Grâce à une gestion serrée de ses coûts de production et à des placements judicieux, Normand Courchesne a pu transférer gratuitement 50 % d’une entreprise laitière libre de toute dette à son fils Dany, et ce, tout en planifiant une retraite confortable.
Tandis que nombre d’agriculteurs considèrent leur entreprise comme un fonds de pension assuré, Normand Courchesne, lui, la voit plutôt comme une source de revenus à optimiser. Cette philosophie d’affaires, qui le guide depuis plusieurs décennies, lui aura finalement permis de céder gratuitement la moitié des actions de sa ferme laitière à son fils Dany en 2017. Et dans un horizon de cinq ans, à la suite d’une analyse fiscale, il compte remettre ça en lui offrant également le reste de l’entreprise familiale.
Maintenant que Dany Courchesne possède 50 % des parts de la Ferme N.C.L. et que Normand conserve seulement la responsabilité des travaux aux champs, ce dernier a décidé de prendre une semi-retraite due à des problèmes de santé (arthrose). Voilà deux ans, il a donc acquis une résidence secondaire en Floride où il passe dorénavant l’hiver avec son épouse pour profiter de l’effet bénéfique du climat sur sa santé. La qualité de vie figure parmi ses priorités. C’est pourquoi il n’a jamais prôné la croissance à tout prix. « Je ne voyais pas l’intérêt de grossir l’entreprise et d’augmenter la charge de travail », justifie l’agriculteur.
En gestionnaire prévoyant, Normand Courchesne a plutôt préparé l’avenir familial en investissant les revenus excédentaires de la ferme dans différents placements, et ce, pendant plus de 20 ans. Son épouse, comptable agréée de profession, tout en l’encourageant dans ses projets, souhaitait poursuivre sa propre carrière. Tous deux ont ainsi pu mettre de côté suffisamment d’argent pour assurer leur retraite tout en donnant à Dany un excellent départ dans la vie.
Normand Courchesne raconte : « Lors d’un cours de transfert de ferme que j’ai suivi avec mes parents, le professeur disait qu’il valait mieux ne pas procéder à de gros investissements juste avant la retraite seulement pour pouvoir laisser à la relève une ferme plus grande et plus moderne. Selon lui, il fallait éviter l’endettement et permettre à celui qui prend le relais d’investir où et combien il le souhaite. » Un sage conseil qui l’a grandement marqué et qu’il a su appliquer.
Tel père, tel fils
Sans aucun endettement préalable, Dany Courchesne a eu les coudées franches pour améliorer la ferme à sa guise lorsqu’il a intégré l’actionnariat. Travaillant déjà à temps plein depuis quatre ans aux côtés de son père, il avait eu le temps d’envisager différents scénarios. La décision de bâtir une nouvelle étable et d’y installer un robot de traite n’a donc pas été prise à la légère. Tout a été planifié et budgété avec des objectifs clairs et un plan d’action pour y arriver.
De 36 vaches en 2017, la Ferme N.C.L. est ainsi passée à 60 vaches en lactation en 2023. « L’étable a initialement été construite pour recevoir deux robots de traite, explique Dany Courchesne. Mais pour l’instant, avec seulement un robot et une moyenne de 2,6 traites par jour, nous sommes capables de maintenir la production autour de 90 kg de gras/jour durant toute l’année alors que le vendeur nous parlait plutôt d’une possibilité de 70 à 80 kg/jour avec un robot fonctionnant au maximum de sa capacité. Il faut dire que la vitesse de traite est meilleure que ce que j’espérais. »
Si le jeune éleveur parvient à de tels résultats, c’est qu’il possède les mêmes qualités de gestionnaire que son père. Tout ce qu’il peut optimiser pour améliorer les performances et la rentabilité de la ferme, il le fait. Et ça passe par une multitude de détails.
Il effectue notamment une planification serrée des tarissements et des vêlages. Pour y parvenir, il suit un calendrier et n’hésite pas à utiliser un protocole de synchronisation des chaleurs s’il n’est pas en mesure de repérer celles-ci visuellement ou par les détecteurs de mouvement.
Pour les vaches dont il souhaite conserver la descendance, Dany Courchesne privilégie les croisements qui augmenteront sa rentabilité. « Lors de mes croisements, les premiers traits que je cherche à corriger sont la production de lait, le gras et la vitesse de traite. Si une vache est déjà bonne pour ces caractéristiques, j’essaie d’améliorer la conformation tout en ne nuisant pas à ces critères », explique le jeune éleveur.
Un suivi serré au champ
En ce qui concerne l'alimentation, des changements ont récemment été apportés à la ration afin de favoriser le pourcentage de gras du lait. Les prairies, auparavant majoritairement en luzerne avec un peu de millet, sont graduellement remplacées par un mélange fourrager constitué de légumineuses et de graminées variées (fétuque, dactyle, ray-grass) en parts égales. L’intégration de diverses graminées permet d’aller chercher davantage de fibres afin de stimuler la rumination. « On est passés d’une teneur en gras du lait de 3,6 à 4,3 % », précise Dany Courchesne. Un résultat qui parle de lui-même.
Outre la composition du lait, son père a constaté un autre avantage à opter pour des mélanges fourragers. « Les hivers sont difficiles pour les luzernières dans la région (Centre-du-Québec), confie Normand Courchesne. Avec un mélange, nous sommes moins à la merci de la température. Même si la luzerne survit mal à l’hiver et que le mélange est moins élevé en légumineuses cette année-là, on récoltera les graminées assez jeunes pour répondre aux besoins d’alimentation. »
La planification des surfaces à mettre en culture annuellement relève d’une préparation rigoureuse de la part des associés. Dany tient un inventaire précis de ses fourrages et détermine les besoins du troupeau en ensilage de maïs et en ensilage d’herbe pour l’année à venir. En tenant compte du tonnage requis, de l’état des prairies, de l’historique de rendement et du stade de récolte visé, Normand calcule les superficies à assigner pour chacune des cultures et il effectue les semis en conséquence.
Contrôler ses coûts
On peut accroître sa rentabilité en investissant pour augmenter ses revenus, mais aussi en diminuant ses dépenses. Pour Dany Courchesne, le contrôle laitier représentait une sortie d’argent qui ne lui apportait plus de valeur ajoutée. Il l’a donc laissé tomber. « Le robot de traite me fournit toutes les données importantes dont j’ai besoin, justifie-t-il. Il classe même les vaches selon une moyenne qui est définie à partir des critères que je lui donne et le degré de prépondérance que je fixe pour chacun d’entre eux : la production, la longévité, la facilité de pose de l’unité de traite, par exemple. »
De longue date, l’entreprise applique ce même principe de contrôle des coûts à la machinerie et l’équipement. Ainsi, le père et l’oncle de Normand Courchesne, dont les fermes étaient voisines, avaient acquis en commun machinerie et outils. Il faut dire que, chez les Courchesne, la coopération faisait partie des valeurs familiales. En 1950, dès la création de sa petite ferme comptant tout juste huit vaches, le père de Normand s’était empressé de devenir membre de la coopérative agricole locale (aujourd’hui Covris), d’Agropur et de la Caisse Desjardins. Trois coopératives bien de chez nous dont la Ferme N.C.L. fait toujours partie aujourd’hui.
Suivant cet esprit coopératif, l’entente entre les frères concernant la machinerie s’est transmise à la génération suivante. Normand et son cousin ont donc poursuivi la collaboration jusqu’à ce que le cousin vende sa ferme en 2000. À ce jour la Ferme N.C.L. ne possède que les équipements nécessaires pour certains travaux et fait exécuter les autres au besoin (récolte d’ensilage).
Humbles, mais efficaces
Jean-François Lemay, expert stratégie d’affaires chez Sollio agriculture, a accompagné les Courchesne à quelques reprises dans les dernières années. Il a pu constater que les copropriétaires de la Ferme N.C.L. sont des gestionnaires avisés pour une raison bien simple : « Leur but n’est pas d’être parfaits, c’est d’être efficaces! Ils ne sont pas des fanatiques de tôle ou de génétique. Leur ferme est en excellente santé financière, mais malgré tout, ce sont des gens qui demeurent humbles face à leurs résultats », conclut-il.
Photo par Nancy Malenfant