L’arrivée de Donald Trump à la Maison-Blanche représente un nouveau risque tant pour l’économie canadienne que pour l’ensemble des marchés financiers mondiaux. À court terme, Trump 2.0 annonce une période de turbulences alors que l’incertitude continue de planer sur l’économie mondiale.
Face à ces nouveaux enjeux géopolitiques, Jean-Philippe Gervais, vice-président exécutif et économiste en chef de Financement agricole Canada (FAC), invite les producteurs agricoles canadiens à revoir leur plan de gestion de risque en fonction des risques qui émergent à l’aube de 2025.
« Je vois beaucoup d’entreprises qui ont déjà fait un plan de gestion des risques, mais qui l’appliquent un peu à l’aveugle, c’est-à-dire dans une perspective de préservation du statu quo, constate Jean-Philippe Gervais. Or, il est plus important que jamais d’avoir une bonne compréhension du risque auquel on est exposé, que ce soit en matière de production, de mise en marché, de fluctuation des prix ou encore de taux d’intérêt. »
Il est essentiel, selon l’économiste, de bien comprendre non seulement les risques liés aux récoltes, mais aussi les risques financiers, tels que l’endettement à la suite d’investissements récents, la capacité de rembourser une dette en cas de fluctuation des revenus ainsi que les risques liés à la main-d’œuvre.
Bref, l’heure est venue de s’adapter en tant qu’entreprise.
« Il faut aussi être le plus efficace possible, poursuit M. Gervais, c’est un aspect de l’entreprise qui est sous notre contrôle. Évidemment, ce n’est pas tout le monde qui est efficace, donc il y a toujours un petit quelque chose qu’il est possible d’améliorer et un certain gain d’efficacité à aller chercher. »
Leçons apprises
Plusieurs leçons ont été apprises de 2016 à 2020, lors de la première administration Trump ; forts de cette expérience, les experts estiment avoir une vision plus claire des changements et des risques qui guettent notre économie.
« On connaît maintenant la philosophie de Donald Trump. On sait qu’il est en faveur de l’imposition de tarifs et on comprend maintenant que cette position découle de sa philosophie politique qui repose sur le mercantilisme (c'est-à-dire une politique économique nationaliste qui vise à maximiser les exportations et à minimiser les importations). Donc on sait que le nouveau président américain va utiliser les tarifs et taxer les exportations qui entrent aux États-Unis. »
Risques connus et inconnus
Richard Ouellet, professeur de droit international économique à l’Université Laval, abonde dans le même sens ; on connaît désormais les risques qui guettent l’économie canadienne avec Trump 2.0 : instabilité, inflation, négociations perpétuelles, unilatéralisme.
« Plus rien n’est acquis ; tout baigne dans l’incertitude, dit-il. On doit s’attendre à ce qu’il y ait des argumentaires qui nous arrivent de n’importe où, n’importe comment ; nous serons alors en renégociation perpétuelle. Concrètement, cela signifie que nous allons devoir défendre bec et ongles notre gestion de l’offre, par exemple. Et cette bataille viendra plus vite qu’on pense, certainement avant juillet 2026. »
Cependant, certains risques sont encore inconnus, rappelle Jean-Philippe Gervais.
« Par exemple, si Donald Trump impose à la Chine des tarifs allant jusqu’à 60 %, on peut être certain que la Chine ne restera pas les bras croisés. Et la réaction de la Chine aura des effets collatéraux, notamment sur l’économie canadienne. Il faut donc y penser en tant qu’industrie et en tant que producteur. »
Les bouleversements géopolitiques attendus entraîneront des conséquences connexes qui pourraient influencer la compétitivité des diverses industries agricoles, telles que les céréales, la viande, ainsi que les secteurs réglementés par la gestion de l’offre. On s’attend aussi à ce que les diverses ententes Canada–États-Unis soient renégociées, mais on ne sait pas encore quels secteurs seront visés.
« Si la Chine, en représailles, impose des taxes sur les exportations porcines des États-Unis, cela risque d’entraîner une baisse du prix du porc, estime M. Gervais. Étant donné que le prix américain pour le porc est considéré, de notre côté de la frontière, comme un prix de référence, une telle situation aura un impact direct sur notre marché en matière de prix et de part de marché. »
Révision du plan de gestion de risque : les enjeux à surveiller
Lorsqu’on révise un plan de gestion de risque, il est important de ne pas surréagir, rappelle Jean-Philippe Gervais, de rester fidèle à son plan d’entreprise et d’évaluer les nouveaux risques au fur et à mesure que de nouvelles informations émergent.
Voici donc un aperçu des enjeux critiques qui, selon FAC, doivent retenir l’attention des producteurs agricoles :
L’étiquetage volontaire du pays d’origine pour les produits de bœuf et de porc
FAC rappelle qu’au printemps dernier, le département de l’Agriculture des États-Unis (USDA) annonçait sa décision définitive concernant l’étiquetage volontaire du pays d’origine (« vCOOL ») pour les produits de bœuf et de porc. Une décision qui stipule que les producteurs de viande qui apposent une étiquette « Produit des États-Unis » sur leurs produits de bœuf et de porc ne doivent utiliser que des animaux nés et élevés aux États-Unis.
À première vue, l’étiquetage volontaire du pays d’origine semble moins préoccupant que l’étiquetage obligatoire du pays d’origine, mais, selon les économistes de Financement agricole Canada, « il sera difficile pour le Canada d’exporter du bétail vers les États-Unis » lorsque cette mesure entrera en vigueur, officiellement le 1er janvier 2026 ou, selon des sources de l’industrie, dès le milieu de l’année 2025.
Les retombées des changements au crédit d’impôt pour les biocarburants
Le soutien du gouvernement américain à la filière des biocarburants demeure incertain. Aux États-Unis, les changements au crédit d’impôt pour la production de biocarburants entrent en vigueur le 1er janvier 2025 ; une situation qui pourrait freiner la croissance de la production de biodiesel au Canada.
« Si les États-Unis décident de moins soutenir le développement des biocarburants, cela veut dire qu’il y aura une demande réduite pour le soja ou, dans une moindre mesure, pour le maïs, souligne Jean-Philippe Gervais. Si la demande est moins forte, les prix seront moins élevés. »
L’industrie agroalimentaire américaine dans son ensemble soutient le développement des biocarburants, rappelle l’économiste en chef, mais, historiquement, l’administration Trump n’est pas très favorable aux biocarburants, tels que l’éthanol, le diesel renouvelable ou le biodiesel.
Renouvellement de la loi agricole des États-Unis
FAC recommande aux producteurs canadiens de surveiller de près « l’impact éventuel de la loi agricole des États-Unis (Farm Bill). Des changements aux programmes d’assurance pourraient modifier les décisions des producteurs américains en matière de cultures, note Jean-Philippe Gervais. Par exemple, une meilleure assurance pour le maïs pourrait entraîner une augmentation des semis de maïs aux États-Unis, ce qui ferait baisser les prix. »
Les pesticides et le nouveau secrétaire américain à la Santé
Donald Trump a nommé Robert F. Kennedy Jr., secrétaire de la Santé. Le personnage est non seulement un vaccinosceptique, mais il a aussi des opinions défavorables envers les pesticides. « C’est un fait », estime Jean-Philippe Gervais.
Les États-Unis pourraient donc faire marche arrière quant à l’utilisation des pesticides. Cela fait partie des inconnues de la politique commerciale de Donald Trump et les spéculations à ce sujet sont nombreuses.
« Les États-Unis ont beaucoup à perdre en faisant marche arrière sur certains intrants utilisés en agriculture, croit l’économiste en chef de FAC. Non seulement il a été déterminé que ces intrants sont sécuritaires, mais l’industrie elle-même a su démontrer que ces intrants avaient un impact majeur sur leur productivité et sur leur capacité à être compétitifs sur les marchés internationaux. »
Alors que le monde entier se prépare à faire face à l’impact d’une deuxième administration Trump, le professeur Richard Ouellet, offre, en guise de conclusion, ce simple avertissement : « Ça va être des années très dures ».
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