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États-Unis : les agriculteurs à l’heure du choix d’un président

Le 5 novembre prochain, les agriculteurs américains voteront pour élire le candidat républicain Donald Trump ou la candidate démocrate Kamala Harris à la Maison-Blanche.

La puissante organisation American Farm Bureau (AFB) a sondé les deux aspirants sur les principaux enjeux du monde agricole. Nous nous sommes entretenus en Zoom avec Christopher Gibbs, un agriculteur de l’Ohio, qui a déjà été membre de l’AFB et dont l’état rural va être déterminant dans le choix présidentiel.

Coopérateur : Que pensez-vous des quatre dernières années de l’administration du président démocrate Joe Biden?

Christopher Gibbs : Dans l’ensemble, il a fait de bonnes choses. Grâce à la Loi de réduction de l’inflation1 (IRA), il s'est penché sur la consolidation entre quatre grands abattoirs survenue suite à la COVID-19. Ces entreprises dictent les prix et engrangent les profits. Il faut savoir que 85 % des protéines de boeuf produites aux États-Unis relèvent d’elles. Le président a injecté de l’argent pour permettre la création de plus petits abattoirs locaux afin d’offrir plus de choix aux éleveurs.

Autre chose?

Il a fait passer au congrès une autre loi importante pour l’agriculture américaine, la Loi bipartite sur l’infrastructure2. Celle-ci permet d’injecter des milliards de dollars à moyen terme dans les réseaux routiers, les aéroports, les ports, etc. Ces infrastructures sont cruciales pour nos exportations agricoles. Une partie importante de nos revenus provient de nos exportations.

Cette loi touche aussi l’accès à l’internet?

Au moment où je vous parle, je me croise les doigts pour que notre conversation ne coupe pas. Je suis très isolé dans ma ferme et je suis en contact avec le monde via satellite. Ce que fait le président Biden pour le monde rural avec l’accès à l’internet à haut débit équivaut à l’électrification des campagnes des années 1930 qui a permis de traire des vaches mécaniquement ou d’avoir un réfrigérateur à la maison.

Que reprochez-vous à l’administration Biden?

Le manque de signature d’accords commerciaux pour exporter nos denrées alimentaires. Ces ventes réalisées en dollars font vivre les agriculteurs et les communautés rurales. L’agriculteur ne s’assoit pas sur son argent, mais le dépense chez un concessionnaire automobile ou de machinerie agricole. De plus, il paie des taxes scolaires pour maintenir en place les écoles rurales.

Donald Trump, lui, promet qu’il va signer plus d’accords commerciaux tout en augmentant les tarifs de 10 % à 20 % en général et de 60 % pour la Chine en particulier. Qu’en pensez-vous ?

Je pense que c’est un désastre! La relation avec Chine est un sujet de discussion en soi. Mais appliquer des tarifs punitifs avec nos principaux partenaires et alliés est un non-sens dans le contexte géopolitique actuel. Pas plus tard qu’hier, Donald Trump menaçait d’instaurer des tarifs de 200 % sur les pièces de John Deere en provenance du Mexique3. L’Accord États-Unis-Mexique-Canada (ACEUM) a été extrêmement bénéfique pour les agriculteurs du Midwest comme moi, vendeur de maïs, de soya et de viande de bœuf.

Si Donald Trump est réélu, les agriculteurs canadiens doivent-ils s’attendre : 

  1. À subir les effets d’une nouvelle guerre commerciale avec la Chine et;
  2. Plus d’accès du marché laitier canadien lors de la renégociation L’ACEUM (USMCA) prévue en 2026?


Le scénario d’une guerre commerciale avec la Chine est envisageable avec Donald Trump. En 2020, il avait indemnisé les agriculteurs américains grâce à une aide ad hoc de 46,7 milliards de dollars incluant celle liée à la pandémie. Si l’on se fie au passé, il est très possible qu’il cherche un plus grand accès au marché laitier canadien pour les produits laitiers américains.

Pourquoi d’après vous les agriculteurs américains ont-ils une préférence marquée pour Donald Trump?

C’est la grande énigme! Les agriculteurs américains votent contre leurs intérêts économiques. Ils vont accepter des dollars pour planter des cultures de couverture, mais ils croient que les démocrates ne partagent pas leurs valeurs culturelles fondamentales, par exemple sur l’avortement, le droit des femmes, la communauté LGBT.

Mais quelles sont les valeurs républicaines? Donald Trump et le vice-président désigné et gouverneur de l’Ohio, J. D. Vance, alimentent des rumeurs non fondées selon lesquelles les immigrants haïtiens mangent les chiens et les chats à Springfield un village situé à 30 kilomètres de votre ferme.

Encore une fois, c’est la grande énigme. C’est complètement insensé! Ils utilisent ces pauvres gens pour faire avancer leur rhétorique xénophobe sur l’immigration. Ce n’est pas digne de leurs fonctions.

L’immigration est l’un des principaux sujets, sinon le sujet de bataille de Donald Trump. Ce dernier veut déporter 11 millions d’immigrants dont beaucoup travaillent dans les champs. Quelles conséquences entrevoyez-vous ?

Cela va causer une énorme perturbation! Qui va récolter vos tomates? Vos fraises? Qui va traire les vaches? Je peux vous dire que ce ne sera pas un jeune homme blanc qui conduit un camion F-150 après son match de baseball. Si vous pensez que le prix de l’épicerie est à des sommets, attendez que vos fruits et légumes ne soient pas récoltés.

Qu’en est-il du Farm Bill 2023-2028 qui n’a toujours pas été voté par le Congrès?

Donald Trump s’inspire du projet 2025 promu par une organisation très conservatrice4.  Ce projet éliminerait les deux programmes de gestion des risques5 du revenu agricole soit celui basé sur l’historique de superficies ensemencées et l'autre qui compense le producteur quand le prix d’un boisseau de soya, de blé ou de maïs tombe en bas d’un prix de référence. Ce projet augmenterait les coûts de l’assurance-récolte de 35 %, ce qui éliminerait l’accès de nombreux producteurs aux programmes et bénéfices du Département de l’agriculture (USDA). Il éliminerait aussi le programme de conservation des sols totalisant 28 millions d’acres, parce que les auteurs croient que remettre ces terres en production permettrait de produire plus de denrées et de réduire la facture d’épicerie.

1 Loi sur la réduction de l’inflation
2 A Guidebook to the Bipartisan Infrastructure Law
3 Trump threatened John Deere
4 Project 2025
5 ARC/PLC Program


Apprenez-en plus sur le Farm Bill

Dans cet épisode du Coopérateur audio 

Dans l'article « À quoi ressemblera le Farm Bill 2023-2028? »


Photo : gracieuseté de Christopher Gibbs

Nicolas Mesly

Nicolas Mesly est journaliste, agronome (agroéconomiste) et photographe. Les associations de presse du Canada ont récompensé son travail journalistique et photographique à plus de 30 reprises. Auteur, conférencier, documentariste, il collabore entre autres au Coopérateur, à l'émission radio Moteur de recherche/SRC et il est correspondant canadien pour le journal La France Agricole.
nicolasmesly@gmail.com
Nicolas Mesly est journaliste, agronome (agroéconomiste) et photographe. Les associations de presse du Canada ont récompensé son travail journalistique et photographique à plus de 30 reprises. Auteur, conférencier, documentariste, il collabore entre autres au Coopérateur, à l'émission radio Moteur de recherche/SRC et il est correspondant canadien pour le journal La France Agricole.