
Photo : Christophe Champion
Les producteurs agricoles sont-ils encore pratiquants? Les églises en milieu rural se vident-elles comme en milieu urbain? Comment se porte la foi dans les rangs de nos campagnes?
Homélies sur YouTube, messes sur le Web, paroisses virtuelles : pas de doute, l’Église cherche à moderniser son image… et à la redorer. « Elle en a bien besoin, admet Serge Pelletier, jeune prêtre de Saint-Hyacinthe. Les outils de communications sont là, et l’Église les utilise. »
Ce n’est pas avec de vieux dogmes et une image racornie qu’elle parviendra à raviver la ferveur des fidèles et à convertir les infidèles.
Depuis bon nombre d’années, la pratique religieuse est en baisse importante au Québec, particulièrement en milieu urbain. Les régions vivent-elles le même déclin? Oui, affirme Serge Pelletier. Les mariages religieux et les célébrations de funérailles sont en chute libre. Il fonde beaucoup d’espoir dans le renouveau de l’Église. Elle a un énorme potentiel d’entraide – sa mission première –, dit cet énergique prêtre. La vitalité de certaines paroisses repose sur des curés dynamiques, qui ont la capacité de travailler en équipe.
Selon lui, il faut se défaire de l’image du curé à la soutane noire et au col romain (nulle part dans l’Évangile on n’exige de les porter) ou du vieux prêtre sévère et ridé, image qui n’a rien d’attrayant. Mais ce n’est pas si simple. La division existe au sein même de l’Église romaine. Des puristes conservateurs enfermés dans le passé – certains cardinaux s’opposant au pape, notamment – souhaitent que rien ne change, alors que d’autres militent pour une modernisation de l’image, des messages et des actions de l’Église. Les tensions sont énormes et ne facilitent pas l’évolution de l’auguste institution. En outre, les scandales honteux de pédophilie dont elle est l’objet ne l’ont en rien aidé. On s’en éloigne, déçu, outré, écœuré. Et que dire des multiples et horribles abus passés à l’endroit des communautés autochtones?
Qu’est-ce que l’Église peut encore offrir pour demeurer signifiante? « Une présence, dit Serge Pelletier en pesant ses mots. Une des grandes souffrances dans notre société, c’est la solitude. Si l’Église a un nouveau mandat à se donner, ce serait la présence sur le terrain, l’écoute, l’accueil. Lorsque j’étais prêtre à Granby, j’ai fondé la Halte Saint-Joseph. C’est un local, en ville, aucunement lié à l’Église, mais porté par la paroisse grâce à l’aide de bénévoles laïques. Tables, chaises, café : on accueille les gens dans le seul but de briser la solitude et la détresse. Pas de prêchi-prêcha. Pas de prêtre. Et ça pogne! L’idée a fait du chemin à Saint-Hyacinthe, Longueuil, Trois-Rivières. Les besoins sont là, criants. Mon agenda est plein. Si vous voulez écouter les souffrances d’un groupe du milieu agricole, allez le rencontrer. Avec du vrai monde. Ne lui expédiez pas des lettres que personne ne lit ou des documents impersonnels qui finissent au recyclage. »
Il y a tout un champ à ouvrir, comme le fait l’organisme Au cœur des familles agricoles avec ses travailleurs de rangs, qui visitent les gens et prennent le pouls du milieu. Avec les années, l’Église s’est sédentarisée. On ne sort plus. On n’a pas appris à être missionnaires chez nous, déclare Serge Pelletier, qui a étudié en missiologie à l’Université Saint-Paul, à Ottawa.
« Nous ne sommes pas à la recherche de prêtres pour faire ce travail, dit-il. De toute façon, de moins en moins de jeunes entrent en religion, d’où la chute des vocations : il y a des diocèses qui n’ont pas reçu de candidats depuis 25 ans. Nous voulons plutôt recruter des bénévoles. » Les femmes sont de plus en plus nombreuses à répondre à cet appel de l’Église, elles qui en ont toujours été exclues.
Des unités spéciales
Dans les sept paroisses de la région de Saint-Hyacinthe dont il s’occupe, le prêtre Yvon Alix n’est pas seul. Il a mis en place cinq équipes appelées « unités pastorales », avec des animateurs de communauté – hommes et femmes, des laïcs pour la plupart. « Nous sommes à l’écoute des gens, nous les accompagnons dans les baptêmes, les démarches funéraires, la maladie, la toxicomanie. Les vraies questions font surface. »
Jean-Guy Paquette est producteur agricole à Farnham. Il est aussi diacre. Un diacre n’est pas un laïc. Il fait partie de la communauté ecclésiastique. Il a été ordonné après une formation de cinq ans (théologie à l’université, pastorale, psychologie). Il peut célébrer les baptêmes, les mariages, les funérailles. « Dans ma région, près de 100 % des gens, du milieu rural ou non, font baptiser leurs enfants, dit cet homme qui est diacre depuis 25 ans. Dans les occasions spéciales, dans les épreuves, la foi est présente, même si les rencontres dominicales à l’église sont moins fréquentes. On rencontre les gens dans leur bonheur et dans leur malheur. J’ai décidé de donner un peu de ma vie à la personne humaine. On croit souvent que la foi, c’est entre nous et Dieu, et que les autres n’ont pas rapport. Mais dans la religion catholique, c’est d’abord à travers les autres que l’on rencontre Dieu. Les gens en sont toujours étonnés. Ils conservent cette image d’un Dieu punisseur et d’une Église exigeante et autoritaire. Ce n’est pas la nôtre. On reste encore accroché aux vieux messages du passé. »
« Dans notre société de consommation, on jette; si ça ne nous apporte rien, on passe rapidement à autre chose », dit l’éleveuse de poulets de chair Sylvie Durand, propriétaire de l’exploitation Avitec. Cette pratiquante à ses heures est aussi conseillère municipale et mère de trois enfants adultes. « On sort et on voyage en famille. On fait des choix. L’église n’est pas nécessairement le premier. Quand je peux, j’y vais. Ça me ramène les pieds sur terre. Mais je n’en fais pas une religion! »
« Même les aînés sont désillusionnés », ajoute Serge Pelletier. « Il suffit d’aller dans une résidence où logent une soixantaine d’entre eux pour constater qu’à peine une douzaine assistent aux messes qu’on y célèbre. L’intérêt n’est plus là. » Les communications sont ardues et font partie des défis à relever, ajoute-t-il. « Le curé a beau dire : “Dimanche prochain, la messe se tiendra à tel endroit”, ceux qui sont présents l’entendent, mais ceux qui ne le sont pas l’ignoreront. Pour faire passer un message, il faut s’y prendre trois semaines d’avance. »
L’Église n’est plus la seule porte-parole de l’Évangile, souligne Serge Pelletier. « Il y en a beaucoup d’autres. Et on a un concurrent énorme : le Web! Les gens vont y piger toutes sortes d’informations qui les embrouillent et les rendent même craintifs. De jeunes couples s’imaginent que, s’ils font la moindre erreur, l’Église ne les mariera pas. Bien sûr que c’est faux. »
« Là où est mon cœur se trouve mon trésor »
Yvon Alix n’a jamais perdu espoir. Il jure même avoir vu le Christ en face, sous les traits de Marcel, un blondinet de 18 ans amoché par la vie, à qui on avait fait énormément de mal : trimbalé d’un foyer d’accueil à l’autre, battu, humilié, forcé – par punition – à manger des excréments de chien… Innommable.
« Marcel est venu me demander de vivre le sacrement du pardon. Et il a ajouté : “Je veux sentir que Dieu m’aime. Je ne le sens pas.ˮ Je lui ai dit que l’amour est plus profond qu’un sentiment, et que Dieu l’aime, même s’il ne le sent pas. Comme une mère aime son enfant. Et que j’allais prier pour que Dieu se manifeste à lui. “Moi, il faut que je le sente, m’a-t-il dit. Si je ne le sens pas, je sombre. Je suis comme dans une rivière.ˮ »
Le prêtre poursuit : « Je comprenais pourquoi il était important qu’il sente cet amour. Je n’étais pas personnellement responsable de sa souffrance, mais je faisais partie de l’humanité qui l’avait fait souffrir. Et pour cette raison, je me suis agenouillé et lui ai demandé pardon. Pour tout le mal qu’on lui avait fait. Marcel m’a relevé, s’est jeté dans mes bras et a pleuré toutes les larmes de son corps. Je me suis ensuite assis pour écouter ses demandes de pardon. Puis, il est reparti. J’ai su, par une personne interposée, qu’il avait senti en lui l’amour de Dieu. Je n’ai plus jamais eu de nouvelles de lui par la suite. Jésus a dit : “Ce que vous ferez aux plus petits d’entre les miens, c’est à moi que vous le ferez.ˮ L’esprit de Jésus-Christ passe à travers des gens comme Marcel. Son visage m’est apparu comme le visage du Christ ressuscité. » C’était il y a 30 ans. Cette expérience spirituelle forte changera à jamais la façon dont Yvon Alix pratiquera la prêtrise. Depuis, il en fait part aux jeunes.
Des témoignages, Yvon Alix en a reçu plus d’un. Un jeune dans la vingtaine, croisé dans une cantine, qui le remercie en public de ce qu’il a fait pour sa famille. Un producteur agricole qui lui demande de bénir sa nouvelle étable. Un couple qui tient à ce qu’il célèbre ses 25 années d’union. Une jeune famille qui demande à ce qu’il baptise ses enfants.
Yvon Alix croit que la plus jeune génération, qui est absente de l’Église, fera sans doute l’expérience d’un vide. « On est des êtres humains. Nous avons une dimension intérieure, spirituelle, qui a besoin d’être nourrie. Si on la met de côté, ça va ressurgir autrement. »
Il ajoute : « La religion, ce n’est pas quelque chose de mort, c’est quelque chose de vivant. Où ça va nous mener? À l’avènement du Royaume. Quand? Comment? Je ne sais pas. » Le mystère reste entier…
Lire l'article complet dans l'édition de janvier-février 2020 du Coopérateur.