Au début des années 1890, plus précisément en janvier 1894, dans cette région de l’Est ontarien, à proximité du Québec, un noyau de producteurs laitiers décide de s’unir pour fonder une coopérative à St-Albert. Président fondateur, Louis Génier a su convaincre neuf autres producteurs laitiers de son coin de pays de s’associer pour faire naître la Fromagerie #743.
Son nom légal est The St-Albert Co-Operative Cheese Manufacturing Association. En 2025, sous le nom de Fromagerie coopérative St-Albert inc., il s’agit de la plus vieille coopérative agricole au pays, également membre de Sollio Groupe Coopératif! C’est une histoire haute en couleur qui illustre qu’au cœur de la réussite et, surtout, de la pérennité des organisations, la détermination et l’innovation sont incontournables!
Peu d’information est accessible sur les motivations à l’origine de cette coopérative en 1894, mais à l’instar de la naissance des premières coopératives agricoles au Québec au début du XXe siècle, on peut émettre l’hypothèse que des personnes avaient la volonté de s’affranchir des intermédiaires de marché qui cherchaient à s’enrichir sur le dos des producteurs.
Fromagerie construite de blocs de béton, vraisemblablement vers 1949.
Crédit :
gracieuseté Stéphan Schwab
Trois mille dollars en garantie
Fait singulier en 1931, les actifs de la coopérative sont vendus à un particulier, mais rachetés par les membres quelques années plus tard, en 1939. En 1950, la coopérative ouvre un nouvel édifice sous le nom de Plan laitier coopératif St-Albert pour la fabrication de beurre et de fromage, une usine moderne pour l’époque. La coopérative n’a pas les ressources financières pour soutenir son développement, elle sollicite donc l’appui de ses membres. Certains n’hésitent pas à mettre leur ferme en garantie pour un montant allant jusqu’à 3000 $, une somme appréciable à l’époque! Fait cocasse, le tout se faisait parfois sans consultation de la conjointe qui, néanmoins, finissait par l’apprendre le dimanche dans les discussions informelles sur le perron de l’église après la messe!
Dans les années 1970, on décide de commercialiser le fromage en grains, connu à St-Albert sous l’appellation curd. Cette initiative va provoquer un boom de croissance des ventes de la coopérative! Cependant, après quelques années, l’organisation réalise qu’il est préférable de disposer de sa propre équipe de représentants, pour avoir un meilleur contrôle sur ses coûts, que de faire affaire avec des vendeurs privés, ce qui sera fait dans les années 1990, en plus de disposer de sa flotte de camions.
En 1994, c’est l’occasion de célébrer le centenaire de la coopérative! Pour souligner ce jalon, elle lance le festival de la curd qui se déroule durant la troisième fin de semaine du mois d’août, un événement qui, au fil du temps, va attirer des dizaines de milliers de participants provenant principalement de l’Est ontarien.
Ristournes, prix et développement
Durant plusieurs années, la coopérative était reconnue pour verser des ristournes élevées à ses membres, allant parfois jusqu’à emprunter pour s’assurer de le faire! Ce faisant, avec un fonds de roulement minimal, la coopérative ne disposait pas des ressources financières pour assurer son propre développement. En outre, les conditions salariales de ses employés n’étaient pas exceptionnelles. À la fin des années 1990, suivant le cadre juridique alors en vigueur en Ontario, la modification des statuts de l’organisation, soit de la faire passer d’une coopérative non capitalisée à une coopérative capitalisée, doublée de la mise en place d’un REER-coop, va permettre de lui donner une solide base de capitalisation.
Au début des années 2000, la coopérative a la main chanceuse en embauchant le maître fromager Yvan Wathier, reconnu comme étant le Wayne Gretzky du cheddar! L’effet se fera rapidement ressentir sur la qualité des produits. La coopérative sera lauréate de plusieurs prix prestigieux, dont à la Royal Agricultural Winter Fair, à la Spencerville Fair, au British Empire Cheese Show ainsi qu’au Grand prix des fromages canadiens!
Depuis des années, la coopérative entretenait de bonnes relations avec la Fromagerie Mirabel située à Saint-Jérôme, au Québec. C’est donc sans surprise que l’on apprend son acquisition en 2009, ce qui lui permet en quelque sorte de protéger son marché. Il faut aussi savoir que la coopérative peut écouler son fromage au travers de 2000 points de vente tant du côté ontarien que québécois.
Incendie
À peine quelques semaines après l’entrée en poste d’un nouveau directeur général, en février 2013, les installations de la coopérative à St-Albert passent au feu. Il s’agit d’une rude épreuve pour l’organisation, exigeant une forte solidarité du milieu, voire de l’industrie. Ainsi, le lendemain de l’incendie, le grand patron de Kraft offre son aide. Tel que mentionné sur le portail de la coopérative : « Une partie des employés s’installe dans les locaux de l’école primaire de St-Albert et dans le sous-sol du centre communautaire. La Caisse Desjardins et le presbytère offrent des salles pour les réunions ». Une partie de la production est transférée vers d’autres usines.
Ce sont deux années de nombreuses démarches administratives qui vont suivre, notamment pour les réclamations d’assurance, avant que le 3 février 2015, on inaugure les nouvelles installations de la coopérative de St-Albert lors d’un événement qui réunit de nombreuses personnalités de la communauté franco-ontarienne. Les capacités sont nettement augmentées en comparaison à la situation antérieure. Ainsi, la dimension de l’usine est passée de 5295 m2 à 6870 m2 (57 000 pi2 à 75 000 pi2). De son côté, l’aire commerciale qui comprend un tout nouveau restaurant passe de 230 m2 à 840 m2 (2500 pi2 à 9000 pi2). Enfin, on a plus que triplé la capacité de production annuelle de fromage. Un petit musée est désormais intégré à la coopérative, permettant de survoler ce passage plus que centenaire dans le temps.
L’avenir
Comment se profile l’avenir de la doyenne des coopératives agricoles au Canada? Le premier objectif du conseil d’administration est d’assurer la pérennité de la coopérative au profit des générations futures. Par ailleurs, l’ouverture des marchés expose la coopérative à une concurrence accrue dans le domaine de la production du cheddar, non seulement sur le plan national, mais également à international, pensons à l’Irlande, au Royaume-Uni, mais aussi à l’Australie et à la Nouvelle-Zélande. En ce sens, la coopérative est déjà engagée dans des investissements majeurs dans l’automatisation de la production et l’accroissement de son efficacité afin de continuer à améliorer sa productivité. Enfin, la coopérative ne pourra se soustraire à de possibles risques majeurs, comme des modifications importantes à la gestion de l’offre.
L’auteur tient à remercier Réjean Ouimet, ancien directeur général et arrière-petit-fils d’un membre fondateur de la coopérative, et Stéphan Schwab, trésorier, pour leur collaboration.
Cet article est paru dans le Coopérateur de juillet-août 2025.