Pas sexy, parler des sols. Et pourtant, ils sont l’assise de notre agriculture. À l’invitation du club agroenvironnemental Dura-Club, de Bedford, nous nous sommes rendu au Potager Mont-Rouge lors d’un arrêt de la Caravane santé des sols, du MAPAQ, pour poser « la » question : comment vont nos sols? Entre conservation et régénération, il y a beaucoup à dire, mais un mot est martelé : structure.
1. Couvrir pour conserver
Sol nu, sol foutu – c’est connu. D’ailleurs, la nature s’acharne à vouloir coloniser la terre. Il n’y a rien de naturel ou de souhaitable à voir du brun. « En l’absence de couvert végétal, 70 % de l’eau de pluie ruisselle, révèle l’agronome et ingénieure Odette Ménard, du MAPAQ Montérégie. Si on veut recharger l’eau dans le sol pour contrer les sècheresses, il faut favoriser l’infiltration de surface et dans le profil de sol. » Et pour cela, une arme cruciale : le végétal.
Pour l’agronome Lyne Beaumont, de Sollio Agriculture, il y a encore trop de sols laissés vacants. Elle révèle que les ventes de semences de céréales d’automne, qui allongent les rotations au-delà du maïs-soya et qui couvrent les sols à l’automne, sont en forte augmentation. De même, les engrais verts (une trentaine d’espèces sont proposées par Sollio) n’ont jamais été si populaires – malgré les dernières années plutôt sèches. « Nous les offrons dans différents mélanges bien agencés, faciles à commercialiser, dit cette conseillère en cultures céréalières et fourragères. Certains producteurs nous demandent des espèces inusitées, comme le teff, alors que d’autres veulent des valeurs sûres. » Radis et raygrass reviennent dans plusieurs mélanges. Une version à sept espèces annuelles non envahissantes intègre notamment du millet japonais et de la phacélie. Enfin, un mélange de trois trèfles – incarnat, huia et alsike – fait merveille, semé avec la culture de céréales, pour un automne bien vert et des sols couverts.
D’ailleurs, dans le Plan d’agriculture durable 2020-2030 du MAPAQ, l’objectif « Améliorer la santé et la conservation des sols » vise à ce que 75 % des champs soient couverts en hiver par des cultures ou par des résidus et que 85 % des sols aient un pourcentage de matière organique de 4 % et plus.
2. Structurer pour oxygéner
Dans la sainte trinité des propriétés des sols – chimiques, biologiques et physiques –, on a eu tendance à négliger les paramètres physiques, pourtant essentiels à la fertilité. Si certaines caractéristiques, comme la texture (sable, limon, argile) ou la pierrosité, ne peuvent être modifiées sensiblement, d’autres, comme la porosité ou la stabilité structurale, peuvent être améliorés. Il est facile de diagnostiquer des carences via une analyse chimique des éléments d’un sol. Toutefois, pour les paramètres physiques, il faut le meilleur des stéthoscopes : la pelle! Il faut éviter la pépine et privilégier la pelle ronde, en observant comment se défont les agrégats quand on laisse tomber la motte.
Quel est le principal élément déficient dans les sols que les spécialistes du MAPAQ observent? Ni l’azote, ni le phosphore, ni le potassium, ni le zinc et tutti quanti, mais bien… l’oxygène. Cet élément gratuit doit pouvoir s’infiltrer dans le sol pour alimenter les organismes vivants qui dynamisent la rhizosphère, ces quelque neuf milliards de microorganismes présents dans une seule cuillérée à thé de sol en bonne santé! Plus vivants, les sols sont plus résilients. Ils hébergent même davantage de prédateurs naturels de la chrysomèle des racines et moins de sclérotes qui causent la sclérotiniose.
Or, si la compaction de la surface et du sous-sol, qui nuit à l’oxygénation, est présente dans 90 % des sols en Montérégie, dit Bruno Garon, ingénieur au MAPAQ, la compaction s’observe surtout entre les deux oreilles! Les pneus trop gonflés de machines passées dans de mauvaises conditions météorologiques compactent les horizons. « Il y a souvent trop d’air dans les pneus, pas assez dans le sol! » ironise Garon, qui constate que la pression de 85 % des pneus qu’il observe n’est pas optimale.
3. Cultiver pour conserver
Que penser des bandes riveraines élargies? « Une terre en santé possède une “bande riveraine” jusqu’au milieu du champ! » plaisante Odette Ménard. Autrement dit, si le sol est bien structuré, il est plus stable. Si la matière organique, aliment du vivant, participe à bâtir des sols bien charpentés, cette conseillère en conservation des sols a observé des sols estriens, sableux et dégradés, à 7-8 % de matière organique. Le carbone dans le sol est une mesure de la santé de celui-ci, mais ce ne doit pas être la seule.
Par exemple, les racines produisent des exsudats racinaires, riches en matière carbonée, qui dynamisent la vie bactérienne et fongique au pourtour des racines. Les deux tiers des racines sont pratiquement invisibles à l’œil nu. Dans un mètre cube de sol, on trouve entre 15 et 25 km de racines et radicelles, qui participent à structurer le sol. De plus, les champignons mycorhiziens colonisent l’interface sol-racine et multiplient les échanges, produisant au passage une colle de glycoprotéine hydrophobe appelée glomaline, qui stabilise les agrégats.
C’est en cultivant les sols qu’on les garde en bonne santé, mais pas n’importe comment : semis direct ou travail réduit, assolement d’au moins trois plantes, et cultures de couverture qui relaient les cultures commerciales, voilà l’essentiel. Le nivellement, coûteux, énergivore et souvent présenté comme une panacée, nuit parfois plus qu’il n’aide, observent les spécialistes du MAPAQ. La lame pulvérise les agrégats, ce qui entraîne du ruissellement et des restrictions à l’enracinement. Au lieu de viser une surface plane à tout prix, on devrait s’attarder à mieux structurer les sols, qui garderont de l’eau sans excès, au bénéfice des cultures qui doivent affronter des sècheresses – crise climatique oblige – appelées à se multiplier.
Photo : Étienne Gosselin