Le Japon entrouve la porte au riz américain

Le Japon met-il sa sécurité alimentaire en jeu avec l'entente commerciale permettant l'entrée du riz américain sur l'archipel nippone?

Publié le
Grand dossier
International
Riziculteur japonais qui récolte son riz

Auteurs de contenu

Image de Nicolas Mesly

Nicolas Mesly

Journaliste, agr.

Nicolas est journaliste, agroéconomiste, auteur, conférencier et documentariste.

L’augmentation fulgurante du prix du riz, l’aliment de base de 124 millions de Japonais, a provoqué la démission du premier ministre japonais en septembre dernier. Ce dernier a signé une entente commerciale avec le président américain Donald Trump pour concéder un accès au riz américain. Ce faisant, l’archipel met-il sa sécurité alimentaire en jeu?

Tout comme le premier ministre canadien Mark Carney, le premier ministre japonais Shigeru Ishiba a subi les pressions du président américain et a conclu une entente pour limiter les dégâts sur son économie en juillet dernier. En échange d’une réduction de tarifs de 25 % à 15 % entre autres sur les exportations d’autos japonaises aux États-Unis et d’un investissement nippon de 550 milliards $ US dans le pays de Donald Trump, le Japon concède aussi un accès au riz américain.

L’entente commerciale prévoit l’augmentation de 75 % d’importation de riz américain soit 770 000 tonnes exemptes de tarifs annuellement. Outre le riz, le gouvernement japonais s’est engagé à acheter 8 milliards $ US de denrées américaines, dont du maïs et du soya.

Le riz, cultivé au Japon depuis 2000 ans, fait partie de l’ADN culturel du pays du Soleil levant. « Les enfants japonais visitent les cultivateurs de riz dès le primaire et la céréale est au menu quotidien de quelque 124 millions de Japonais », explique l’homme d’affaires et ex-délégué général du Québec à Tokyo (2022-2025), Chénier La Salle, qui a vécu 17 ans dans l’archipel.

Le gouvernement japonais subventionne et contrôle la production domestique d’environ 9 millions de tonnes par an pour maintenir le prix, impose des tarifs élevés aux importations et administre des réserves publiques du petit grain blanc au nom de la sécurité alimentaire.

Instaurée dans les années 1970, cette politique du riz a été mise à mal alors que le prix du grain s’est envolé fin 2024-début 2025, alimentant l’inflation et la grogne des consommateurs. Le prix d’un sac de riz de 5 kg vendu dans les supermarchés a doublé, passant d’environ 18,00 $ CA à plus de 36,00 $ CA.

« Les grands médias ont attribué la possibilité de manque de riz à l’extrême chaleur, juste après l’annonce d’un tremblement de terre et avant la semaine de la Fête nationale Obon. Cela a créé un mouvement de panique chez les consommateurs pour acheter du riz », soutient Futoshi Yamauchi, chercheur à l’International Food Policy Research Institute1.

Selon l’expert, le pays n’a jamais manqué de riz, la récolte de 2024 étant supérieure à celle de 2023, mais le gouvernement japonais a tardé à mettre une réserve de plus de 200 000 tonnes sur le marché pour diminuer le prix du riz à l’épicerie et calmer le jeu.

« Cette inaction et le manque de transparence des autorités ont servi les producteurs et leurs coopératives qui produisent et mettent le riz en marché en maintenant le prix élevé », soutient Dr Masayoishi Honma, professeur et expert des questions agricoles à l’Asian Growth Resarch Institute. L’affaire a contribué à la démission en septembre 2025 du premier ministre japonais à la tête du parti libéral-démocrate (PLD) qui est actuellement au pouvoir.

Le jeune ministre de l’Agriculture, 44 ans, Koizumi Shinjito, à qui on attribue d’avoir endiguer la crise du prix du riz, était pressenti pour le remplacer. Mais le 4 octobre dernier, les membres du PLD ont plutôt choisi d’élire Sanae Takaichi, 64 ans, qui pourrait devenir la première femme à diriger le pays. Et une nouvelle politique du riz est prévue en 2027.

Toutefois, le nombre de fermes rizicoles a fondu au Japon depuis quelques décennies, passant de 4,6 millions en 1970 à 700 000 en 2020. L’âge moyen d’une grande tranche des producteurs est de 68 ans et la relève ne se bouscule pas au portillon. Outre le défi de la relève, les producteurs japonais font face à l’augmentation rapide du coût des intrants et aux changements climatiques.

En attendant, la plus grande chaîne de distribution alimentaire japonaise, Aeon, a commencé à vendre du riz Calrose, reconnue pour être la variété fondatrice de l’industrie du riz en Californie. Reste à voir si les consommateurs japonais favoriseront le riz « made in Japan » au lieu du riz américain en termes de qualité et de prix. « Les Japonais dépendent des importations étrangères pour près de deux tiers de leurs besoins nutritionnels, tandis qu’ils sont autosuffisants en riz. Sont-ils prêts à troquer leur sécurité alimentaire pour du riz produit en Californie alors que cet état subit les foudres du dérèglement climatique? », questionne le spécialiste du Japon, Chénier La Salle.


Référence

1 « Japan reaps the consequences of flawed rice policies », 29 mai 2025, Eastasiaforum.

Publicité

Publicité

Explorer davantage

Autres suggestions de lecture