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Le porc « génétiquement traité » ou la peur des vaccins à ARN dans le bétail

Certains porcs sont immunisés à l’aide de vaccins à ARN, qui, selon les antivaccins, n’ont pas fait l’objet de tests d’innocuité et pourraient être nocifs pour les humains. Cela n’est pas vrai.

Texte de Jonathan Jarry, communicateur scientifique à l’Organisation pour la science et la société de l’Université McGill*

L’utilisation de vaccins à base d’ARN, comme ceux qui ont été déployés contre la COVID-19, ne se limite pas aux humains. Des antivaccins viennent de découvrir qu’ils sont également utilisés pour le bétail, et ils craignent que cette technologie n’endommage les aliments que nous mangeons et, en fin de compte, ne nous nuise.

Faut-il craindre que la viande de porc ne modifie votre ADN? Selon ces détracteurs, les vaccins à ARN destinés aux porcs ne font l’objet d’aucun test d’innocuité, ce qui transforme les consommateurs de viande en cobayes. En réalité, les risques potentiels ont été atténués à la fois lors de la conception de ces vaccins et par de multiples tests d’innocuité.

Comment fonctionnent les vaccins à ARN

Avec le temps, les vaccins sont, en quelque sorte, devenus moins rudimentaires et beaucoup plus précis. Autrefois, nous introduisions dans le corps le microbe entier, mort ou gravement altéré, afin de déclencher l’immunité sans qu’il y ait infection. Puis, nous sommes devenus capables d’isoler une partie du microbe, que notre système immunitaire pouvait identifier. Aujourd’hui, nous avons l’agilité nécessaire pour administrer la recette qui code pour la partie du microbe que notre système immunitaire a besoin de voir, et cette recette se présente sous la forme d’une molécule d’ARN messager (ARNm).

Cette précision accrue a toutefois un coût. Alors que les anciennes technologies vaccinales étaient facilement comprises par le public – vous prenez le virus de la grippe, vous le tuez et vous l’injectez dans le corps, comme s’il s’agissait d’un inoffensif « avis de recherche » –, les nouvelles technologies sont plus difficiles à appréhender. Elles peuvent être perçues comme moins naturelles, et la crainte de manipulations génétiques incontrôlées peut apparaître et être alimentée par des influenceurs antivaccins.

Cette crainte peut être atténuée en partie par le simple fait de comprendre le fonctionnement d’un vaccin à ARNm. Prenons l’exemple du vaccin contre la grippe porcine de Merck Santé animale, destiné aux porcs. Il contient un morceau d’ARN qui code une partie du virus de la grippe porcine. Cet ARN est transporté à l’intérieur d’un virus désactivé, qui agit comme une capsule. Cette combinaison d’ARN à l’intérieur de la capsule virale est appelée particule d’ARN, et elle est injectée dans le porc. Ces particules sont absorbées par des cellules spécifiques du système immunitaire du porc : les cellules dendritiques. Celles-ci traduisent l’ARN de la grippe porcine en une protéine de la grippe porcine, qu’elles affichent ensuite à leur surface comme de petits drapeaux. Ces drapeaux sont utilisés par d’autres cellules du système immunitaire pour se préparer et créer un souvenir de la rencontre. Si ces cellules viennent à voir le véritable virus de la grippe porcine, elles réagiront rapidement et efficacement.

Toutes ces discussions sur le matériel génétique et les capsules virales inactivées peuvent susciter des inquiétudes quant aux effets que ces choses peuvent avoir sur le porc et, en fin de compte, sur la personne qui le mange. Existe-t-il des effets hors cible? L’ARN de la grippe peut-il s’intégrer dans l’ADN du porc et perturber son génome? Certains militants antivaccins voudraient vous faire croire qu’aucun test d’innocuité n’a été effectué pour répondre à ces questions. C’est tout simplement faux.

La réalité des tests d’innocuité

En juillet 2018, l’Agence canadienne d’inspection des aliments (ACIA) a publié un long document sur la technologie des vaccins à particules d’ARN de Merck. Il s’agit d’une « évaluation environnementale » qui a été élaborée pour aider l’Agence à prendre une décision.

Les vétérinaires canadiens souhaitaient pouvoir importer ce nouveau vaccin contre la grippe porcine des États-Unis vers le Canada dans les cas où les autres vaccins contre la grippe n’étaient pas disponibles ou ne semblaient pas fonctionner. L’ACIA devait décider si ce nouveau vaccin à ARN était suffisamment sûr pour les animaux, les humains et l’environnement. Elle a examiné cette question sous plusieurs angles.

Le virus désactivé porteur de l’ARN – en l’occurrence un virus de l’encéphalomyélite équine vénézuélienne porteur d’un peu d’ARN de la grippe porcine – peut-il faire des copies de lui-même à l’intérieur du porc et provoquer la maladie? En théorie, ce n’est pas possible. Pour qu’un virus se réplique, son schéma génétique doit être intact; or, dans le cas présent, les scientifiques ont supprimé des gènes importants qui codent pour l’assemblage du virus. C’est comme si on ouvrait une boîte de casse-tête et qu’il manquait la moitié des pièces.

Dans la pratique, des études ont été menées sur des porcs auxquels on avait administré de très fortes doses de ce vaccin, et des prélèvements nasaux et rectaux ainsi que des échantillons de sang ont été effectués jusqu’à deux semaines plus tard. Si la coquille vide d’un virus portant les instructions du vaccin pouvait faire des copies du virus, ces copies seraient détectables dans les échantillons, mais elles en étaient tout simplement absentes. Et ce n’est pas tout. Chaque lot de vaccin est testé de la même manière : un échantillon du vaccin est prélevé et déposé sur des cellules en laboratoire pour voir s’il les infecte et produit des copies de lui-même. En résumé, le virus ne peut théoriquement pas se répliquer; il ne se réplique pas chez les animaux de laboratoire; et chaque lot de vaccin est testé, au cas où.

L’ARN contenu dans le vaccin pourrait-il se transformer en ADN et s’intégrer dans le génome du porc, créant ainsi des dégâts? Le problème est que l’ADN du porc se trouve dans le noyau de la cellule et que l’ARN du vaccin ne pénètre pas dans ce noyau. Une préoccupation similaire concernant l’intégration au génome a été exprimée lors de l’introduction des vaccins anti-COVID-19, certaines personnes mettant en avant des preuves publiées montrant que cela pouvait se produire. Toutefois, les conditions dans lesquelles ce phénomène avait été démontré étaient très artificielles et ont rapidement été critiquées. Comme me l’a dit un expert scientifique à l’époque, la probabilité que le coronavirus de la COVID-19 s’intègre à notre génome, que ce soit par infection ou par un vaccin contenant des instructions pour la protéine de spicule, était « si proche de zéro que cela ne m’inquiète pas ».

Les particules du vaccin contre la grippe porcine seront-elles excrétées par les porcs et se retrouveront-elles chez d’autres porcs, voire dans l’environnement? L’Agence canadienne d’inspection des aliments n’en a trouvé aucune preuve dans les sécrétions nasales et les fèces de porcs jusqu’à 14 jours après la vaccination, ni dans les fèces de souris de laboratoire jusqu’à 42 jours après la vaccination. En outre, ces particules vaccinales, dont 106 à 108 seulement sont injectées dans chaque dose de vaccin, ne sont pas vraiment à toute épreuve. Elles ne sont pas stables à température ambiante en dehors de l’animal, et ces types d’enveloppes virales sont sensibles à la perte d’humidité, à la lumière du soleil, aux pH acides et aux désinfectants courants. À l’intérieur de l’animal vacciné, les particules vaccinales sont absorbées par les cellules dendritiques, qui migrent vers les ganglions lymphatiques et meurent dans les cinq jours. Deux semaines après la vaccination, les scientifiques ne peuvent pas trouver ces particules dans un large éventail d’échantillons de tissus prélevés sur l’animal. Elles ne persistent tout simplement pas dans l’organisme.

Par ailleurs, bien que le vaccin soit conçu pour les porcs, l’Agence en a tout de même examiné l’innocuité chez l’humain. Un vaccin atténué et un vaccin inactivé contre ce virus de l’encéphalomyélite équine vénézuélienne ont été mis au point dans les années 1960 et 1970 et ils ont été administrés à des centaines d’humains qui ont participé à la recherche de ce virus. En outre, 152 volontaires humains en bonne santé ont également reçu des vaccins expérimentaux basés sur la capsule virale utilisée dans le vaccin à ARN contre la grippe porcine dans le cadre d’essais cliniques récents. Aucun problème de sécurité n’a été signalé à cette occasion. Et bien qu’il soit vrai que la grippe porcine peut infecter un hôte humain et provoquer une maladie – une telle souche s’est combinée à une autre souche grippale pour donner l’épidémie de grippe A H1N1 de 2009 –, le vaccin contre la grippe porcine en question ne contient les instructions que pour un seul morceau du virus de la grippe. Ce vaccin n’est tout simplement pas infectieux en lui-même.

Des particules d’ARN similaires utilisant le virus de l’encéphalomyélite équine ont été testées chez de nombreuses espèces animales – notamment des lapins, des bovins et des macaques –, et n’ont montré aucun problème de sécurité. Qui plus est, la plupart des animaux d’élevage au Canada vivent dans des installations biosécurisées. Ils ne sont pas facilement en contact avec d’autres espèces animales, ce qui réduit encore les risques. Comme le conclut l’analyse environnementale, de manière assez anodine : « En cas de déversement accidentel du vaccin, ce dernier est facilement inactivé par les agents habituels de nettoyage et de désinfection. »

Le site Web du département de l’Agriculture des États-Unis (USDA) renferme également de l’information sur les tests d’innocuité de nombreux vaccins à particules d’ARN qui ont été soumis pour approbation, notamment pour un vaccin contre la diarrhée épidémique porcine, dont l’innocuité a été testée sur 400 porcs dans 2 sites d’étude différents. Aucune alerte significative n’a été détectée en matière de sécurité. Nous sommes loin d’un super-vilain non testé.

L'incompréhension ou la méfiance

Selon les sondages, quatre Américains sur cinq sont favorables à l’étiquetage des aliments contenant de l’ADN. Ces constatations mettent en évidence un important analphabétisme scientifique. L’ADN est la molécule de la vie. Tous les aliments que nous consommons contiennent de l’ADN, à quelques exceptions près, comme le sucre, les huiles raffinées, le sel, le bicarbonate de soude et les additifs alimentaires artificiels. La viande est constituée de cellules animales, qui contiennent à la fois de l’ADN et de l’ARN.

Toutefois, les craintes liées aux vaccins à ARN ne reposent pas simplement sur une base d’incompréhension. Les vaccins sont produits par l’industrie et règlementés par le gouvernement, mais qu’en est-il si l’on se méfie des deux? Il est donc très facile pour le consommateur anxieux de tomber dans le sophisme du nirvana. « Seul un vaccin sûr à 100 % devrait être autorisé », pourrait-il dire. Les centaines d’animaux utilisés pour les tests d’innocuité ne suffisent donc pas, pas plus que la durée de ces tests. Les vaccins à ARN étaient en cours de développement depuis une trentaine d’années lorsqu’ils ont finalement été déployés chez les humains lors de la pandémie de COVID-19.

Des analyses risques-bénéfices

Dans le monde réel, des analyses risques-bénéfices doivent être menées. La souplesse des vaccins à base d’ARN vient du fait que, face à une toute nouvelle infection, ils peuvent être développés en huit à douze semaines, contre cinq à dix ans pour un vaccin plus conventionnel. La raison en est que la capsule reste la même et que les scientifiques peuvent simplement modifier les instructions de l’ARN pour coder une partie d’un nouveau virus. En 2013, l’industrie porcine a été durement touchée par un virus provoquant des diarrhées souvent mortelles. Ce virus est entré aux États-Unis en avril de cette année-là. Les scientifiques ont mis au point un vaccin candidat à base d’ARN le mois suivant. Il a été testé sur le terrain en août. Moins d’un an plus tard, l’USDA a accordé une licence conditionnelle pour ce vaccin. Une plateforme vaccinale rapide et sûre comme celle-ci peut sauver des vies et contribuer à stabiliser notre approvisionnement alimentaire.

On peut établir un parallèle avec le vaccin annuel contre la grippe. Il n’est pas, et ne pourrait pas, être testé chaque année dans le cadre d’un essai clinique randomisé à long terme. Sinon, nous n’aurions pas de vaccin antigrippal annuel : le temps que l’innocuité du vaccin soit testée à grande échelle, le virus de la grippe aurait muté, ce qui rendrait le vaccin pratiquement inutile. Malgré ces tests à petite échelle, le vaccin antigrippal n’a pas causé de dommages catastrophiques. Quant aux effets secondaires rares, ils ne peuvent tout simplement pas être observés lors des essais cliniques, puisque ceux-ci ne portent pas sur des millions de participants. Pour cela, nous disposons d’une surveillance après la mise sur le marché, et il en va de même pour les vaccins à ARN destinés aux animaux d’élevage.

*La version originale du texte a été publiée par l’OSS.

Photo : iStock.com | dusanpetkovic