Changer ses habitudes de vie, tout comme ses pratiques culturales ou d’élevage, représente souvent un défi, même si on a conscience que certaines modifications sont pour notre bien. Pourquoi alors résistons-nous? Pierrette Desrosiers, psychologue du travail, conférencière et autrice spécialisée en entreprises familiales agricoles, nous en dit plus sur la question.
Coopérateur : Qu’est-ce que le changement?
Pierrette Desrosiers : Le changement, c’est tout ce qui menace l’ordre établi. Il y a quatre catégories qui s’amalgament. Les changements sont soit désirés ou imposés; agréables ou désagréables; prévus ou imprévus; rapides ou lents.
C: Pourquoi résiste-t-on au changement?
PD: Tout changement provoque des réactions de stress auxquels l’organisme tente de s’adapter. On sous-estime l’impact des changements même lorsqu’on les a choisis. Le meilleur exemple, ce sont les nouvelles constructions où on passe de l’étable en stabulation entravée au salon ou au robot de traite. Même si c’est très positif et prévu, le tout demande un temps d’adaptation et génère beaucoup de stress.
C: Qu’est-ce qui touche les émotions et génère autant de stress?
PD: Il y a plusieurs raisons :
- La peur de l’inconnu : À partir du moment où on ne comprend pas tous les impacts à venir, on aime mieux rester dans nos vieilles bottines confortables qu’on connaît bien.
- Le manque de motivation : On oublie qu’une ferme peut inclure plusieurs partenaires. Tous ne sont pas rendus à la même place en même temps. Le manque de motivation de l’un peut ralentir le reste du groupe.
- Les traits de personnalité : Certaines personnes sautent à pieds joints dans la nouveauté. D’autres personnes sont plus conservatrices. Elles refont les mêmes recettes, vont aux mêmes restaurants, font les mêmes sorties... Pour ces gens, changer, c’est contre nature et donc, très exigeant.
- Le manque de soutien : On n’a pas toujours l’impression d’avoir toutes les ressources pour faire face aux changements.
- La peur de l’échec : Le producteur peut avoir peur de se tromper ou d’être incompétent.
- Les habitudes : Ce qu’on connaît nous fait économiser de l’énergie. Or, le changement perturbe les habitudes.
- La méconnaissance ou une mauvaise compréhension des impacts : Les experts-conseils comprennent généralement tous les avantages du changement et ils vont présumer que les producteurs les connaissent et les comprennent tous eux aussi. Pourtant, il est possible que ce ne soit pas le cas.
- Un sentiment d’injustice : On peut se demander pourquoi nous, on doit faire ce changement, par exemple pour se conformer à des réglementations environnementales. La perception d’injustice émerge quand on a l’impression que d’autres font bien pire.
- L’expérience négative d’un ancien changement : Quand on s’est déjà brûlé dans le passé, on est moins tenté de réessayer le changement.
- La simultanéité des changements : Si on fait plusieurs changements en même temps, on pourrait être trop fatigué pour tous les gérer, alors qu’à un autre moment, on aurait sans doute été plus ouvert.
Tout cela suscite beaucoup d’émotions, dont de l’anxiété, de la frustration, voire du désespoir.
C: Si je vis un changement, comment puis-je m’aider?
PD: Il y a plusieurs stratégies qu’on peut mettre en place :
- Se donner le droit d’être inconfortable pour un temps : C’est correct de ne pas être à l’aise avec le changement au début et de se donner le temps de l’apprivoiser.
- En parler à ceux qui l’ont expérimenté : Comme producteur, c’est rassurant de voir que, chez ses pairs, d’autres l’ont fait. Ça donne de l’espoir et des modèles.
- Aller chercher les ressources nécessaires : Chaque personne a besoin d’aide d’une façon différente. N’hésitez pas à demander de l’aide.
- Avoir la meilleure hygiène de vie possible : Il faut prendre soin de soi. Plus on est en forme, plus on est apte physiquement et émotionnellement à passer à travers une période turbulente.
- Formuler des objectifs concrets et réalistes : Souvent, le changement proposé est trop abstrait. Par exemple : il faut qu’on change nos méthodes culturales. Mais qu’est-ce que ça veut dire? On peut alors décortiquer le projet en plus petites étapes. Plus elles sont simples et concrètes, plus elles sont réalisables.
- Reporter, déléguer ou réévaluer des objectifs : En reportant un projet, on peut concentrer son énergie sur un changement à la fois. En déléguant, on a plus de marge de manœuvre. En réévaluant certains objectifs, on peut baisser les attentes dans d’autres domaines.
- Identifier ce qu’on peut contrôler et lâcher prise sur le reste : Ce n’est pas moi qui ai adopté la plus récente loi, alors même si je me victimise ou que j’en veux à tout le gouvernement, ce ne sera pas utile. Mieux vaut se concentrer sur ce qu’on peut faire pour continuer à atteindre les objectifs qu’on vise.
- Faire des choix : Choisir, c’est prioriser, ce qui nous force à renoncer à des choses. On est dans une société qui ne veut pas renoncer à quoi que ce soit. Par exemple, si je choisis d’acheter trop de machinerie, je renonce peut-être à un fonds de pension. On peut donc choisir ce qui nous aide à passer à travers le changement plus facilement, que ce soit par une bonne hygiène de vie, les tâches qu’on choisit de prioriser ou encore les ressources qu’on est allé chercher.
C: Quelles sont les questions clés qu’un producteur peut se poser pour mieux faire face à un changement indésiré?
PD:
- Est-ce utile? Est-ce que mon attitude est utile?
Est-ce que votre attitude vous aide à avoir une meilleure vie et à être plus heureux? Est-ce qu’elle contribue au bonheur de votre famille et à la prospérité de votre entreprise? Si vous avez répondu non à ces questions, peut-être devriez-vous changer de piste. En effet, au fur et à mesure que les gens réalisent qu’ils se font du mal en persévérant dans leur attitude, ils voient qu’elle leur coûte cher et que le changement est préférable à la résistance. - Comment puis-je créer un lien entre ce qui m’est imposé et mes valeurs?
Parfois, certains changements sont payants, mais d’autres non. Si on arrive à leur trouver un sens qui correspond à nos propres valeurs, ce sera plus motivant. Pour certaines réglementations, par exemple, on peut se dire qu’on les suit pour les générations futures, l’environnement ou le bien-être animal. - Quel modèle veux-je être pour ma famille, mes employés, mes enfants ou les autres citoyens?
Celui qui s’offusque et se braque contre tout? On peut bien sûr être critique et affirmer son point de vue. Cependant, nos enfants aussi feront face à des changements non désirés au cours de leur vie. S’ils ont été entourés de gens courageux qui ont été capables de s’ajuster et de retrousser leurs manches, ils auront eu la chance d’avoir de véritables modèles à suivre.
Au bout du compte, on peut se demander : qu’est-ce qui va arriver si on ne change rien? Si les conséquences financières, personnelles ou familiales sont trop importantes, on pourrait bien décider d’accepter ce changement, aussi imposé, désagréable ou imprévu soit-il. On pourrait aussi choisir de s’y adapter, parce qu’au fond, c’est ce qu’il y aura de mieux pour moi, mes proches ou mon entreprise.