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Vie agricole

Vivre avec un enfant différent

Le diagnostic de trisomie de leur fille Sarah a été difficile à encaisser pour Ghislain Lefebvre et Annie Boisvert. « C'est un peu comme plusieurs peines d'amour réunies; on en pleure pendant des jours. »
Crédit photo : Exposeimage

Tous les parents accueillent la naissance d’un bébé comme un cadeau de la vie. Mais parfois, le fruit du hasard – comme l’arrivée d’un enfant malade – vient bousculer des existences sans histoire.

Marion est une charmante petite fille de 11 ans pleine de vie. Malgré son jeune âge, Marion a déjà traversé plusieurs épreuves. Traitée à huit mois pour une histiocytose X (une maladie orpheline), sa mère, Mélanie, a dû lui administrer pendant des mois des produits utilisés en chimiothérapie. Le traitement a été efficace, mais la maladie n’a pas été sans conséquence. Le tronc cérébral de Marion a été touché, Marion est dyspraxique.

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L’histoire de Marion pourrait être celle de n’importe quelle petite fille, si ce n’est que son père est producteur laitier. Denis Beaudry, administrateur à La Coop des Montérégiennes, et propriétaire de la Ferme Denis Beaudry. Une ferme qu'il exploite seul, avec un coup de main occasionnel de la famille et d’employés, tandis que Mélanie, sa conjointe, travaille comme assistante de recherche pour Agriculture et Agroalimentaire Canada, à Saint-Hyacinthe.

C'est aussi la réalité de Geneviève Bérubé, propriétaire de la Ferme H&M Bérubé, à Cap-Santé. Elle est la maman d’Antoine, 11 ans, qui est atteint d’un trouble du spectre de l’autisme. 

Quant à Annie Boisvert et Ghislain Lefebvre, leur vie tourne autour de la ferme du père d’Annie. La ferme Québec Ranch sert de quartier général à leur petite famille, qui compte Jade (13 ans) et Sarah (11 ans), atteinte de trisomie. En plus de son travail en orientation à Drummondville, Annie gère un gîte mis sur pied en 2011. Ghislain s’occupe à la fois de la trentaine d’animaux de boucherie, de l’entreprise de foresterie et de sciage, ainsi que des terres de grandes cultures.

Une cruelle loterie

« On a gagné à la loterie, mais pas à la bonne », résume Denis. Geneviève s’est torturée avec la question « pourquoi moi? », cherchant une réponse à ce qui lui arrivait. « On manipule régulièrement des produits toxiques. Est-ce que ça aurait pu avoir un lien? » demande-t-elle. Elle a dû se rendre à l’évidence : la réponse était tout simplement le hasard, dans toute sa cruauté.

Les diagnostics d’autisme et de trisomie ont été durs à encaisser pour tous. « C’est comme plusieurs peines d’amour réunies; on en pleure pendant plusieurs jours », dit Annie, encore ébranlée par ce souvenir. Elle raconte avoir été dans le déni à la naissance de Sarah, qui a passé un test trois jours après sa naissance, en raison des soupçons d’une infirmière.

« Le diagnostic a été assez percutant », se rappelle également Mélanie, qui s’est fait énumérer les nombreux défis et limites qu’aurait à surmonter Marion. Les parents avaient dû faire face auparavant à la découverte du syndrome d’Asperger chez Maude, l’aînée de leurs trois enfants, maintenant âgée de 17 ans. 

Pour Maude, tout comme pour Antoine, la nouvelle est tombée vers quatre ans, lorsque leur retard par rapport aux autres enfants est devenu évident. Le diagnostic a permis à Mélanie d’avoir des réponses concernant des comportements qu’elle associait à un caractère difficile. « On a compris pourquoi prendre le bain devenait une séance de cris, pourquoi Maude avait le sommeil si léger, bébé. »

Quant à Geneviève, la nouvelle a signifié le début d’un parcours du combattant à travers les dédales du système de santé publique afin qu’Antoine reçoive les soins nécessaires pour s’épanouir et progresser.

La vie à la ferme

Les trois familles doivent souvent jongler avec un horaire compliqué. Les rendez-vous chez les différents spécialistes s’ajoutent à la charge de travail habituel à la ferme, en plus du travail à l’extérieur et de la routine à la maison – sans oublier les autres enfants. Mais chacune des familles a su tirer profit de ses possibilités, comme le fait de pouvoir établir son propre horaire. 

Geneviève considère que sa flexibilité est la clé du succès pour mener à bien tous les défis associés à l’autisme d’Antoine. Elle voit l’environnement agricole comme un milieu réconfortant, à la fois pour les enfants et les parents. Les enfants jouissent d’une plus grande présence des parents, qui sont plus disponibles, ainsi que de l’entourage familial, qui apporte un soutien sans prix. 

De plus, Geneviève est convaincue que le milieu agricole est bénéfique à Antoine. Elle lui a confié des tâches simples à faire à la ferme, moyennant un petit salaire, et il les exécute à la perfection. Son fils peut aussi se déplacer en tout-terrain dans la ferme, qui est bordée d’une rivière. « J’ai une chance incroyable, malgré tout », résume Geneviève.

Pour Denis, la situation est à la fois plus simple et plus compliquée. Dans les premiers temps, il avait déplacé l’heure de la traite pour être présent au retour de l’école des enfants et au repas du soir, le temps que Mélanie revienne à la maison. Mais sa charge de travail ne s’amenuise pas. Aujourd’hui, il est confronté au dilemme suivant : grossir l’exploitation et devoir trouver de la main-d’œuvre, ou continuer seul et trimer dur pour arriver à tout faire, malgré les coups de main occasionnels.

Un jour à la fois

Les parents découvrent, en même temps que les enfants, leurs capacités et limites. Chaque progrès est une petite victoire. Annie et son conjoint ont dû apprendre à lâcher prise. Ils ont dû tracer, au fur et à mesure que Sarah grandissait, les contours de ses capacités. Chaque apprentissage est découpé en un millier de petits pas, franchis un à la fois.

Annie souhaite pour sa fille qu’elle se trouve un emploi – et pourquoi pas un petit boulot dans la ferme familiale. La sœur de Sarah, Jade, envisage d’ailleurs de prendre la relève de l’exploitation. Geneviève voit aussi Antoine occuper un boulot à la ferme, en compagnie de sa sœur Évelyne.

Pour Denis, l’inconnu, pour le moment, est la relève familiale. Étienne, qui a 14 ans, démontre un intérêt pour le travail aux champs, qui serait toutefois insuffisant si on ne conserve pas les vaches.

Aux familles qui vivent la même réalité qu’eux, Denis recommande d’en parler et de ne pas se fermer les yeux. Quant aux autres, il aimerait qu’elles prennent conscience de la chance qu’elles ont d’avoir des enfants en bonne santé. Geneviève aimerait pour sa part que les gens ne jugent pas les enfants différents. « Certains croient qu’ils sont mal élevés. C’est difficile à endurer. »

Pour l’instant, Annie profite du moment présent et du don qu’a Sarah de s’émerveiller de chaque petite chose. « Cette rencontre nous a permis de faire un retour en arrière et de réaliser tout le chemin parcouru avec Sarah. Nous en sommes très fiers. »

Vous pouvez lire la version complète dans la version papier du Coopérateur, édition de janvier-février 2018.

Céline Normandin

QUI EST CÉLINE NORMANDIN
Détentrice d’une maîtrise en science politique, Céline est journaliste-pigiste auprès du Coopérateur. Et ce n’est pas par hasard si elle se retrouve aujourd’hui à couvrir le secteur agroalimentaire puisqu’elle a grandi sur une ferme laitière. Sa famille est d’ailleurs toujours active en agriculture. 

celine.normandin@videotron.ca

QUI EST CÉLINE NORMANDIN
Détentrice d’une maîtrise en science politique, Céline est journaliste-pigiste auprès du Coopérateur. Et ce n’est pas par hasard si elle se retrouve aujourd’hui à couvrir le secteur agroalimentaire puisqu’elle a grandi sur une ferme laitière. Sa famille est d’ailleurs toujours active en agriculture.