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Des génisses élevées à forfait, vite fait, bien fait!

Nutrinor coopérative

En cette ère individualiste du chacun-pour-soi, la Ferme Messidor propose ses services pour élever les génisses laitières d’autres producteurs, une question d’efficacité et d’économie. 

Combien coûte élever une génisse? Ce ne sont pas tous les producteurs qui connaissent leur coût, mais Régis Mailhot et son père, Camil, si. Quatre dollars par jour et par tête, y compris le suivi vétérinaire bimensuel, voilà ce qu’ils demandent aux trois producteurs qui leur confient leur précieuse relève depuis l’âge de trois mois jusqu’à un mois avant la date de vêlage prévue. À ce prix, ils obtiennent un léger profit, mais rien de mirobolant, selon eux. Le calcul est simple : pour 20 mois d’élevage à 4 $ par jour, une génisse rapporte 2400 $. D’après différentes sources économiques, élever soi-même une génisse coûte normalement entre 3000 et 4000 $. 

« Notre principal défi, c’est cette mentalité des producteurs selon laquelle l’élevage ne coûte rien », soutient Régis. Faites le calcul : à un taux de réforme de 32 % pour un troupeau de 100 vaches, le coût annuel grimpe entre 96 000 et 128 000 $! « À l’étape de se bâtir une étable froide, se regrouper entre producteurs peut être une bonne stratégie pour diminuer les investissements et les coûts de production », estime l’agroéconomiste Karl Bissonnette, de Sollio Agriculture. 

Bon an mal an, la Ferme Messidor mène donc 300 sujets à la production laitière, dans une étable bâtie pour 350. La majorité des génisses sont les siennes, des MESSIDOR. La première exploitation à avoir accordé sa confiance aux Mailhot, en 2017 : la Ferme du Clan Goulet, à Saint-Augustin (60 km au nord du lac Saint-Jean), devenue à l’étroit dans son étable. 

Si on trouve des fermes bovines, porcines ou ovines qui autoproduisent leur relève, ce n’est pas très commun, pas plus que dans les productions hyperspécialisées que sont les œufs et la volaille. Pourquoi les producteurs laitiers continuent-ils d’élever leurs animaux? Bien entendu, l’utilisation de races pures favorise leur élevage in situ. Pourtant, aux États-Unis, l’élevage à forfait est plus présent, dit l’agronome Richard Blackburn, de Nutrinor coopérative, qui effectue le suivi de l’alimentation des génisses. Une tendance qu’ont aussi imitée quelques fermes québécoises. 

Deux étables 

Le chemin des Mailhot vers la ferme laitière de 135 kg de quota, l’élevage de génisses à forfait et les 600 ha en culture fut riche d’évènements. 

Jean-Yves Mailhot et Gilberte Tremblay ont eu sept enfants, dont Camil, âgé aujourd’hui de 66 ans. À l’époque, Jean-Yves investissait le plus possible ses gains de menuisier dans la ferme. Dès 1972, après son cours en agriculture à Normandin, Camil obtient le tiers de l’entreprise, dans un modèle de coexploitation peu usuel à l’époque. Dix ans plus tard, il achète la ferme au complet avec son frère Denis, qui cèdera ses parts en 1989 à Marjolaine Doucet, conjointe de Camil.  

En 2002, un incendie, probablement causé par le frottement d’une courroie du monte-balle, afflige la famille. Si les vaches sont saines et sauves – « on n’a perdu qu’une portée de chats », dit Camil pour se consoler –, il faut reconstruire l’étable. Ce sera aisé pour des menuisiers dans l’âme! En novembre de la même année, une minitornade met la motivation des Mailhot-Doucet à l’épreuve : ils rebâtiront l’étable une deuxième fois! 

En 2003, la ferme compte 29 kg de quota et une quarantaine de vaches de boucherie. C’est l’âge d’or du lait d’exportation, des contrats hors quota obtenus au prix mondial, si bien que l’exploitation produit l’équivalent de 40 à 45 kg de matière grasse au quotidien. L’entreprise joue son va-tout : elle vend le quota pour consacrer l’entièreté de sa production à ce nouveau créneau. Dès 2004, ce marché tombe, et la ferme se trouve obligée de racheter un contingent, dont le prix est heureusement passé de 31 000 $ le kilo au moment de la vente à 29 000 $ au rachat. Aujourd’hui, et en misant tous les mois, la ferme totalise 135 kg. 

Vision 2008 

Depuis 2008, Régis fait partie de l’équation, des décisions. Il a participé, de 2015 à 2017, au Fonds coopératif d’aide à la relève agricole (FCARA) et a suivi, en 2017, la formation en entrepreneuriat agricole de l’Université Laval, une expérience révélatrice pour apprendre à se faire confiance et reconnaître les schémas de pensée. « J’ai beaucoup apprécié les tests psychométriques, dit-il. Ils révèlent que je suis axé sur la réflexion et l’action, ce qui me pousse à anticiper les résultats, alors que mon père, qui est porté sur la médiation et la tradition, aime finir ce qu’il entreprend. » 

À 36 ans, Régis compte sur l’aide de son beau-frère Julien Lalancette, détenteur d’un DEP agricole, et d’une diplômée collégiale en agriculture, Émilie Ménard, qui veille à des tâches plus techniques, comme l’insémination ou la santé animale. 

Génisses nordiques 

C’est dans une étable froide, construite en 2007 et agrandie en 2019, qu’on élève les génisses. Ce bâtiment, qui comporte une allée d’alimentation centrale accessible avec un mélangeur tracté, avait été initialement prévu pour accueillir des vaches de boucherie et des veaux semi-finis. Il se trouve à 500 m de la ferme laitière. Élever les génisses au froid et au grand air a ses avantages, selon Régis : la capacité de consommation, rehaussée de 15 % environ, favorise l’ouverture et la courbure des côtes ainsi que la largeur de l’animal – des facteurs qui contribuent de manière importante à la puissance laitière future. Arrivées sevrées vers 3 mois, les génisses sont élevées jusqu’à un âge de 22 à 24 mois, leur poids étant alors de 625 à 650 kg. Le gain moyen quotidien doit être « maigre », insiste Camil. On sert trois types de rations durant l’été, quatre durant l’hiver, en augmentant l’énergie durant l’automne pour accentuer l’état de chair. 

Les occupantes sont logées en groupe, dont l’âge moyen n’excède pas un mois, question d’amoindrir la dominance et la compétition à la mangeoire. Comme la rentabilité exige un vêlage précoce, les génisses en âge de procréer sont équipées de capteurs électroniques à l’oreille pour surveiller l’arrivée des chaleurs. Les femelles auront deux tentatives pour la conception : la première insémination s’effectue avec une semence sexée. En cas d’échec, la deuxième est composée de semence ordinaire. Enfin, on procède à un suivi vétérinaire toutes les deux semaines : santé globale, vaccination, confirmation de gestation, etc. 

Savoir élever 

C’est un métier que d’élever, et les Mailhot, qui ont tâté de l’élevage bovin, en ont la fibre. « On a décidé de rester sur notre cœur de métier, soit l’élevage laitier », dit Régis, qui n’avait jamais vraiment aimé les vaches de boucherie, au contraire de Camil. Le secret pour élever vite fait, bien fait? L’observation. « Si tu soupçonnes un début de pneumonie chez une génisse, n’attends pas deux jours avant de la soigner », déclare Camil, qui souligne l’importance de faire entrer des animaux en bonne forme, pour éviter toute quarantaine. 

Le principal défi consiste à gagner la confiance des producteurs laitiers. Certains visitent l’élevage chaque semaine, d’autres se contentent d’un rapport envoyé toutes les deux semaines, de textos sporadiques. Quand un nouveau client se manifeste, les Mailhot lui font visiter d’abord leur étable laitière, une manière de dire qu’on n’élève pas des génisses, mais des vaches en devenir! 

Étienne Gosselin

QUI EST ÉTIENNE GOSSELIN
Étienne collabore au Coopérateur depuis 2007. Agronome et détenteur d’une maîtrise en économie rurale, il œuvre comme pigiste en communication et dans la presse écrite et électronique. Il habite Stanbridge East, dans les Cantons-de-l’Est, où il cultive le raisin de table commercialement.

etiennegosselin@hotmail.com

QUI EST ÉTIENNE GOSSELIN
Étienne collabore au Coopérateur depuis 2007. Agronome et détenteur d’une maîtrise en économie rurale, il œuvre comme pigiste en communication et dans la presse écrite et électronique. Il habite Stanbridge East, dans les Cantons-de-l’Est, où il cultive le raisin de table commercialement.