Il suffit d’expressions comme économie circulaire ou cycle de vie pour que s’anime le chercheur de l’Institut de recherche et de développement en agroenvironnement (IRDA) Stéphane Godbout qui a accepté de consulter sa boule de cristal : comment s’articulera la transition énergétique?
Stéphane Godbout est pragmatique : le pétrole a multiplié la productivité. Sans l’éliminer, on doit améliorer l’efficacité des procédés et des bâtiments : abaisser la température, réduire les changements d’air, préchauffer l’air avec des systèmes passifs, etc. « En moyenne, l’énergie ne représente que 5 à 15 % de l’empreinte carbone d’une ferme », rappelle-t-il. Des postes d’émissions comme la volatilisation de l’azote des engrais de synthèse sous forme de protoxyde ou la fermentation entérique des ruminants, qui génère du méthane, sont plus importants.
L’ingénieur aborde l’exemple des tracteurs, dont la consommation de diesel, ce mélange d’hydrocarbures de neuf à 20 carbones, ne compte que pour quelques pour cent dans un bilan carbone bien qu’ils soient très inefficaces. « Les moteurs à combustion interne s’améliorent, mais les pertes thermiques expliquent leur faible efficacité de 30 à 40 %. » En 2021, les tracteurs ont émis 1,13 Mt d’équivalent CO2, 39 % plus qu’en 1990. À quand les tracteurs électriques? Les GES associés à la consommation énergétique agricole représentent 1 % des GES québécois.
En conceptualisant les entreprises comme des systèmes agroalimentaires, Stéphane Godbout constate une panoplie de matières à valoriser in situ ou ex situ, sans pour autant spécialiser des fermes en production énergétique. À l’IRDA, il teste un bioréacteur à base de fumier à haute teneur en matière sèche et la pyrolyse pour produire du biocharbon (amendement de sol) et des huiles pyrolytiques (biopesticide). Et le gaz naturel renouvelable? Le biométhane, qui constitue 1 % du gaz distribué par Énergir, est produit notamment dans les biodigesteurs anaérobies de la Coop Agri-Énergie Warwick.
D’autres projets progressent (Nature Energy à Farnham). « L’objectif doit rester de gérer ou de valoriser optimalement des lisiers ou des résidus », juge le chercheur qui ne voit pas encore la pertinence économique d’autoproduire ses biocarburants avec des cultures (soya, canola) ou de presser ses granules (panic érigé, alpiste roseau ou saule hybride).
« Le problème vient aussi du stockage, analyse-t-il. Le réservoir d’un barrage est une forme de batterie, mais pour des éoliennes, des panneaux solaires ou du biogaz, il faut emmagasiner l’énergie à défaut de la vendre au réseau électrique ou au gazoduc ou de l’autoconsommer pour sécher des grains, chauffer un bâtiment avec de l’eau chaude, des besoins énergétiques généralement faibles ou intermittents. » Bref, défis techniques nombreux et contextes économiques compliqués, la boule de cristal du chercheur reste brumeuse!
Illustration : Charles-Étienne Brochu