
Les plastiques agricoles n’ont pas à prendre le chemin de l’enfouissement, car il existe une solution de rechange pour les récupérer : AgriRÉCUP. De plus en plus de points de collecte existent et permettent aux producteurs de rapporter leurs plastiques afin de viser le zéro-déchet.
Été 2021. Philippe Dubuc vient déposer ses vieux bidons d’herbicides au BMR Express de Sainte-Martine, en Montérégie. Il remarque alors les nouveaux casiers destinés à la récupération des plastiques agricoles. Agréablement surpris, le producteur laitier de Mercier s’empresse de prendre des sacs vides réservés à cet effet pour en entreprendre la récupération chez lui. « Je suis proenvironnement, affirme-t-il. Nous utilisons beaucoup de matériaux dans le domaine laitier. Je crois que nous devrions faire attention et essayer de trouver des façons de les récupérer. »
La pellicule d’enrubannage des balles de foin humide, que l’éleveur prenait auparavant le temps de plier et d’enrouler avant de la déposer dans son bac bleu, aboutit désormais dans un des sacs spécialement fournis par AgriRÉCUP. Un autre sac est quant à lui destiné à la récupération des ficelles. « Je n’ai pas jeté une seule corde à balle depuis six mois, déclare Philippe Dubuc. Normalement, la corde compte pour 75 à 80 % des déchets de la ferme, car nous produisons tout notre foin sec en petites balles. » Le changement, en plus de lui permettre d’économiser de l’espace dans ses conteneurs de récupération et de déchets, ne lui demande pas davantage de temps ni d’efforts. Il n’a qu’à rapporter les sacs au site de collecte de Sainte-Martine une fois remplis.
Serge Gervais gère les magasins BMR Express de Sainte-Martine et Agrizone de Saint-Polycarpe pour Uniag Coopérative. L’été dernier, il y a installé deux points de dépôt pour les plastiques agricoles en collaboration avec l’organisme AgriRÉCUP. Ce dernier coordonne ensuite le ramassage et l’acheminement des matériaux récupérés vers les sites de recyclage. Toujours avec AgriRÉCUP, Serge Gervais a tenu une semaine de récupération des tubulures, embouts et raccords acéricoles au cours du mois de novembre.
Le gestionnaire dresse un bilan positif de l’expérience. « Jusqu’à maintenant, tout se passe bien, dit-il. La majorité des gens respectent les consignes et mettent les plastiques dans le casier qui leur est assigné. »
Un projet-pilote qui fait des petits
Bon an mal an, 11 000 tonnes de plastiques à usage unique sont utilisées dans les fermes de la province, selon une étude de RECYC-QUÉBEC. Plus de la moitié de ces plastiques, soit 6500 tonnes, servent à l’emballage et à la conservation du foin et de l’ensilage. Jusqu’à tout récemment, la plupart de ces matières aboutissaient à la poubelle, faute d’autre option pour les recycler ou les valoriser.
Depuis 2019, AgriRÉCUP travaille avec ses partenaires à la mise en place d’un réseau de collecte et de valorisation de cette catégorie de plastiques agricoles. Sollio Groupe Coopératif participe activement à cette initiative par l’entremise de ses coopératives membres, des détaillants BMR, des Agrocentres et des meuneries.
Ainsi, en deux ans, le projet-pilote de récupération de la pellicule d’enrubannage, de la ficelle et des filets a permis de recueillir près de 135 tonnes de plastique uniquement dans la région de Saint-Hyacinthe, grâce à deux points de collecte (La Coop Comax et La Coop Sainte-Hélène). Si on inclut la récupération des bidons de pesticides vides, sacs divers (semences, fertilisants) et autres contenants de plastique, ce sont environ 420 tonnes de matière qui ont été détournées de l’enfouissement depuis cinq ans grâce aux 24 points de collecte situés chez les détaillants de Sollio Agriculture.
Ce résultat peut sembler modeste, vu l’imposante quantité de plastique utilisé par le secteur agricole. Mais ce n’est qu’un début, si on se fie à Christine Lajeunesse, directrice d’AgriRÉCUP pour l’est du Canada. « Grâce aux projets-pilotes, les régions de Chaudière-Appalaches et de la Montérégie sont pratiquement couvertes en entier par des points de collecte. En 2022, le réseau de récupération sera étendu afin que la majorité des agriculteurs ait accès à un point de dépôt avant la fin de l’année. Sinon, ce sera fait au plus tard en 2023. »
Le casse-tête des plastiques agricoles
« Les producteurs agricoles demandaient depuis longtemps de pouvoir récupérer leur plastique, mais il n’existait pas ou peu de débouchés », raconte Patricia Duchesne-Laforest, conseillère en environnement pour Sollio Groupe Coopératif. Ce n’est plus le cas maintenant. Une grande partie des plastiques récupérés sont transformés au Québec, une petite proportion est envoyée en Ontario et certains jusqu’aux États-Unis afin d’amorcer une seconde vie. Pour la plupart, ils sont transformés en billes de plastique et réutilisés par des fabricants pour confectionner d’autres produits. Les bidons de plastique entrent, pour leur part, dans la production de drains, tandis que les sacs en polypropylène sont envoyés à la valorisation énergétique pour la fabrication de ciment.
Christine Lajeunesse croit que les débouchés vont se multiplier encore dans le futur. « De plus en plus, il y aura une demande de plastique postconsommation, parce que les consommateurs mettent beaucoup de pression sur les entreprises pour qu’elles utilisent du plastique recyclé au lieu du plastique vierge dans leurs produits », explique la directrice d’AgriRÉCUP.
Pour que les recycleurs puissent effectivement valoriser le plastique récupéré, les agriculteurs devront fournir une matière de qualité. « L’enjeu avec les plastiques agricoles est que leur taux de contamination est très élevé, explique la conseillère Patricia Duchesne-Laforest. Il faut donc bien secouer ou balayer les plastiques pour éliminer les débris. On doit aussi réduire, autant que possible, le risque de contamination à la source. Par exemple, on peut tenter de dérouler la balle de foin dans un endroit plus propre, exempt de fumier ou de saleté. »
En outre, il est important de trier les différents types de plastique utilisés à la ferme. Le plastique d’enrubannage des balles rondes doit être récupéré séparément des sacs-silos ainsi que des ficelles et des filets.
« Il y a une part de responsabilité des agriculteurs, qui doivent veiller à ce que leurs plastiques soient propres et bien triés, soutient Patricia Duchesne-Laforest. Le mauvais recyclage fait augmenter les coûts. Si on envoie aux points de collecte des matières non conformes, il en coûtera plus cher pour les traiter, et ces coûts supplémentaires devront éventuellement être assumés par le producteur utilisateur. »
Règlementation 2.0 et écofrais
L’établissement d’un réseau provincial de récupération des plastiques agricoles s’inscrit dans un changement à venir dans la règlementation. L’actuel Règlement sur la récupération et la valorisation de produits par les entreprises (RRVPE) encadre déjà la gestion en fin de vie des huiles, peintures, piles et appareils électroniques, entre autres. Dans sa nouvelle mouture, qui entrerait en vigueur en 2022, plusieurs nouveaux produits seront inclus, dont les plastiques agricoles : pellicules, contenants et sacs de plastique; ficelles; tubulures et embouts acéricoles; plastiques horticoles.
Suivant le RRVPE, les premiers fournisseurs de ces produits (BMR Agrizone, Agrocentres, meuneries et autres détaillants agricoles) devront mettre en place un programme de récupération et de valorisation. De plus, ils devront financer ce programme ou, sinon, mandater un organisme reconnu par RECYC-QUÉBEC pour le faire.
Patricia Duchesne-Laforest explique les impacts concrets de ces changements : « Cela ne signifie pas que la collecte va devenir obligatoire pour les agriculteurs, mais les fournisseurs de ces produits devront dorénavant financer la récupération et la valorisation des plastiques agricoles. Ces coûts additionnels pourraient être intégrés dans le prix des plastiques. C’est le même principe que pour les écofrais que l’on voit sur notre facture lorsqu’on achète des appareils électroniques. Cette mesure garantit que ces produits seront récupérés et recyclés adéquatement au lieu de se retrouver dans des sites d’enfouissement. »
Le montant de ces écofrais n’a pas encore été établi. Pour ce faire, on calculera tous les coûts liés à la récupération des plastiques et on le divisera par la quantité de plastiques mis sur le marché. À terme, ces coûts seront absorbés dans le prix de vente des produits et pourraient passer inaperçus aux yeux du consommateur.
En ce qui concerne la catégorie, plus large, des plastiques horticoles, elle disposera d’un délai supplémentaire de 36 mois pour répondre au RRVPE à la suite de son entrée en vigueur. « Ça prendra quelques années avant que tout soit mis en place pour récupérer ces plastiques, déclare Christine Lajeunesse, d’AgriRÉCUP. Le gouvernement nous a donné une prolongation pour cette catégorie, puisqu’elle est plus complexe et n’a pas bénéficié de beaucoup de recherche jusqu’à maintenant. »
Photo : AgriRÉCUP