Si l’agronome Martin Pelletier avait des pouvoirs magiques, il éradiquerait d’un coup de baguette le virus de l’influenza causant la grippe aviaire. En l’absence de ladite baguette, il privilégie le marteau – pour taper sur le clou de la biosécurité!
Il se spécialise en agronomie, mais pour parler de biosécurité dans les élevages, il pige dans le vocabulaire de la psychologie : observance, répétabilité, schémas d’inadaptation aux outils simples et éprouvés. Oui, à écouter Martin Pelletier, l’humain semble encore au début de sa courbe d’apprentissage liée à la biosécurité. L’agronome Éric Dion, directeur des stratégies commerciales du secteur avicole chez Sollio Agriculture, fait écho aux propos de Martin Pelletier : « La grippe aviaire, ce n’est jamais fini. Ça fait 26 ans que je travaille dans le réseau avicole coopératif et on parle encore du lavage, de la désinfection et de la biosécurité! »
« Ça demande de la rigueur, mais on peut améliorer le respect des mesures en aménageant un banc qui agit comme barrière physique à l’entrée d’un bâtiment. En plus d’être un rappel des précautions d’hygiène à prendre à l’intérieur du poulailler, le banc permet aussi de s’asseoir pour changer de chaussures plus confortablement », donne en exemple Martin Pelletier. La bonne vieille ligne rouge et le simple seuil comme barrières physiques apparaissent complètement dépassés, voire inefficaces.
« On ne peut pas stériliser l’environnement, poursuit-il. Notre seule arme si on ne veut pas avoir à intervenir, c’est de prévenir l’entrée des microorganismes pathogènes », rappelle le directeur général de l’Équipe québécoise de contrôle des maladies avicoles (EQCMA), officieusement créée en 2005, mais formée en organisme à but non lucratif en 2009 dans un grand effort de coordination et de partage de l’information pour le bien de la filière. Mettre en place des protocoles de biosécurité permet d’éviter de tomber en mode urgence ou éradication.
Ces jours-ci, des protocoles de biosécurité révisés dans la dernière année seront envoyés aux fermes avicoles et aux partenaires de l’industrie par les associations de producteurs. Ils présentent un code de trois couleurs pour imager trois niveaux de risque : orange (urgence), jaune (vigilance) et vert (situation courante). Cette dernière couleur ne devrait pas inciter au relâchement des mesures de biosécurité : elles sont plutôt destinées à être appliquées en tout temps pour prévenir l’introduction ou la propagation de toute maladie.
Prévalence
Il y a quelques années, on redoublait de vigilance lors des périodes migratoires – avril-mai et octobre-novembre –, explique Martin Pelletier, mais avec l’allongement des saisons qu’entraîne le réchauffement climatique, la période à risque s’étire maintenant sur pratiquement neuf mois avec des palmipèdes qui arrivent tôt au printemps ou s’éternisent en automne. « En 2022, on a trouvé des cas d’influenza aviaire de sous-type H5N1 en plein hiver », révèle-t-il. Les oiseaux migrateurs ne sont toutefois pas les seuls réservoirs de la maladie : on compte aussi les ratons laveurs et les oiseaux nicheurs qui habitent le territoire à l’année et des charognards tels que les urubus. « En 2022, on a rapporté des mortalités massives chez les canards eiders à duvet et les fous de Bassan », relate l’agronome.
Le virus a donc cette capacité de mutation interespèce – d’aviaire à mammifère – pour infecter l’humain ou l’animal sans nécessairement le tuer, rester endémique ou latent sans devenir épidémique ou pandémique, dépendamment des espèces. Depuis ce printemps, la maladie a même été détectée chez des ruminants tels que des chevreaux, des bovins laitiers et des alpagas aux États-Unis. « Pour le moment, le risque d’infection des humains par cette souche est faible, mais quelques personnes ont été infectées à ce jour. La crainte des professionnels en santé humaine est que ce virus mute pour devenir plus facilement transmissible aux humains et entre les humains », mentionne Martin Pelletier.
Les cas recensés fluctuent selon les années. En 2022, on rapportait 23 entreprises qui ont dû composer avec le virus de l’influenza, 28 en 2023 et, en 2024, seulement deux cas (élevage de canard et élevage de basse-cour). « Au sein des populations indigènes, le ministère de l’Environnement du Québec soutient que les oiseaux développent une résistance au virus, ce qui ferait diminuer le nombre de déclarations d’oiseaux contaminés. Les oiseaux peuvent toutefois être asymptomatiques, demeurer porteurs sans développer de symptômes », explique le spécialiste.
Pour les fermes avicoles commerciales, l’Agence canadienne d’inspection des aliments a réalisé plusieurs enquêtes de risque et a conclu que la proximité de plans d’eau a plus d’influence négative que la présence d’élevages de basse-cour. À l’inverse, la gestion des animaux morts est d’une importance cruciale, car ils peuvent être des foyers de contamination – et pas que de l’influenza, mais aussi du virus de l’herpès causant la laryngotrachéite infectieuse et du mycoplasme causant la mycoplasmose. Ressortons la baguette : abracadabra, disparus, les animaux morts!
Photo d'Étienne Gosselin
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