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La famille Houle produit des grains, de la chair et des œufs

Photo : La ponte en volière change complètement la relation de l’éleveur avec ses animaux, qui sont plus détendus, voire sociables et curieux.

Dans le 8e rang de Saint-Germain-de-Grantham ou le 10e rang de Saint-Edmond-du-même-nom, la famille Houle produit des grains, de la plume, de la chair et des œufs, non sans innover. Voyage à six arrêts au Centre-du-Québec, avec le guide avicole Gislain Houle, l’un des quatre propriétaires.

1. Histoire du pays

Voyage dans le temps : les premiers poulaillers dignes de ce nom apparaissent avec l’avènement de l’aviculture commerciale, vers 1960. Raymond Houle, 19 ans en 1961, est l’un des pionniers. Depuis ses 12 ans, il élève des poules et enfourche son vélo pour aller vendre ses œufs dans son rang et même au village de Saint-Germain. Plus tard, c’est dans le grenier de la porcherie familiale qu’il installe des cages, en vue d’y loger 3000 pondeuses. En 1968, il bâtit un premier poulailler pour l’élevage de poulets, suivi trois ans plus tard d’un pondoir, afin de passer à un cheptel de 15 000 oiseaux.

Rappelons que la fondation de la Fédération des producteurs d’œufs remonte à 1964, qu’en ce temps les prix fluctuent et les intermédiaires sont nombreux, qu’un premier plan conjoint assorti d’une agence de vente est instauré en 1966 pour stabiliser le marché et les revenus des producteurs, qui votent en faveur d’un office de commercialisation à 92 %. « Les premiers quotas sont émis gratuitement », rappelle Gislain Houle, aujourd’hui 1er vice-président de cette même fédération. « Par la suite, le prix du quota a été fixé à 45 ¢ par poule. Il a aujourd’hui une valeur plafonnée de 245 $. »

Les trois entreprises des Houle (Le Meunier du 8, Ovalco et Proferme), établies sur trois sites, cultivent 810 ha, élèvent sur 4500 m2 des poulets ayant une alimentation 100 % végétale pour La Ferme des Voltigeurs, et produisent des œufs de poules logées à 100 % en volière. Qu’elle paraît lointaine, l’époque du grenier et du fumier évacué à la pelle!

2. Vol 747

Automne 2012. Quand le mot « volière » n’était pas encore popularisé sous nos latitudes, Gislain Houle s’asseyait sur un seau, zieutant le comportement de ses volatiles, qui passaient d’un étage à un autre ou qui restaient au sol à l’extinction graduelle des lumières, plutôt que d’aller se jucher sur les perchoirs en hauteur, plus près des nids pour la ponte matinale. L’éleveur a installé un nouveau système d’élevage en volière dans un bâtiment existant et modifié un système pour poules d’incubation pour en faire une volière dans un autre, ce qui permet la sortie des oiseaux des unités de logement à partir de l’âge de cinq semaines. Quatre sources d’éclairage 100 % DEL placées à des endroits différents s’éteignent les unes après les autres, dans un ordre étudié pour encourager les traîneuses à aller se percher.

Aujourd’hui, chaque jour, ce sont au plus 100 œufs (soit environ 0,3 % des œufs) qui sont pondus au sol et qui doivent être ramassés manuellement. « La ponte au sol occasionne un peu plus de travail, que compense la prime sur les œufs. Je dirais qu’au final le vrai gagnant de la ponte en volière, c’est l’oiseau, qui profite d’une meilleure liberté », indique Gislain, qui a manifestement du plaisir à côtoyer ses poules de manière rapprochée. Au Québec, on estime à 15 % la proportion d’œufs produits en volière. 

Il fallait beaucoup de clairvoyance en 2011 pour vendre un quota de production d’œufs d’incubation (22 000 poules et coqs) et produire des œufs de consommation. « J’ai dû convaincre mon frère et mes parents du bien-fondé », admet Gislain, qui a privilégié la modification du système d’élevage plutôt que sa mise au rebut. « Les Houle sont des gens qui ont toujours été un pas en avant », juge Sylvain Proulx, conseiller spécialisé en aviculture pour Sollio Agriculture qui accompagne la ferme depuis peu.

3. Au pays de la Babcock

Gislain Houle est un entrepreneur avisé. Pour lui, les monopoles de fourniture d’intrants ne sont pas souhaitables. « La concurrence est bonne pour l’industrie, estime-t-il, tant pour des raisons économiques que sanitaires et politiques. » Ainsi, quand il s’est fait proposer la race Babcock, de Hendrix Genetics, propulsée par l’équipe avicole de Sollio Agriculture, il a décidé de ne plus mettre tous ses œufs dans le même panier. « En septembre 2020, je ferai un premier lot de 20 000 poussins élevés en poulettes. Après ce premier lot, et idéalement après deux ou trois, je pourrai évaluer les performances de cette race. » La Babcock effectue un retour en force, car elle était populaire dans les années 1980 et 1990. Grâce à sa persistance de ponte, sa viabilité et son comportement calme, elle devrait être hautement performante en volière.

4. Voyager léger

Les œufs ont déjà une faible empreinte environnementale, mais si on prolongeait à 14 mois le cycle de ponte, plutôt que les 12 mois usuels, on améliorerait le cycle de vie, au même titre que l’empreinte d’une vache laitière diminue et que sa rentabilité augmente à une troisième et à une quatrième lactation. Depuis deux ans, Gislain et la Fédération mènent donc un projet-pilote pour évaluer les avantages d’une ponte allongée des poules en volière, qui sont souvent encore très en forme au moment de la réforme. 

Pour l’instant, on a mesuré que le taux de ponte, typiquement de 92-93 % à 12 mois, était encore très bon à 14 mois (89-90 %). La qualité des œufs, notamment la dureté des coquilles, fait l’objet de collecte de données. Des calculs économiques devraient ensuite valider cette pratique. « Toute la filière des œufs travaille en étroite relation », dit Sylvain Proulx, qui juge plausible d’imaginer un cycle plus long. « Il faudra tenir compte des réalités de tous les maillons avant de prendre une orientation. »

5. Prendre l’air

Déjà, les poules d’un pondoir réussissent, par leur dégagement de chaleur, à chauffer l’enceinte à environ 20 °C, même l’hiver, selon Gislain. Mais pour leur offrir encore plus de confort, l’entreprise a investi dans un système central de ventilation et de récupération de chaleur, qui capte les kilojoules de l’air sortant pour les restituer à l’air entrant, dans un système sans contact entre les deux flux. « L’investissement se rembourse en sept ans, calcule Gislain. Les oiseaux ne mangent plus pour se réchauffer, l’humidité et l’ammoniac sont moins élevés dans le poulailler, et les condamnations dans le poulet sont moindres. Bref, on ne ventile plus pour chauffer : on chauffe pour ventiler! »

6. Nouveaux guides touristiques

Avec l’aide d’une vingtaine d’employés, Gislain s’occupe du secteur animal, et son frère Christian du secteur végétal. Ce dernier, programmeur de profession, a rejoint tardivement la ferme familiale, amenant avec lui sa vision des technologies. Les tracteurs sont aujourd’hui téléguidés; les champs, auparavant nivelés à l’œil, l’ont été successivement au laser puis au GPS. La culture sur billons annuels, le dada des Houle, permet de maximiser les rendements d’une rotation composée de maïs-grain (50 %), de soya IP (30 %) et de blé (20 %).

Avec neuf enfants, les frères comptent sur de nombreux repreneurs, motivés par une rétribution financière de leur travail, mais aussi par la passion contagieuse de leurs pères pour l’aviculture moderne. Le transfert s’amorcera bientôt, planifié sur plusieurs années. Trois des cinq enfants de Gislain se joindront à la ferme, l’un d’eux terminant sa formation à l’ITA de La Pocatière et un autre la commençant à l’ITA de Saint-Hyacinthe. Christian, avec quatre enfants, n’est pas en reste. Deux d’entre eux, une avocate-fiscaliste et un ingénieur en robotique, pourraient un jour, qui sait, marcher dans les traces de leur père et enrichir l’entreprise de leurs expertises respectives.

Étienne Gosselin

QUI EST ÉTIENNE GOSSELIN
Étienne collabore au Coopérateur depuis 2007. Agronome et détenteur d’une maîtrise en économie rurale, il œuvre comme pigiste en communication et dans la presse écrite et électronique. Il habite Stanbridge East, dans les Cantons-de-l’Est, où il cultive le raisin de table commercialement.

etiennegosselin@hotmail.com

QUI EST ÉTIENNE GOSSELIN
Étienne collabore au Coopérateur depuis 2007. Agronome et détenteur d’une maîtrise en économie rurale, il œuvre comme pigiste en communication et dans la presse écrite et électronique. Il habite Stanbridge East, dans les Cantons-de-l’Est, où il cultive le raisin de table commercialement.