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Ferme Marc A. Turcotte : Sortir la ferme du village

Si on ne peut pas sortir les Turcotte du Bas-Saint-Laurent, on peut toujours bien sortir leur étable laitière du village. Pour le mieux et pour l’avenir de ces fiers Bas-Laurentiens!

Rectilignement planté entre la route touristique et le majestueux lac Matapédia, plus grand lac de la Gaspésie, le cœur villageois de Val-Brillant oscille entre agriculture et villégiature. Ce hameau abrite quelques centaines de résidents et d’habitations, et… une ferme laitière, celle de Marc A. Turcotte, de sa sœur Jacinthe et du fils de celle-ci, Alex Turcotte-Lauzier. Depuis la route 132, devenue voie de contournement du village dès 1957, les cyclistes ne peuvent la manquer, avec ses toitures bleues, ses génisses et ses taures pâturant paisiblement, à 300 m de l’église gothique et de ses deux clochers, qui culminent à 45 m de hauteur. Indéniablement, la ferme est dans le village.

Témoin d’un temps où les fermes approvisionnaient les villageois, la fameuse église de Val-Brillant, construite pour être une cathédrale et concurrencer celle de Rimouski, a aujourd’hui de la compétition : les Turcotte ont relocalisé leur étable un peu en retrait du village, érigeant cette fois un monument à la gloire du confort des vaches laitières. D’une cathédrale à l’autre!

Maire de 1997 à 2005, Marc Turcotte connaît l’urbanisme. Lui et son neveu savaient que le défi de la croissance allait se poser un jour ou l’autre. Ainsi, quand ils ont bâti une fosse à lisier, en 1997, ils l’ont installée de l’autre côté du périmètre urbain et de la route 132, en face du village. L’optique était d’y couler également un jour les fondations de la future vacherie, qui remplacerait celle du village, à combles mansardés, bien entretenue, mais devenue exiguë.

Malgré cela, des voix se sont élevées au village : les vaches en lactation seraient encore trop près de l’agglomération si on érigeait la nouvelle étable à côté de la fosse. Plutôt que de se lancer dans des combats déchirants pour des dérogations mineures à répétition, les Turcotte ont planté leur nouveau décor en 2018 à un kilomètre du village. Tout a commencé avec la préparation du terrain et la construction d’un chemin d’accès de 225 m, puis ont bâti leur étable en 2019. En décembre de la même année, une première traite robotisée était réalisée. Allons voir ça!

Bienvenue modernité

La visite commence au bureau de la laiterie, avec ses deux larges baies vitrées qui donnent sur la pouponnière, abondamment ventilée, et les parcs des vaches au tarissement et en préparation au vêlage, généreusement paillé. De là, on surveille les bêtes de visu, mais aussi via l’ordinateur, relié aux robots et aux colliers émetteurs des noir et blanc et des rouge et blanc – oui, la ferme compte encore quelques individus Ayrshire.

De l’autre côté de la vitre, une « étable miroir », dont la hauteur et la blancheur de la voûte étonnent. Au milieu de ces deux moitiés parfaites, deux robots de traite trônent dans une seule « cabane ». À la sortie du robot, trois voies possibles : retour dans un des deux groupes (0 à 150 jours de lactation et les autres), passage au pédiluve (deux fois par mois) ou direction arrière-robot pour un suivi de santé ou de reproduction. Données glanées parmi les mégadonnées générées par les robots : chaque jour, les vaches les visitent 5,2 fois en moyenne au total, traites et refus inclus.

Vue sur la Ferme Marc-A. Turcotte

Les vaches ont pu apprendre les rudiments du confinement au robot dans une station d’alimentation, entre deux passages sous les brosses rotatives pour un massage bienfaiteur. Sous les animaux, des matelas sur lesquels on épand un absorbant, rien de plus. De chaque côté du bâtiment, un robot d’affouragement effectue sans relâche, toutes les deux heures, son trajet de 480 pi de long (deux mangeoires), dans un espace très large (20 pi), ce qui permettrait de le convertir en deux enclos longilignes pour héberger les taures et les vaches taries, restées au village. De fait, les murs latéraux de l’étable, à 16 pi de hauteur sous la corniche, pourront être repoussés 24 pi plus loin pour aménager ultérieurement deux enclos, si on adopte cette solution. Dernier détail (futile, direz-vous) : l’étable a toujours une toiture bleue, signature des bâtiments des Turcotte!

Bricoleurs, Marc et Alex ont pensé au confort des animaux dès le début, quand l’étable n’était pas encore pleine : un système de chauffage à l’eau chaude parcourt les stalles flexibles « tête à tête » et réchauffe l’ambiance (on a utilisé ce système lors de deux des journées les plus froides du dernier hiver). Il faut dire que la ferme produit, avec sa chaudière à biomasse forestière, de l’énergie thermique pour chauffer les espaces de travail. Point d’orgue de la visite de l’étable : une salle de rencontre au premier étage, qu’on convertira peut-être en logement pour un prochain travailleur étranger, et d’où la vue sur les ruminantes est imprenable. Entretemps, cette salle promet de beaux partys de famille!

Visiblement, cette étable de nouvelle génération a été pensée dans ses moindres détails. « J’ai aimé constater l’évolution de l’agriculture, voyager, “écornifler” chez les autres fermes que je visitais du temps de mon implication en coopération agricole », révèle Marc. Alex n’est pas en reste : il a visité quantité de fermes avant de statuer sur six rangées de logettes et deux allées d’alimentation périphériques.

Parlons transition

L’étable impressionne, mais Pierre-Marc Cantin, technologue de La Coop Purdel, insiste sur la transition : non pas vers la lactation, mais d’une étable entravée vers la traite robotisée en liberté. « C’est le plus beau démarrage en traite au robot que j’ai vu, dit-il. La ferme a choisi ses combats, en tarissant précocement certaines vaches et en continuant, en plus de la traite robotisée, la traite manuelle des vaches avancées en lactation à l’ancien site, pour échelonner la transition sur un mois. » Alex ajoute : « Il n’y a eu qu’une taure qui n’a jamais compris le système, et on n’a acheté aucun animal. » La production va croissante et est de 38 kg par jour en moyenne. Une transition plus aisée est possible quand les jeunes animaux ont été élevés en liberté, ce qui est le cas depuis 2004 chez les Turcotte. « Il faut leur apprendre à patiner à un jeune âge », illustre Marc.

Intérieur de la nouvelle étable

Les vaches reçoivent en moyenne 5,5 kg de concentré au robot, dont un peu de blé moulu (produit à la ferme), complémentaire à la moulée et au supplément couverture. Ce n’est pas d’hier que les Turcotte utilisent le blé : on l’a longtemps servi sous forme humide, mais il est aujourd’hui servi sec.

Dehors, cinq silos-couloirs (de 20 pi de largeur sur 150 pi de longueur et 12 pi de hauteur) permettent maintenant une flexibilité inégalée, une distribution entièrement mécanisée des ensilages de maïs et d’herbes. « Le point critique de ce système, c’est de toiler comme il faut, hermétiquement », déclare Alex. Même si la ferme n’a que deux années d’expérience avec les silos-couloirs, Pierre-Marc Cantin remarque aussi que le compactage est particulièrement réussi.

À l’image de l’ensemble du projet de relocalisation!

Photos : Étienne Gosselin

Étienne Gosselin

QUI EST ÉTIENNE GOSSELIN
Étienne collabore au Coopérateur depuis 2007. Agronome et détenteur d’une maîtrise en économie rurale, il œuvre comme pigiste en communication et dans la presse écrite et électronique. Il habite Stanbridge East, dans les Cantons-de-l’Est, où il cultive le raisin de table commercialement.

etiennegosselin@hotmail.com

QUI EST ÉTIENNE GOSSELIN
Étienne collabore au Coopérateur depuis 2007. Agronome et détenteur d’une maîtrise en économie rurale, il œuvre comme pigiste en communication et dans la presse écrite et électronique. Il habite Stanbridge East, dans les Cantons-de-l’Est, où il cultive le raisin de table commercialement.