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Plaidoyer pour la coopération

Collaboratrice depuis près de 30 ans au Coopérateur et directrice des Affaires coopératives chez Sollio Groupe Coopératif jusqu’en 2022, Colette Lebel a récemment fait paraître, chez Fides, Plaidoyer pour la coopération, un recueil rassemblant quelque 80 des chroniques qu’elle a publiées dans le magazine entre 1999 et 2022. Entretien.

Coopérateur : Comment l’idée de publier ce recueil t’est-elle venue?

Colette Lebel : On me l’avait suggéré à plusieurs reprises. Et je me disais que ce pourrait être un beau legs, une belle façon de redonner, car j’estime que Sollio Groupe Coopératif a beaucoup investi en moi. J’ai eu la chance de voyager pour découvrir des modèles de coopération inspirants, d’assister à de nombreuses formations et colloques, de me ressourcer pour aller puiser des idées nouvelles. Je souhaitais laisser quelque chose, un outil qui permettrait de continuer à faire de l’éducation coopérative... Finalement, c’est l’éditeur Fides, à la suggestion de Jean-Pierre Girard [N.D.L.R. : l’auteur qui a rédigé l’histoire du 100e anniversaire de Sollio Groupe Coopératif, aussi parue chez cet éditeur], qui m’a invitée à publier. 

À qui s’adresse Plaidoyer pour la coopération?

En rassemblant mes chroniques, j’ai réalisé que c’était peut-être plus « grand public » que je ne le pensais au départ. Parce que si, en 1999, je m’intéressais strictement à l’entreprise coopérative, j’ai vite franchi la structure pour en explorer le contenu : la coopération, comme comportement stratégique dans la vie de tous les jours. Et ça, ça peut rejoindre à peu près tout le monde. On a tous intérêt à coopérer, et pas seulement en affaires.

Comment, au fil du temps, ta réflexion sur la coopération et les coopératives a-t-elle évolué?

Au début, c’est l’entreprise coopérative, que j’ai voulu explorer. J’étais fascinée par son fonctionnement. Puis je me suis dit que la coopérative, ce n’est après tout qu’un véhicule. J’ai alors élargi mon exploration au phénomène de la coopération. J’ai vite réalisé que la coopération est partout autour de nous, que c’est naturel, que c’est dans l’ordre des choses!  Mais si l’idée de la coopération est tentante, la mettre en œuvre dans un contexte d’affaires n’est pas simple. Avec le temps, j’ai saisi toute l’importance du véhicule : c’est précisément la structure de l’entreprise coopérative, avec ses sept principes, qui lui procure des garde-fous. Ces principes sont des règles d’action qui assurent la réalisation de la vision coopérative; ils donnent un cadre bien précis à l’entreprise coopérative. Ce n’est pas n’importe quoi, une coopérative! C’est un acteur avec un mode de fonctionnement précis, cohérent, global, qui tient la route. 

Le développement durable et la responsabilité d’entreprise, dont on parle de plus en plus, déjà, il y a plus de 20 ans, tu en faisais mention dans tes chroniques.

Exactement. Tout ce que le milieu des affaires promeut, le développement durable, les critères ESG, la responsabilité d’entreprise, tout est là, dans les principes coopératifs bien compris! Voilà pourquoi je sens cette urgence d’en faire la promotion. Nos principes coopératifs sont toujours et plus que jamais d’actualité.

Comment se porte la coopération dans nos sociétés? Fait-elle plus d’adeptes? L’adhésion aux coopératives est-elle en croissance?

Je pense que oui. Parce que non seulement celles qui sont là, on l’a démontré par des études, durent beaucoup plus longtemps, elles sont pérennes, résilientes et bien ancrées dans leur collectivité, mais il y a constamment un renouvellement. Et ça correspond parfaitement aux aspirations des jeunes : un sens au travail, davantage d’équité, des relations cordiales, un modèle de gestion plus horizontal... Quand on dit que les coopératives sont marginales, je réponds que c’est par la lunette de nos indicateurs de croissance basés sur l’argent car, dans les faits, à travers le monde, il y a beaucoup plus de membres de coopératives qu’il y a de détenteurs d’actions. Quand on réfléchit en termes de personnes engagées et bénéficiaires plutôt qu’en termes de dollars, les coopératives rejoignent beaucoup plus de monde. 

L’adéquation entre les valeurs des jeunes et la coopération semble tout à fait cohérente.

En fait, si on prend les valeurs des jeunes et les valeurs coopératives, le fit est parfait. Le problème, c’est qu’ils ne font pas toujours le lien entre la coopérative et la culture qu’elle promeut. C’est un modèle qui est complexe, quand même, il ne faut pas se le cacher. Il y a de l’éducation coopérative à faire. Je pense, par exemple, que le programme d’aide à la relève agricole de Sollio, qui allie du soutien financier à de la formation, c’est génial, parce que ça permet de donner un coup de main aux jeunes et, en même temps, de mieux leur faire connaître la coopération et les coopératives. C’est quand on comprend comment ça fonctionne qu’on peut apprécier.

Tu dis que c’est un modèle complexe, comment?

Bien que les coopératives naissent essentiellement de la volonté de leurs utilisateurs de satisfaire un besoin, ce qui est assez simple en soit, pour être coopérateur, il y a d’abord une bonne part de savoir-être. Ça demande des compétences complexes. Aujourd’hui, les anthropologues suggèrent que la coopération est un trait évolutif. Parce que ça demande beaucoup de compétences de haut niveau et une bonne intelligence émotionnelle. Pour coopérer, il faut apprendre à avoir confiance et à inspirer confiance. Ça demande des habiletés d’écoute et de dialogue, ça demande un minimum d’empathie… Beaucoup plus, que de simplement se faire concurrence! La coopérative intègre donc un volet éminemment social, mais elle intègre aussi, nécessairement, un volet environnemental puisqu’elle est ancrée dans son territoire. Oui, c’est vraiment plus complexe qu’une entreprise à capital-actions qui va se concentrer principalement sur les retours financiers aux actionnaires. 

Sinon, l’image de la coopérative a-t-elle évolué? Est-elle comprise et perçue comme elle est véritablement dans son essence?

Non, elle est sous-estimée. C’est pour cette raison que j’insiste encore sur l’éducation coopérative. Nos paradigmes sont tellement forts sur le fait que c’est le capitalisme qui est la meilleure façon de faire des affaires... Pourtant, dans l’économie de marché, les coopératives font très, très bien : elles sont durables, elles ont un mode de gouvernance qui fait modèle, elles répondent bien aux besoins de leurs membres. Mais ce n’est pas un modèle auquel on est habitué… ce qui fait qu’on y utilise souvent le vocabulaire de l’entreprise capitaliste : on parle à nos membres en les appelant clients, on parle de la compagnie plutôt que de la coop, on préfère parler d’activité philanthropique plutôt que d’engagement dans le milieu… Il me semble qu’on rate de belles occasions de se positionner, de mieux faire connaître la distinction coopérative. 

Malgré tout, tu ne te berces pas d’illusions, les coopératives ne sont pas à l’abri des dérives.

Évidemment. Les coopératives valent ce que valent leurs membres. J’y consacre le 6e et dernier chapitre du livre : « Histoires à ne pas oublier ». Ce sont des histoires tragiques, qui ont abouti au démantèlement de belles coopératives. Gouvernance et proximité : voilà deux enjeux névralgiques pour les coopératives. Il faut rester vigilants.

La coopération, en avons-nous plus que jamais besoin?

Oh que oui! L’individualisme et la compétition nous ont conduits dans un cul-de-sac et on le voit : rien ne marche. L’économie va mal, l’environnement va mal. Il n’y a jamais eu autant de déprime et d’anxiété dans le monde. Ces problèmes sont devenus globaux, voire planétaires puisque nous sommes tous liés… Or chacun, individuellement, se trouve impuissant. On est tenté de baisser les bras, on se décourage. Si on ne sait pas coopérer, on ne réglera rien. Pour surmonter des problèmes globaux, ça prend des réponses collectives. La coopération, c’est la clé, si on veut sauver la planète. Quand on est tous dans la même galère, mieux vaut ramer tout le monde ensemble, n’est-ce pas?

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Patrick Dupuis

QUI EST PATRICK DUPUIS
Patrick est directeur et rédacteur en chef au magazine Coopérateur. Agronome diplômé de l’Université McGill, il possède également une formation en publicité et en développement durable. Il travaille au Coopérateur depuis une trentaine d’années.

patrick.dupuis@lacoop.coop

patrick.dupuis@sollio.coop

QUI EST PATRICK DUPUIS
Patrick est directeur et rédacteur en chef au magazine Coopérateur. Agronome diplômé de l’Université McGill, il possède également une formation en publicité et en développement durable. Il travaille au Coopérateur depuis une trentaine d’années.

patrick.dupuis@lacoop.coop