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L’art d’élever un ténébrion à la Ferme des Blés d’Or

Derrière son sourire juvénile, Antoine Ménard de la Ferme des Blés d’Or, à Sainte-Marie-de-Blandford dans la MRC de Bécancour, s’avère un jeune homme sérieux et ambitieux. Épaulé par sa famille, il s’est lancé dans l’élevage des ténébrions meuniers, un insecte avec lequel on fabrique une farine riche en protéine et en énergie. Qu’est-ce que ça mange en hiver, cette bibitte-là? Découvrez-le avec nous.

L’attention d’Antoine pour le ténébrion meunier s’est développée à la suite d’un reportage de la Semaine verte. « J’ai commencé à faire des recherches là-dessus, ça m’intéressait vraiment, l’entomoculture. Je suis allé à des activités et j’ai démarré un petit élevage dans mon sous-sol pour apprendre comment ça marchait », débute le jeune agriculteur de 28 ans. Après une formation en visioconférence du Cégep de Victoriaville, Antoine passe aux choses sérieuses.

La Ferme des Blés d’Or produisait du porc et, à la suite de la fin de leur entente avec le groupe RP2R, la décision a été prise de foncer dans l’élevage du ténébrion meunier. Ainsi, Sylvie Bilodeau, Jacques Ménard et Louis Ménard, respectivement les parents et le frère d’Antoine, ont formé l’entreprise. Jacques et Antoine s’occupent principalement des activités de tous les jours, Sylvie apporte sa précieuse expertise de gestionnaire et Louis, tout en gérant sa ferme de paniers de légumes biologiques (La Trotteuse), appuie l’entreprise en louant une partie des terres et des bâtiments pour y élever des poules. La famille Bilodeau-Ménard compte également sur l’appui crucial d’Encarnacion Ccolque Salazar, Péruvienne d’origine qui travaille à la ferme depuis les débuts de l’aventure.

Avant de se lancer dans une telle transformation d’entreprise, Antoine a établi son plan d’affaires et les membres de l’équipe ont soigneusement préparé les bâtiments pour accueillir leurs nouveaux pensionnaires. Plusieurs heures ont été investies dans la rénovation des maternités et des engraissements pour les adapter. « Nous avons cassé du béton pour retrouver les planchers originaux, ce qui nous a donné de l’espace. Ensuite, nous avons ajusté la ventilation », glisse Antoine.

S’inspirer du porc

« Au fond, c’est une production agricole. Avec notre vécu d’éleveur de porcs, ça n’a pas été difficile de monter un procédé d’élevage. Par exemple, la ponte. Nous avons des adultes dans des bacs qui pondent des œufs. Chaque semaine, nous tamisons les bacs pour en garder les œufs. Nous envoyons les œufs à l’incubation et les adultes reprennent la route de la ponte. Ils peuvent se reproduire pendant huit semaines », explique Antoine. Les œufs vont prendre deux semaines à éclore. Les larves atteindront leur maturité 12 semaines plus tard. Les vers pourront alors être récoltés pour la transformation. Si le vers est trop petit, on le laissera se développer encore deux autres semaines.  

Une fois prêts pour la vente, ces insectes de la famille des coléoptères se destinent à des marchés précis. « Le plus gros marché, actuellement, est celui des animaux domestiques, comme les lézards et les geckos léopards. Ce n’est pas un énorme marché, car nous serons bientôt capables de le combler à nous seuls, soutient Antoine Ménard. Il y a aussi le marché des insectes séchés, des gâteries pour les poules ou les oiseaux. C’est un marché en développement où il y a une forte concurrence qui provient des vers élevés en Asie. Un marché très intéressant que nous espérons voir se développer est celui des produits pour l’alimentation humaine, c’est-à-dire les insectes assaisonnés et la farine d’insectes. Une fois séchée, cette farine atteint une teneur de 60 % en protéines et de 30 % en matières grasses. C’est très riche en énergie. J’en mets dans mes muffins, mes biscuits et même mon gruau. Un déjeuner avec ça, c’est très soutenant. »

L’entreprise entend se concentrer sur la production de ténébrions et préfère brasser des affaires avec des distributeurs pour les produits. La ferme travaille activement avec d’autres entreprises, comme Insectivores de Trois-Rivières, une compagnie reconnue pour ses produits pour l’alimentation humaine.

Une autre source de revenus est le frass, le fumier des ténébrions. Une fois tamisé, il est mis en sacs de 500 kg et vendu comme fertilisant biologique. « C’est très riche en azote, en phosphore et en potassium, indique Antoine. Les producteurs maraîchers l’utilisent dans la majorité de leurs cultures, entre autres dans les cultures de canneberges et de framboises biologiques. » Louis, le frère d’Antoine, en épand sur ses cultures.

Les clefs de la rentabilité

Toute entreprise doit atteindre un seuil de rentabilité pour assurer sa pérennité. Les actionnaires de la Ferme des Blés d’Or le savent pertinemment. Toutes les actions sont dirigées vers l’efficacité de la production. « Présentement, nous produisons 250 kg d’insectes vivants par semaine, précise Antoine. C’est important, car comme ils perdent 60 % de leur poids lors de la transformation, c’est une statistique importante. Avec nos nouvelles installations, nous allons pouvoir faire grimper notre production à 350 kg par semaine. Nous avons le potentiel de dépasser les 600 kg par semaine, une fois installés dans tous nos bâtiments. »

« Ce qui nous empêche actuellement d’être rentables, c’est la main-d’œuvre, poursuit l’éleveur. Nos procédés ne sont pas encore efficaces, parce que nous y allons par étape. Actuellement, nous avons beaucoup de manipulation. Ça prend du temps et ça représente un coût. L’objectif est de produire 350 kg par personne capable de faire seule tout le travail. Présentement, les manipulations d’actifs sont ce qui gruge le plus de temps. Il faut apporter les bacs au tamiseur et gérer la matière. Ce sont des étapes qui sont faciles à automatiser. Par exemple, dans la nouvelle section, au lieu d’apporter les bacs à coup de huit au tamiseur avec le petit chariot, nous allons les prendre avec un transpalette qui en transporte 48 en même temps. Nous allons diviser par cinq le temps que nous prenons pour les transporter. Un autre appareil qui nous aiderait grandement en serait un qui prendrait les bacs et les viderait dans le tamiseur. Il existe plusieurs options que nous étudions actuellement. »

Les talents de ce diplômé en génie de l’Institut des technologies agricoles (ITA) de Saint-Hyacinthe le servent beaucoup. Énormément de mises au point de machinerie et de réparations passent par ses mains.

Recherche et développement et produits dérivés

Alimenter un ténébrion meunier a aussi ses impacts sur les résultats et, par conséquent, sur l’atteinte de la rentabilité. La ferme atteint actuellement un gain de poids de 30 g par bac par jour. Un taux de conversion de 25 % qui sera amélioré. Le principal aliment est le gru de blé qui est complété par des pommes de terre.

Entre les étapes de production et les travaux de rénovation, Antoine Ménard garde du temps pour la recherche et le développement (R. et D.). « Le principal objectif de notre R. et D. est d’assurer une stabilité de rendements élevés. Nous savons que les ténébrions adultes aiment manger des patates. Ils en consomment l’eau et l’amidon. Nous avons tenté d’arrêter de leur en donner pour gagner du temps et réduire le nombre de manipulations, mais nous avons observé une baisse du nombre de larves par bac. »

« Nous avons recommencé [à leur en donner], explique Antoine. J’ai également essayé un autre aliment et j’ai remarqué une hausse de la température dans le bâtiment. Les vers dégageaient plus de chaleur. Est-ce assez pour diminuer le chauffage et économiser de l’énergie? Nous verrons. Pour le moment, tous les efforts sont axés sur l’efficacité et la rentabilité. »



Un prix pour la relève

Antoine Ménard ne boude pas les efforts d’apprentissage. En plus de son diplôme en génie agricole, il effectue actuellement un certificat en entrepreneuriat et gestion de PME à l’Université Laval. Antoine a fait partie des lauréats du prix Tremplin pour la jeunesse agricole remis par Sollio Groupe Coopératif et Desjardins. Dans le cadre de ce concours, il a reçu une bourse de 15 000 $ en plus d’une formation en développement d’entreprise.

Photos : Stéphane Payette

Stéphane Payette

QUI EST STÉPHANE PAYETTE
Membre de l'Ordre des technologues du Québec, Stéphane est expert-conseil en productions végétales à Novago Coopérative.Il est également journaliste à la pige pour le Coopérateur.

stephane.payette@sollio.ag

QUI EST STÉPHANE PAYETTE
Membre de l'Ordre des technologues du Québec, Stéphane est expert-conseil en productions végétales à Novago Coopérative.Il est également journaliste à la pige pour le Coopérateur.