Un monde si complexe

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En 2012, Jacques Attali invitait le mouvement coopératif à s’investir dans la gouvernance mondiale afin de jeter les bases, disait-il, « d'une communauté qui pense à l'intérêt des générations futures plutôt qu'à la juxtaposition des intérêts nationaux ». Aujourd’hui, c’est Thomas Homer-Dixon qui en appelle aux coopératives.
Homer-Dixon est professeur à l’Université de Waterloo (Ontario) et il préside un groupe de travail du Centre pour l’innovation en gouvernance internationale. Dans un article intitulé « Complexity : Shock, Innovation and Resilience », il propose une réflexion sur la contribution des coopératives dans un monde qui se complexifie à vitesse grand V.
Mais d’abord, qu’est-ce donc que la complexité? Avec humour, Homer-Dixon prend l’exemple d’une horloge grand-père. Si vous la démontez, pièce par pièce, vous allez comprendre l’utilité de chacun des ressorts, vis, boulons. Vous pourrez la remonter ensuite, en changeant au besoin les pièces défectueuses, et vous saurez que l’horloge fonctionnera précisément comme il se doit. Vous avez là une machine compliquée, mais pas du tout complexe. Elle n’est rien de plus que la somme de ses parties. Imaginez maintenant que, après que vous l’avez remontée, il lui sorte des pattes, elle se mette debout, elle vous regarde et dise « bonjour! », puis quitte la pièce. Alors là, vous êtes en présence d’une machine complexe!
Un système complexe peut donc être très surprenant, car les connexions entre ses multiples composantes ont la capacité de créer de l’inédit, du jamais-vu. Évidemment, plus il y a de connexions, plus cela rend le système complexe. Ajoutons aussi l’effet papillon : dans un système complexe, de tout petits changements peuvent produire d’énormes répercussions. Il faut savoir qu’un système complexe a de multiples équilibres et que, à la manière d’un tout petit pas de trop qui vous envoie dans un précipice sans fond, il suffit parfois d’une « pichenotte » pour que tout le système bascule dans un autre équilibre, totalement différent.
Bref, on peut tout de suite imaginer combien la gestion des systèmes complexes est difficile, car ils sont souvent imprévisibles. Il ne s’agit plus, ici, de gérer des risques; les risques peuvent être estimés, calculés. Non. Dans un système complexe, il s’agit de gérer dans l’incertitude. Toute une différence! Or, Homer-Dixon nous invite à réfléchir au monde dans lequel nous vivons aujourd’hui. Intégration de l’économie mondiale, pression sur les systèmes écologiques, multiplicité de connexions entre les systèmes technologiques, entre les organisations et les entreprises, rapidité des échanges de matériel, d’énergie, d’information… Nous sommes assurément dans un monde complexe que nous peinons à gérer!
Dans un tel environnement, la résilience et la flexibilité demeurent la meilleure protection, poursuit Homer-Dixon, parce qu’elles ouvrent la voie à l’innovation. Et c’est ici, précise-t-il, que les coopératives peuvent jouer un rôle crucial. Tout d’abord, par une présence forte, elles apportent une diversité entrepreneuriale qui alimente la capacité d’innovation des collectivités. Les coopératives montrent par ailleurs une grande résilience, ce qui améliore directement celle de nos communautés nationales et mondiale. De plus, grâce à la démocratie qu’elles pratiquent, elles peuvent mettre à contribution l’intelligence de nombreux cerveaux pour trouver des solutions à nos problèmes.
Enfin, le mouvement coopératif peut aussi contribuer par son action éducative, en faisant comprendre qu’une plus grande intégration n’apporte pas toujours une meilleure qualité de vie et que, en fait, cela fragilise parfois nos sociétés. Si nous découplions un peu les composantes de nos économies, croit Homer-Dixon, cela réduirait d’autant notre vulnérabilité face à d’éventuelles cascades d’évènements tragiques.
Cela dit, le professeur reste optimiste. Il trouve extrêmement excitante notre époque, qui fait appel à la créativité, à l’entrepreneuriat et au courage. Nous ferons les changements qui s’imposent, croit-il, et préparerons la prospérité pour les siècles à venir. Puisse-t-il dire vrai! Et puissions-nous, en tant que membres du mouvement coopératif, honorer pleinement notre distinction et contribuer ainsi à bâtir ce monde meilleur que nous souhaitons tous, pour nos enfants et petits-enfants.