
C’est un mariage parfait que la traite robotisée et la production laitière biologique. Les propriétaires de trois fermes nous parlent de l’une et de l’autre… et des deux en même temps! Incursion au Centre-du-Québec avec l’agronome Maxime Rousseau, expert-conseil de Sollio Agriculture ayant plusieurs clients avec robot dans ce fief du bio.
Ferme Anrilyn : Candeurs et misères du bio au robot
Bons communicateurs, les frères Dany et Éric Poulin ont cette rare qualité : ils sont capables d’humilité, et ils parlent autant de leurs bons coups que de leurs moins bons. Apprendre de ses erreurs pour mieux progresser, c’est typiquement « Ferme Anrilyn »!
C’était en 1996 pour les terres, en 2001 pour le troupeau. À l’époque, les garçons apprenaient à épeler le mot « biologique », mais déjà leur père (André) et leur oncle (Richard) lisaient le cahier des charges. La philosophie bio est donc bien enracinée. Par exemple, pas question de rogner sur les kilos d’herbe au pâturage, qui doivent représenter minimalement 30 % de la ration, selon les normes. Les Poulin s’accommodent mal du minimum, visant 35, voire 40 %. Corollairement, les concentrés ne peuvent excéder 40 %.
En 2015, quand Dany et Éric ont pris la relève, avec comme objectif de racheter l’entreprise de leurs aînés en 2021, ils n’imaginaient pas bousculer le transfert dès 2017 en convertissant l’étable (jusqu’alors en stabulation entravée) au robot. Économiser des milliers de dollars par année en frais de machinerie en faisant partie de deux CUMA (40 branches!) et obtenir des hausses successives de quota et une quarantaine de jours supplémentaires de production (13,5 %) ont fait affluer des fonds qui ont hâté le projet.
Hâté, c’est le mot! « On a envoyé la moitié des vaches dehors le 20 mai, et le 11 juillet le robot entrait en fonction », raconte Dany, qui a perdu 20 lb dans l’intervalle, alors qu’Éric déjeunait, dînait et soupait pratiquement tous les jours à l’étable! Les producteurs peuvent dire merci à leurs conjointes, alors en congé de maternité, qui ont pris soin de la maisonnée en plus des poupons. Aujourd’hui, tous profitent de la meilleure flexibilité d’horaire que permet l’automate.
Les frères Poulin ne tairont pas la vérité sur la transition. Un mot : pas-encore-optimale! Actuellement à 26 kg de lait par jour (8000 litres par année), ils espèrent grimper à 30. En théorie, ils auraient dû monter un troupeau « prêt pour le robot » sur trois années complètes, en programmant plus de vêlages (pour mieux réformer) et en faisant de la sélection pour le positionnement impeccable des trayons et pour la robustesse des pieds et membres, afin que les vaches puissent marcher sur le béton et faire l’aller-retour au pâturage, les plus lointains étant à 900 m de l’étable. En raison de la vente des vaches mal adaptées, la longévité moyenne a dégringolé, passant de 5,1 à 3,6 ans. Pour quatre animaux, une intervention simple réalisée par leur vétérinaire a permis de distancer les trayons.
Le grand défi? Envoyer les vaches au pâturage et les faire revenir d’elles-mêmes sans que cela affecte trop leurs passages au robot. L’équation « je produis beaucoup de lait, donc j’ai faim, donc je passe au robot » est logique, pas mathématique. À 2,5 passages en période estivale, les Poulin sont satisfaits. On ne peut quand même pas espérer les 3 passages hivernaux. La stratégie estivale : offrir l’accès au pâturage aux vaches 0-79 jours en lait de 5 h à midi, et aux vaches 80 jours et plus de minuit à midi. On mise sur les heures cuisantes de l’après-midi pour faire retraiter les animaux à l’étable… ce que les belles ne font désespérément pas cette année! Après le printemps interminable, elles semblent s’entêter à savourer l’été le plus possible, ce qui oblige à enfourcher un VTT pour rapatrier quotidiennement 30 ou 40 Holstein. « Comme la moulée robot bio ne contient pas de saveurs artificielles, les vaches ont un autre dessert : le pâturage! » atteste Éric.
Bio, robot, les Poulin savent-ils qu’ils prennent une longueur d’avance sur les exigences des consommateurs? Avec 17 % d’augmentation lors des trois dernières années, le lait bio est sur une lancée. « La demande, le bien-être, l’environnement, tout va croissant, estime Dany. En faisant notre projet, on savait cela. On se lançait néanmoins dans l’inconnu… »
« Mais dans un projet valorisant! » complète candidement Éric.
Ferme Roussettes : Pèlerinage sur les chemins de la litière compostée
C’est obligatoire : pour les nouvelles constructions et rénovations d’étables, on doit adopter la stabulation libre, la norme en 2030 au Québec. La Ferme Roussettes a poussé plus loin l’audace. Adieu logettes, bienvenue aire de couchage ouverte!
Ça composte rang du Portage, à Leclercville! Deux fois par jour depuis l’automne dernier, un petit Massey-Ferguson équipé d’un sarcleur à pattes-d’oie quadrille l’étable devant le « perron d’église », cet espace entre l’aire de couchage et les deux cabanes à robots. C’est qu’il faut évacuer l’humidité et injecter de l’oxygène pour activer le compostage de la litière profonde de 25 cm, dont la température interne doit dépasser 40 °C. Une fois par semaine l’été, tous les deux jours l’hiver, on ajoute une couche de copeaux de bois franc. Avantage : la diminution du volume à épandre sur des terres parfois lointaines (10 km). Au faîte du bâtiment (7,3 m ou 24 pi, pente 4/12), on a prévu une ventilation forcée pour expulser les gaz émis par le compostage. Autrement, quatre ventilateurs géants et des murs extérieurs ouverts complètent la ventilation.
« Ça va virer tempête bientôt! » lance Thomas, l’un des trois fils (avec Julien et Xavier) d’Émilien et Chantale Lemay. Cette expression du terroir leclercvillois ne signifie pas que l’orage approche, mais que le meilleur est à venir! Lorsque les vaches étaient attachées, les pis éjectaient 26 litres de lait par jour. On est maintenant à 30 litres, avec 40 % de vaches au premier vêlage, mais on vise 35. « On a construit pour accueillir trois robots, mais on en a actuellement deux, explique Julien. On veut produire 150 kg de quota avant d’en installer un troisième. » « Faut faire mieux avant de faire plus », prévient Émilien, qui a vu neiger – et bien des tempêtes!
On procède au remplacement des roussettes Ayrshire par des Holstein, ce qui peut expliquer une partie de la hausse de volume. Pour le reste, c’est le confort. En bio, l’achat de taures ou de vaches conventionnelles est permis, mais leur lait ne pourra ni être donné aux veaux ni être mélangé au réservoir pendant un an. On a donc acheté des taures programmées pour vêler un an après leur achat. Rustiques, faciles au vêlage et meilleures en composants laitiers – quoique gourmandes, selon les Lemay –, les Ayrshire les ont bien servis, eux qui ont obtenu trois vaches de l’année All-Canadian en 2014, 2015 et 2017. « La meilleure vache du troupeau est encore une Ayrshire! » s’enthousiasme Julien. La vitesse de traite moyenne au robot des Ayrshire, près de deux fois plus lente que celle des Holstein, est toutefois incompatible avec la traite robotisée.
« On est passé d’une mode à une tendance, puis à un segment de marché », évalue le sage Émilien, qui s’initiait en 1989 au biologique, lequel faisait alors sensation par sa nouveauté. Un groupe d’une quarantaine d’agriculteurs de son secteur s’était réuni une première fois dans l’ancienne école d’agriculture de Sainte-Croix pour explorer le bio. Depuis, ce groupe non officiel se réunit encore deux fois l’an. En 1993, les champs de la Ferme Roussettes devenaient certifiés. Le troupeau a suivi en 2001. Dans l’intervalle, taures et vaches taries ont profité de la liberté à partir de 1994. À l’époque, le lait bio était noyé dans le camion-citerne. Aujourd’hui, il est valorisé chez Natrel ou Liberté.
Et les robots? Julien et Thomas ne voulaient pas gérer de la main-d’œuvre étrangère, pas plus qu’ils ne voulaient tirer à la courte paille pour déterminer qui ferait la troisième traite. L’accès à des mégadonnées permettant une meilleure gestion et la traite quartier par quartier ont fini de les convaincre. Leurs conjointes et l’accroissement du temps passé en famille y sont-ils aussi pour quelque chose? Poser la question, c’est y répondre.
La discussion dévie sur un autre sujet et le véganisme s’invite dans la conversation – comme quoi les habitudes des consommateurs sont peut-être à un tournant… ou pas. En outre, les mots « planification stratégique » fusent. Est-ce la jeune génération ou la plus vieille qui les a prononcés? Qu’importe : chez les Lemay, on se questionne, on évolue… on produit!
Ferme DesGémos : Le lait bio, c’est son créneau!
Antoine Beaudet a 28 ans et une carrière brillante de producteur laitier biologique devant lui. Même si la Ferme DesGémos est relativement petite, elle produit dans un créneau que même l’ouverture des frontières ne pourrait pas ébranler.
Malgré les nombreuses incitations financières du MAPAQ ou de La Financière agricole, moins de 3 % des fermes laitières de la province sont certifiées biologiques et à peine 2 % du lait est bio. Quant à la traite robotisée, on la trouve chez 9 % des troupeaux sous contrôle laitier.
Bref, si les tarifs douaniers et la gestion de l’offre venaient à tomber, et les prix du lait à s’effondrer, Antoine Beaudet aurait l’impression d’avoir une longueur d’avance pour continuer d’approvisionner un segment de marché distinct et en croissance. « Le reste de la planète ne pourrait jamais réussir à fournir le marché d’ici avec un lait biologique ayant une valeur ajoutée. » À Leclercville, dans son rang du Portage, ce n’est pas du côté du volume et des économies d’échelle qu’Antoine pourrait se démarquer en produisant à faible coût un lait conventionnel. Avec un quota de 55 kg, 56 logettes disponibles et entre 50 et 55 vaches en lactation, ce diplômé de l’ITA (La Pocatière) n’angoisse pas. « Mes parents ont toujours eu comme objectif de faire vivre notre famille tout en ayant du plaisir. Ils ont bien réussi! »
Il poursuit : « Personnellement, je suis capable de vivre en ne coulant pas de béton chaque année. » Jusqu’en 2016, les vaches étaient attachées. Le producteur et ses parents, Linda Labrecque et Jean Beaudet, ont réaménagé l’étable pour y installer un robot de traite et une litière de fumier recyclé. Il s’en est fallu de peu pour que la ferme compte une salle de traite double-8. Le système usagé était même payé et livré dans la cour, en 2015, quand Antoine a décidé d’opter pour un robot d’occasion. « Il fallait construire plus grand pour prévoir une salle d’attente, alors que pour le même prix, je pouvais robotiser la traite et éviter 80 minutes de traite par jour », explique le gestionnaire.
Un virage à 180 degrés, étant donné que les plans d’une nouvelle bâtisse étaient prêts, l’excavation faite et le chemin de ferme construit… de l’autre côté de la route! « On a fait un projet à moindre coût et je n’ai aucun regret! » conclut l’entrepreneur, qui profite d’un peu plus de temps pour sa famille ou pour lui-même, entre autres pour pratiquer le hockey de terrain (deck hockey) et le vélo de montagne! En bio, la moyenne annuelle de production des troupeaux supervisés est d’environ 7500 kg. La Ferme DesGémos, elle, tourne à 8600 kg en moyenne, 30-32 litres au quotidien, avec des pics à 37-38 cette année!
Tout semble trop beau. Quels sont les défis de cette ferme bio depuis 2001? « Les fermes voisines ont une jeune relève. Je suis donc limité en terres pour produire les aliments du troupeau, de même qu’en pâturages », dit Antoine, qui magasine du foin chaque année, car l’autosuffisance plafonne à 80 % pour les fourrages et à 10 % pour les grains. L’alimentation au robot, qui varie de 1,5 à 7 kg de moulée complète cubée, est un avantage de la traite robotisée pour compléter et individualiser l’alimentation, selon Maxime Rousseau.
Côté pâturage, le plus loin est à un kilomètre, et il n’y a pas encore d’eau d’abreuvement dans toutes les parcelles. L’accès est dit « libre », mais l’éleveur contrôle les heures d’accès, selon les préférences naturelles des belles : de jour le printemps et l’automne, de nuit l’été. La fréquence de traite est de 3,2 l’hiver et de 2,8 l’été.
Bon, s’il faut rouspéter sur quelque chose, peut-être qu’à postériori Antoine aurait orienté la sortie du robot à accès libre vers les pâturages et installé un couloir avec barrière de tri pour programmer les sorties extérieures selon différents paramètres de traite. Mais ce n’est ni majeur ni une entrave à la production.
Pas de quoi faire venir le camion-bétonnière!
Lire l’article complet dans l’édition de septembre 2019 du Coopérateur.