Ceci n’est pas un article pour donner du volume à votre prochain latté, mais pour faire mousser les résultats de votre prochain Lactascan! Quelle est la recette des hautes composantes laitières de la Ferme Lesfranches et de la Ferme Blondeau 2000?
Au sommet du concours Performance laitière 2024 de Sollio & Vivaco Agriculture coopérative et au troisième rang provincial figure la Ferme Lesfranches avec une production quotidienne de gras et de protéine de 3,25 kilogrammes par vache. Émerge cette question qui brûle les lèvres comme un café trop chaud : pour atteindre un tel niveau, la ferme achète-t-elle ses performances? La réponse courte : non. Et la ferme a des idées à revendre pour caféiner sa production!
Revisiter Liebig
En agronomie, on enseigne aux étudiants la loi du minimum ou des facteurs limitatifs du chimiste allemand Justus von Liebig, popularisée en physiologie végétale pour les éléments en carence. Cette loi de 1850, l’agronome Audrey Sarrazin, qui pratique chez VIVACO groupe coopératif, l’évoque en ses mots. en utilisant son illustration la plus célèbre : le baril qu’on aimerait plein, mais dont la planche la plus basse limite la contenance.
Or, le troupeau LESFRANCHES était sous-performant il n’y a pas si longtemps. Les frères Maxime et Michaël Rondeau et leur gérant de troupeau Gabriel Marois ont donc remplacé les planches défaillantes du tonneau, une à la fois. Ventilateurs pour contrer le stress thermique, litière de sable, logettes flexibles, alimentation plus riche – et plus chère.
Aussi bien Audrey que Gabriel emploient le verbe investir quand ils parlent des améliorations qu’ils ont apportées à l’alimentation, alors qu’il s’agit d’ordinaire d’une dépense! « Depuis mon arrivée il y a quatre ans, le revenu de lait n’a pas cessé d’augmenter », analyse Audrey. Le coût des concentrés par kilogramme de gras monte à 4,40 $ et même à 4,95 $ pour les vaches du groupe 1, alors que la moyenne régionale est de 4,14 $. « Ça peut coûter plus cher, mais l’animal doit te le redonner », justifie Audrey, qui évoque les marges alimentaires où le revenu se compare à celui des fermes parmi les 25 % supérieures ou le dépasse.
Soigner à longueur d’année des ensilages entièrement fermentés stabilise la digestion des vaches. Depuis son implication à temps plein dans l’entreprise, l’expérimenté vacher Gabriel a connu 400 vêlages et a réussi à jeter une bouteille périmée de calcium injectable! À l’exemple de la Ferme ADM Nieuwenhof qui cartonne avec un combiné gras-protéine de 3,53 kg, on ensile maintenant à 28 % de matière sèche un maïs semé tardivement. Sa teneur en amidon (15 à 20 %) est parfaite pour les vaches taries, car elle équivaut à la moitié de celle des ensilages pour les vaches en lactation (30 à 40 %).
Les bonnes performances s’expliquent aussi par l’expression du potentiel génétique. On insémine 35 % des vaches avec de la semence sexée Holstein en ciblant les meilleures candidates. Les autres sont inséminées avec de la semence Angus. Une trentaine de ces bouvillons sont alimentés des refus aux mangeoires, ce qui laisse des aliments appétants aux hautes productrices. « Pour les deux prochaines années, j’aimerais uniformiser encore plus le troupeau, souhaite Gabriel. Une ration homogène dans un troupeau hétérogène donne des résultats disparates. On a un gros pourcentage d’animaux qui ont éclos après deux années d’un taux de réforme volontaire de 25 à 30 %, une sélection qui n’a pas été basée sur les bons sentiments. »
Spécialiser les sites
À Saint-Albert, l’étable érigée en 2012 de la Ferme Lesfranches accueille le premier groupe en lactation. Cette étable était celle de Pascal Beuret, un Suisse qui a transféré sa ferme en 2017 en formule prêteur-vendeur pour éviter un démantèlement. « Pascal était un client de travaux à forfait avec qui on a développé une bonne relation, explique Maxime. Il a accepté de nous financer sur cinq ans en plus de rester pour les inséminations et les tournées nocturnes. »
À Sainte-Élizabeth-de-Warwick, on trouve deux étables sous l’égide de la Ferme Blondeau 2000, l’une qui a appartenu au père des gars, Jean-Marcel, l’autre à leur oncle, Réal. Plus vieillottes, ces étables ont été rénovées pour en accroître le confort et la facilité d’y travailler. On y loge les vaches du groupe 2. Un quatrième site permet l’élevage des taures.
Depuis leur sortie du programme de production animale de la Maison familiale rurale du Granit, le trio a fait croître la ferme. Par rapport à 2010, année où les Rondeau ont acheté les actions de leur mère Dany Grimard, le quota et les hectares en culture ont été multipliés par sept! La famille effectue toujours autant d’hectares de travaux à forfait – semis, récolte, nivellement.
S’unir pour produire
Or, à force de mettre les bouchées doubles, la situation financière s’est fragilisée. Certains éléments de la régie étaient négligés. « On avait besoin de chiffres », image Maxime, boulimique de croissance. Des chiffres? Des performances, pour faire des paiements. Avec ses installations, la ferme pourrait remplir un quota de 600 kg. L’entreprise a d’ailleurs saisi une occasion en produisant, pendant sept mois, 100 kg d’une ferme dont l’étable avait brûlé. Cette expérience leur a permis de tester les infrastructures et l’équipe – une dizaine de Québécois et quatre travailleurs étrangers.
Généralistes, les Rondeau excellent dans la planification et la direction. Ce sont de bons chefs d’orchestre, mais ils avaient besoin d’un soliste pour leur symphonie laitière en lait majeur. « On a engagé une personne meilleure que nous pour gérer au quotidien », avoue Michaël. Gabriel a œuvré à la ferme laitière familiale beauceronne, à Comestar Holstein et à une ferme belge qu’il a connue lorsqu’il a remporté les honneurs de l’École d’élevage Holstein Québec, en 2006. S’il a joint les Rondeau, il occupe encore, à temps partiel, un poste de conseiller chez STgenetics.
Couler du béton
Le beau-père de Michaël, impliqué dans la plus grande ferme laitière au Québec (la Ferme Landrynoise), lui mentionnait qu’une année sans couler de béton était une année perdue. Pourtant, lors de la visite du Coopérateur, les mots « nouvelle étable » n’ont pas été prononcés… Transformer et adapter les bâtisses, c’est le mot d’ordre. « C’est facile de construire en neuf, mais plus difficile d’avoir les ressources pour acheter des terres et du quota, des événements rares dans la vie d’un producteur », soutient Maxime, qui s’inspire de la philosophie états-unienne d’étables froides rudimentaires, dans un pays où il n’est pas avisé d’être surendetté. « Au lieu d’investir 1,5 million de dollars dans une nouvelle étable, on a investi 600 000 dollars pour le même degré de confort. »
Oui, les Rondeau sont affamés de croissance, mais ils se nourrissent aussi d’amélioration continue. Exemple banal, un garage jouxtant la vacherie à Saint-Albert a été converti en pouponnière pour mieux élever les veaux. Résultat : une mortalité divisée par trois! Gabriel effectue maintenant un suivi serré des jeunes animaux. Si on élevait auparavant les veaux au distributeur automatisé de lait, on revient au lait entier pasteurisé et supplémenté pour valoriser le lait riche en immunoglobulines du colostrum des vaches ayant vêlé (0 à 10 jours).
Clairvoyant, Gabriel constate le décalage qui s’installe entre les petites et les grosses fermes. « En ne performant pas, on aurait vendu du quota ou de la terre, mais on n’était pas pour faire encore du lait pendant dix ans. On est aujourd’hui dans une situation où il faut rester bons, mais outillés pour l’avenir. »
L’avenir… En cette ère de sparages verbaux du président des États-Unis sur la gestion de l’offre, l’entreprise se positionne comme s’il fallait affronter une baisse de 10 $ l’hectolitre de lait, mais d’un lait riche, facile à faire mousser!
Cet article est paru dans le Coopérateur de juillet-août 2025.