
Un simple passage devant la Ferme Chantalain inc. ne vous amènerait pas à réaliser toute l’énergie que son propriétaire Simon-Pier Lévesque a dû investir pour monter l’entreprise qui élève aujourd’hui 3000 bouvillons.
Armé de son diplôme d’études collégiales de l’ITAQ de La Pocatière, le jeune agriculteur de 35 ans a surmonté de nombreux refus et un préjugé tenace pour réaliser ses rêves d’enfance.
Le désir de posséder sa propre ferme habitait Simon Pier dès l’adolescence. « J’avais 12 ans et je travaillais dans des fermes bovines dans le Bas-du-Fleuve, entame l’éleveur. Mon père possédait un troupeau de 40 vaches-veaux à Saint-Clément (région de Rivière-du-Loup) et supplémentait son revenu avec son emploi de chauffeur d’autobus. Ça m’intéressait de prendre la relève, mais mes parents n’étaient pas chauds à l’idée. Mon père ne voulait pas me vendre une ferme et être la cause de mon échec. Mes parents et moi avions une entente. Je pouvais aller à l’ITAQ, mais je devais suivre une autre formation après. J’avais dit oui, mais dès la fin de mon DEC à La Pocatière, je suis parti travailler. Je ne l’ai jamais regretté et mes parents sont bien contents pour moi aujourd’hui. J’ai ma ferme. »
La Ferme Chantalain inc., située à Saint-Martin, en Beauce, élève quelque 3000 bouvillons annuellement. Le site lui permet d’en accueillir 1500 à la fois. La rentabilité de l’entreprise ne fait aucun doute. Le chemin a été ardu pour arriver là où se trouve aujourd’hui l’entreprise. « J’ai regardé toutes les options. La production laitière, je ne pouvais pas. Je n’aime carrément pas ça. Le poulet, j’aurais bien aimé, mais l’acquisition de quota posait un problème. Le bœuf, j’aimais ça parce que, premièrement, c’est dehors. La manipulation des animaux, j’aime beaucoup ça aussi. C’est très diversifié. Je fais des grandes cultures en plus de mon bœuf. En plus, les horaires sont diversifiés. En production laitière, je me sentais attaché. Ça, je ne suis pas capable. Si tu me dis que je dois commencer un boulot à huit heures et qu’à neuf heures ça doit être fini, ça ne passera pas. Je suis entêté et je vais continuer si ce n’est pas à mon goût », explique l’entrepreneur trentenaire.
Le saut en production bovine s’est fait au fil de plusieurs refus de la part de prêteurs et de nombreuses visites pour amasser de précieuses informations. « Au début, certaines personnes me disaient de ne pas aller dans le bœuf, que j’allais crever, se rappelle-t-il. Des revues et des plans d’affaires, j’ai dû en faire une bonne dizaine. J’ai commencé par racheter une ferme de vaches-veaux en faillite à Tring-Jonction en 2012. Avec les bâtiments et le fond de terre. J’ai commencé avec 45 vaches et j’ai revendu la ferme en 2021 avec un cheptel de 140 vaches, et j’engraissais 900 bouvillons. Ce qui m’a beaucoup aidé, c’est que j’ai eu un emploi dans un parc à bœufs pendant quatre ans, en même temps que ma ferme. Plusieurs de mes payes étaient réinvesties dans ma ferme. »
Monter à un autre niveau
L’achat de la ferme de Saint-Martin, conclu en 2021, a été le fruit de nombreux efforts et d’une bonne dose de persévérance. « Je l’ai payée au prix courant », insiste Simon Pier. La ferme compte actuellement sur une collaboration avec l’entreprise Délimax pour produire ses bouvillons. Aux animaux s’ajoutent les bâtiments, 334 hectares (825 acres) de terre cultivable et 71 hectares (175 acres) de bois. L’entente forfaitaire avec l’entreprise Délimax offre des perspectives de développement pour le jeune agriculteur. « Sur le plan de la rentabilité, il m’en reste plus dans mes poches avec cette formule-là. Je veux revenir à l’autonomie un jour, mais, pour le moment, c’est bien pour mon entreprise. Je calcule toujours avant de prendre une décision. Si je dois rester forfaitaire parce que c’est plus rentable, je vais rester ainsi. » La ferme mise sur une main-d’œuvre de premier plan avec deux employés impliqués et dévoués. Nicolas Cliche et Jhon Maldonado prêtent main-forte à leur patron qui le leur rend bien.
Évidemment, produire du bœuf exige une alimentation adéquate. Le taux de gain et le coût des aliments entrent en ligne de compte. La recette pour arriver à rentabiliser l’élevage compte plus de 14 ingrédients : maïs ensilage, ensilage de foin, frites, Filter Aid, drêche humide, lactosérum, céréales, maïs sec, maïs humide, criblure, paille, foin sec, Promix, minéraux, pierre à chaux et urée composent la recette gagnante. « Nous avons fait beaucoup d’essais pour trouver la bonne recette et là, je crois que nous l’avons », analyse Simon-Pier Lévesque.
Pour maximiser l’alimentation de son troupeau, l’éleveur peut compter sur les services de son experte-conseil de chez OptiBœuf S.E.N.C., Jessica Guay-Jolicoeur. « Je cherche toujours à avoir le meilleur coût d’alimentation possible. Comme je revends mes aliments à Délimax, je me dois d’être le plus efficace possible. C’était la même chose quand j’avais ma ferme de vaches-veaux. J’ai toujours été innovateur. Je faisais des pâturages intensifs avec des rotations aux 12 heures, parfois même aux quatre heures. Je ne commençais à soigner mes animaux qu’au mois de novembre. La plupart des autres producteurs débutaient en août. Certains me trouvaient un peu fou, mais, curieusement, ils font la même chose depuis un certain temps, indique Simon Pier, un sourire aux lèvres. Je suis curieux aussi, j’aime apprendre. Je suis toujours rendu dans les rencontres du MAPAQ et les colloques du CRAAQ. Je fais des voyages dans l’Ouest. Je dois toujours améliorer mes façons de faire. » Son experte-conseil souligne par ailleurs cet appétit pour la mise à jour de ses connaissances. « Simon Pier, ce n’est pas une personne avec un gros ego. Ce que je veux dire par là, c’est qu’il est capable de s’entourer de personnes de confiance. Il est capable d’analyser par lui-même, mais il n’a pas peur d’écouter les conseils des autres et de les mettre en pratique s’il considère que ça lui convient. Les producteurs qui s’entourent bien sont souvent ceux qui se démarquent », glisse Jessica Guay-Jolicoeur.
Conseil à la relève
Au fil d’une carrière de près de deux décennies, Simon Pier Lévesque a partagé sa précieuse expérience avec des jeunes de la relève et n’hésite pas à les conseiller. « J’ai bien dû en aider cinq ou six à monter leur plan d’affaires, dit-il. Il faut de la persévérance dans cette production. Ne pas s’arrêter au premier refus. Dans le bœuf, face aux créanciers, tu pars avec deux prises. Tu dois persévérer. Tu dois être résilient aussi. Ce n’est pas nécessaire de partir avec une grosse entreprise. C’est un secteur qui se conjugue bien avec un emploi à l’extérieur. »
Photo de Stéphane Payette : La Ferme Chantalain compte sur un trio de premier plan avec Nicolas Cliche, Simon-Pier Lévesque et Jhon Maldonado pour assurer un développement constant de l’entreprise.