posons-nous toujours la question : est-ce que livrer le quota dégagera une marge journalière plus grande que de sacrifier de la production/vache/jour à coût/kg plus faible?
Enfin, au-delà des coûts d’alimentation, gardons aussi en tête le nombre d’animaux nécessaire pour livrer un même quota, lorsque la productivité/vache varie. Les autres charges variables et fixes, telles que le besoin en main-d’œuvre, en terre et en bâtiment, ne sont pas incluses dans votre marge alimentaire des vaches en lactation, mais si la productivité monte, elles auront un impact majeur sur le solde résiduel de votre ferme. Si on compare 1,25 kg avec 1,55 kg/vache, c’est 42 têtes de différence pour livrer les mêmes 140 kg de gras, ce n’est pas rien (voir le tableau1).
Les défis du contexte économique actuel nous obligent à maximiser la marge alimentaire journalière en tenant compte des coûts, mais aussi des revenus, pour finalement augmenter la CDR et le solde résiduel. N'hésitez pas à contacter votre expert-conseil si vous avez des questions sur le sujet.
Photo d'en-tête : Étienne Gosselin