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CRISPR-Cas9 : pour franchir des pas de géant en amélioration génétique porcine

Photo : iStock

Gain moyen quotidien, conversion alimentaire, taille de portée, nombre de porcelets sevrés : ces caractères continuent de progresser grâce aux techniques d’amélioration génétique que l’on pratique depuis une cinquantaine d’années. La technologie CRISPR-Cas9 pourrait accélérer ce processus de façon fulgurante. Entretien avec l’agronome Frédéric Fortin, du Centre de développement du porc du Québec.

En quoi consiste la technologie CRISPR-Cas9?

Commençons par une petite révision du cours « Génétique 101 ».

Absolument. Soyez clair et précis.

L’ADN, le bagage génétique de tout individu, est une molécule présente dans le noyau de toutes les cellules de tous les êtres vivants, animaux et végétaux. C’est la molécule du vivant. Elle est universelle. Des segments d’ADN dans les chromosomes forment des gènes. Les gènes nous définissent : couleur des cheveux, couleur des yeux, grandeur, personnalité, espérance de vie, vulnérabilité aux maladies, etc. Chacun de ces gènes est constitué d’une série de molécules appelées nucléotides ou bases : adénosine, thymine, guanine, cytosine – A-T-G-C. Ce sont les quatre lettres de notre code génétique, notre alphabet, si vous voulez. Ces lettres se présentent par paires : A-T et G-C. Notre génome compte deux milliards de paires de nucléotides. Cette série de lettres est, selon le gène, plus ou moins longue. Les gènes ne sont pas tous composés d’un même nombre de lettres. Un gène code pour la synthèse d’une protéine. C’est la séquence de nucléotides qui lui est propre qui déterminera la fonctionnalité de cette protéine dans notre corps.

Très intéressant. Poursuivez !

Grâce à plusieurs avancées technologiques, notamment le programme Génome humain, nous avons maintenant la capacité de « décoder » le code génétique des êtres vivants. Nous sommes capables de lire les fameuses lettres qui le composent et de connaître l’ordre dans lequel elles se présentent.

Nous savons donc de quelles lettres sont composés les gènes qui codent pour les diverses caractéristiques d’un être vivant.

Maintenant, qu’est-ce que CRISPR-Cas9 ?

D’abord, CRISPR signifie clustered regularly interspaced short palindromic repeats, ou courtes répétitions palindromiques régulièrement espacées. En d’autres termes, ce sont des répétitions courtes de nucléotides. Il ne s’agit pas d’une technique d’amélioration génétique en soi. C’est lorsqu’on l’associe à autre chose – une enzyme, par exemple CRISPR-Cas9 – que cela devient un outil permettant d’intervenir dans le génome.

Comment ?

L’enzyme en question donne la possibilité de retrancher, de remplacer ou d’éliminer des portions du génome d’une plante ou d’un animal, afin d’en améliorer presque toutes les propriétés – du rendement à la résistance aux maladies. Avec CRISPR-Cas9, il est maintenant possible d’identifier, de façon extrêmement précise, une lettre de ce code, celle qui est défectueuse. On sait que plusieurs caractéristiques, qu’il s’agisse d’une maladie ou d’une condition particulière chez l’animal, sont associées au changement d’une seule de ces lettres. À titre d’exemple, changer une lettre dans un mot peut lui donner un tout autre sens ou lui enlever tout sens. Avec CRISPR-Cas9, c’est comme si on corrigeait l’orthographe du mot pour lui donner le sens désiré. CRISPR-Cas9 est comme un outil génétique qui permet de retirer un nucléotide, d’en remplacer un ou d’en ajouter un dans le génome. En plus, c’est une technique rapide et peu coûteuse.

D'OÙ PROVIENT  LA BONNE SÉQUENCE DE LETTRES (LES NUCLÉOTIDES) DONT  ON VEUT SE SERVIR POUR, PAR EXEMPLE, REMPLACER CELLE  QUI EST DÉFECTUEUSE?

Le séquençage des gènes de nombreux individus et les études sur l’association entre ces séquences et les défauts génétiques permettent de différencier les bonnes séquences des mauvaises. Par exemple, un défaut génétique va être associé à une ou plusieurs erreurs dans la séquence des nucléotides, tandis qu’un animal sain aura une autre séquence de nucléotides.

Appelons un chat un chat : est-ce qu’on considère qu’un animal ou une plante qui a fait l’objet de la technologie CRISPR-Cas9 est un organisme génétiquement modifié (OGM) ?

Faisons la distinction entre la transgénèse et CRISPR. Avec la transgénèse, on transfère un ou plusieurs gènes – donc une grande séquence de nucléotides – d’une espèce vers une autre. On ne sait pas avec certitude quel en sera l’effet sur l’espèce réceptrice, où cela va se loger dans le génome. La technique est plutôt exploratoire, et il peut y avoir des erreurs. Les organismes transgéniques ont beaucoup été associés aux OGM. Avec la technologie CRISPR-Cas9, souvent surnommée « ciseaux génétiques », on n’introduit pas de gènes provenant d’autres organismes. C’est beaucoup plus précis comme technique. Nous sommes dans un autre univers.

Y a-t-il des cas d’utilisation de CRISPR-Cas9 en production porcine ?

À notre connaissance, aucune utilisation commerciale n’a encore été réalisée dans le porc. Pour le moment, la technologie ne serait utilisée qu’en recherche. Des essais ont été effectués avec un gène impliqué dans le développement du syndrome reproducteur et respiratoire porcin (SRRP). Sans ce gène, la maladie ne peut s’exprimer et se multiplier. Lorsqu’on édite le gène en question, les portes d’entrée qu’utilise le virus responsable du SRRP pour infecter les cellules sont bloquées. Cet agent pathogène se trouve incapable d’infecter l’animal. Les résultats sur quelques individus qui ont été publiés sont très concluants. 

La résistance aux maladies est une voie prometteuse, surtout si on considère des maladies dévastatrices, telles que la peste porcine africaine. Elle permettra notamment d’utiliser moins de médicaments et de réduire les taux de mortalité en élevage. On peut aussi penser à d’autres applications – la castration des porcelets, par exemple, chose qu’aucun producteur n’aime faire. Grâce à CRISPR-Cas9, on pourrait réduire ou éliminer les problèmes d’odeur sexuelle de la viande en inactivant un ou plusieurs gènes qui en sont responsables, et ce, sans castrer les animaux. On peut également envisager de produire un porc ayant une empreinte environnementale plus faible.

À quand une utilisation à l’échelle commerciale ?

Il y a plusieurs enjeux en production porcine, et les nouvelles technologies nous aideront à y répondre. Pour cela, leur acceptabilité sociale devra être prise en compte. Il est nécessaire de bien communiquer l’existence de la technologie CRISPR-Cas9, son bon fonctionnement et ce qu’elle permet de faire – notamment, répondre aux principaux enjeux du secteur porcin. Les consommateurs ont leur mot à dire. Ils ont un droit de regard envers la façon dont on produit les aliments qu’ils consomment.

Patrick Dupuis

QUI EST PATRICK DUPUIS
Patrick est directeur et rédacteur en chef par intérim au magazine Coopérateur. Agronome diplômé de l’Université McGill, il possède également une formation en publicité et en développement durable. Il travaille au Coopérateur depuis une trentaine d’années.

patrick.dupuis@lacoop.coop

patrick.dupuis@sollio.coop

QUI EST PATRICK DUPUIS
Patrick est directeur et rédacteur en chef par intérim au magazine Coopérateur. Agronome diplômé de l’Université McGill, il possède également une formation en publicité et en développement durable. Il travaille au Coopérateur depuis une trentaine d’années.

patrick.dupuis@lacoop.coop