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Les coopératives agricoles ukrainiennes tiennent le coup

Photo (gracieuseté de SOCODEVI) : Sergii Kurditskyi, directeur général de l’Union des Coopératives Gospodar, face à l’élévateur à grain coopératif de Vasylkyivka.

Coincés dans l’étau russe, les Ukrainiens résistent. Depuis plusieurs années, SOCODEVI mène en ukraine de nombreuses missions qui bénéficient directement à environ 3200 familles d'agriculteurs, que ce soient des producteurs de grains ou laitiers. « Nos organisations ont aussi une influence qui déborde largement ces bénéficiaires directs », souligne Camil Côté, directeur de projet pour l’Ukraine.

Coopérateur : Décrivez-nous d’abord la structure des coopératives agricoles en Ukraine?

Camil Côté : La plupart des coopératives agricoles ukrainiennes, et les unions qui les rassemblent, ont été créées par SOCODEVI sur le modèle de Sollio Groupe Coopératif et de ses coopératives affiliées, qui ont effectué là-bas plusieurs missions d’aide. Les coopératives laitières ont vu le jour en 2009. On en compte une douzaine aujourd’hui, regroupées au sein de deux unions de coopératives.  On retrouve également deux coopératives de grains situées dans l’est de l’Ukraine, dont une à Dnipropetrovsk et l’autre à Kirovograd. Ces coopératives de grains ont commencé leurs activités en 2014. Un élévateur, appartenant à l’union, également aménagé à Dnipropetrovsk, assure la réception du grain des producteurs, son entreposage et sa commercialisation, ainsi que la vente d’intrants aux producteurs. L’une des unions se trouvant dans l’ouest du pays, autour de Lviv, regroupe essentiellement des producteurs laitiers qui y acheminent leur lait et le mettent en marché. Une nouvelle usine est actuellement en construction.

Comment la guerre a-t-elle affecté l’activité de ces coopératives?

Les coopératives les plus affectées sont celles de l’Est de l’Ukraine. Notre élévateur à grains, situé à environ 80 km de la ligne de front, n’a pas été détruit comme d’autres l’ont été, de même que des usines de fabrication d’engrais. La tension est évidemment très élevée. L’union possède également une ferme laitière modèle construite en 2012 avec l’aide de SOCODEVI et qui est gérée par l’une des coopératives de grains. Cette ferme, elle, est à 40 km de la ligne de front. La productivité de la ferme a beaucoup baissé.


Bombardements à l'origine

Photo : Bombardement visible à l’horizon (à environ 10 km). La ferme modèle n’est qu’à 40 km de la ligne de front.


Une de nos coopératives laitières est sur la ligne de front et n’obtient qu’un approvisionnement limité. Une autre ne reçoit que la moitié de ses approvisionnements réguliers et s’est tournée vers une transformation locale et, enfin, quatre autres sont complètement à l’arrêt. Au total, on a perdu 75 % de nos volumes de lait. On ne peut pratiquement plus en faire de commercialisation.

Dnipropetrovsk est à une centaine de kilomètres d’une région en partie envahie par les forces russes et Kirovograd n’est aussi qu’à une centaine de kilomètres du port assiégé de Mikolaiev.

Les nouvelles demeurent cependant relativement bonnes dans les circonstances. Les semis de grains sont faits. Nous avons réussi à ensemencer la plupart des champs pour l’alimentation des vaches, pour faire l’ensilage de maïs, entre autres. Mais les prix des grains restent très bas.

Le prix du lait aux producteurs, quant à lui, est aussi très bas, faute de demande à cause de la guerre, car il y a une grande diminution de la population dans l’est du pays. Huit millions de personnes ont été déplacées à l’intérieur de l’Ukraine.


Parc d'élevage

Photo : Parc d'élevage à la ferme de démonstration. 


Quel est l’état des cultures et de leur commercialisation?

Avec une capacité d’entreposage de 12 000 à 13 000 tonnes, l’union des coopératives de grain dispose de suffisamment de capacité pour recevoir en juin la prochaine récolte de blé d’hiver semé l’an dernier. Les rendements seront sans doute moindres, car de vastes superficies dans le sud-ouest du pays sont en partie sous le feu des forces russes. La récolte de tournesol, elle, se fait en septembre et octobre. Les coopératives, pour être en mesure de recevoir le tournesol, devront avoir vidé le blé de leurs installations. Mais depuis le début de la guerre, toutes les activités de commercialisation des coopératives de grain ont cessé, à défaut de pouvoir être payées par les acheteurs, mais aussi bien sûr parce qu’il n’y a plus de possibilités d’exportation de blé à partir de l’Ukraine. Notre principal acheteur de blé, la compagnie Nibulon, possède un réseau d’élévateurs fluviaux, le long du fleuve Dniepr, qui se jette dans le mer Noire, et qui exportait via le port de Mykolaïv et d’Odessa, maintenant sous le feu des attaques russes. Cet acheteur, le plus actif dans la commercialisation du blé, est littéralement tombé. Une portion du fleuve Dniepr est située dans le sud du pays, qui est sous contrôle russe. Se rabattre sur le réseau ferroviaire pour exporter le grain, c’est rêver en couleurs, car, en raison de sa capacité restreinte, on ne peut y acheminer qu’un million de tonnes par mois, alors que l’Ukraine, avant la guerre, exportait cinq millions de tonnes par mois. En outre, les chemins de fer européens, en Pologne et en République tchèque, entre autres, ne sont pas en mesure d’accepter cinq millions de tonnes par mois non plus. Il n’y a aucune solution, pas à court terme du moins.

L’ouest du pays est-il également sous haute tension?

Dans l’ouest, la situation sécuritaire est moins catastrophique. Il y a eu des détachements militaires russes dans la région et certaines frappes de missiles de croisière, mais ça n’a pas trop affecté les producteurs. Les producteurs membres de nos coopératives laitières dans cette partie du pays ont augmenté leur nombre de vaches d’environ 20 %. L’union travaille avec quatre coopératives laitières actionnaires d’une compagnie qui effectuera la transformation du lait dans une toute nouvelle usine, actuellement en construction, située à environ 40 km à l’est de Lviv, et à une centaine de kilomètres de la frontière polonaise. Dans cette région du pays, le marché est en augmentation, très favorisé par la perspective de la nouvelle usine. On a eu des problèmes de financement; on est en train de les régler. On pense pouvoir terminer la construction de l’usine d’ici l’automne. Beaucoup de contrats avaient été donnés. On avait suspendu les travaux pendant les trois premières semaines de la guerre. On a repris un peu plus lentement. Des équipements nous ont été donnés par Agropur. En gros, nous sommes optimistes que nos coopératives laitières, qui avaient plus de problèmes de mise en marché dans la région de Lviv, que celles de Dnipropetrovsk, sont celles finalement qui s’en sortiront le mieux. Parce qu’elles ont plus de marchés, en raison de l’afflux de population d’autres régions du pays. Et elles ont une situation plus sécuritaire pour produire. À mentionner également, notre projet de construction d’une usine de production d’huile de tournesol pressée à froid, à proximité de notre élévateur à grains, tient toujours.


Usine en construction

Photo : Usine laitière en construction à 40 km à l'est de Lviv.


Comment les Ukrainiens réussissent-ils à s’en tirer en matière de sécurité alimentaire, particulièrement dans les zones durement touchées par la guerre?

L’Ukraine avait un avantage, si je peux dire, en matière de sécurité alimentaire, parce qu’elle s’appuie sur de très nombreux petits producteurs, surtout au niveau de la production laitière et maraîchère. Il y a toujours quelqu’un qui produit quelque chose, des familles qui ont des poules, qui sèment des pommes de terre ou des carottes, qui sèment un hectare de blé, de la luzerne pour quelques vaches. Partout dans le pays, il y a cette agriculture de subsistance. Avec la guerre, ces activités assuraient une certaine sécurité alimentaire au pays. Cela dit, à Lviv et à Dnipropetrovsk, par exemple, le petit producteur laitier est en train de disparaître de façon accélérée. Depuis l’ouverture avec l’Union européenne, de nombreux Ukrainiens avaient commencé à quitter les campagnes pour aller chercher de l’emploi en Europe de l’Ouest. Ça a fait monter les salaires. De moins en moins de gens se contentent de pratiquer cette agriculture de subsistance. Beaucoup de femmes restaient à la ferme alors que les hommes allaient travailler. Avec la guerre, le contraire se produit, les femmes vont travailler à l’extérieur alors que les hommes sont au combat.

Comment voyez-vous l’avenir?

C’est très difficile à prévoir. L’impact économique de nos coopératives de grain et de lait était évalué à plus 30 millions de dollars. Les résultats étaient en hausse. Les producteurs en ont beaucoup bénéficié. Avec la guerre, les résultats seront nettement moindres. L’Ukraine ressortira plus forte de cette guerre. Le mouvement coopératif a contribué à la solidarité. Les producteurs agricoles font preuve de beaucoup de résilience. Nous allons reprendre le contrôle, mais il faut que l’Ukraine gagne la guerre…

Patrick Dupuis

QUI EST PATRICK DUPUIS
Patrick est rédacteur en chef adjoint au magazine Coopérateur. Agronome diplômé de l’Université McGill, il possède également une formation en publicité et en développement durable. Il travaille au Coopérateur depuis plus de vingt ans.

patrick.dupuis@lacoop.coop

patrick.dupuis@sollio.coop

QUI EST PATRICK DUPUIS
Patrick est rédacteur en chef adjoint au magazine Coopérateur. Agronome diplômé de l’Université McGill, il possède également une formation en publicité et en développement durable. Il travaille au Coopérateur depuis plus de vingt ans.

patrick.dupuis@lacoop.coop