La mise en marché collective célébrera son 70e anniversaire dans la tourmente

Deux experts ont souligné le rôle et l’importance de la mise en marché collective alors que le monde est plongé en pleine guerre commerciale.

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Politique
Richard Ouellet, professeur en droit international économique, titulaire de la Chaire sur les nouveaux enjeux de la mondialisation à l’Université Laval
Richard Ouellet, professeur en droit international économique, titulaire de la Chaire sur les nouveaux enjeux de la mondialisation à l’Université Laval

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Nicolas Mesly

Journaliste, agr.

Nicolas est journaliste, agroéconomiste, auteur, conférencier et documentariste.

« Il va falloir arrêter d’être gêné d’avoir nos propres systèmes pour défendre notre agriculture et de se laisser dire que la mise en marché collective, c’est un système d’exception, parce que ce n’est pas vrai! », a énoncé Richard Ouellet, professeur en droit international économique, titulaire de la Chaire sur les nouveaux enjeux de la mondialisation à l’Université Laval.

Selon l’expert et conférencier invité au Grand colloque de la mise en marché collective organisé par l’Union des producteurs agricoles (UPA) et l’Université Laval, le commerce agricole n’est pas un commerce comme les autres, d'une part parce qu’il touche au droit fondamental de tous les habitants de la planète soit de se nourrir. « C’est la raison pour laquelle tous les grands accords commerciaux de l’après-guerre sous l’égide du General Agreement on Tariffs and Trade (GATT), puis de l'Organisation mondiale du commerce (OMC), ou encore entre les plus récentes ententes signées entre le Canada avec l’Union européenne, les pays de l’Asie ou encore avec le Mexique et les États-Unis, tous protègent ou excluent certains pans du secteur agricole. »

D’autre part, le secteur agricole transige avec du vivant et il est soumis aux aléas du climat, ce qui nécessite l’intervention de l’état à divers degrés. L’expert estime que la mise en marché collective a bien servi les producteurs comme le citoyen consommateur.

Selon lui, la guerre tarifaire tous azimuts, déclenchée par Donald Trump « le jour de la libération » le 2 avril 2025, ramène le monde à l’époque du Moyen Âge où les commerçants devaient payer « un tarif » pour vendre leurs produits au sein d’une ville fortifiée.

Le Grand colloque se déroulait en période d’intenses négociations commerciales entre le premier ministre canadien Mark Carney et le président américain Donald Trump. Le Canada, dont l’économie est imbriquée à celle du géant américain, a jusqu’ici plié à toutes les exigences de l’occupant de la Maison-Blanche, entre autres avec l’abandon temporaire de taxes sur les géants numériques et une augmentation de 5 % du budget de la défense du pays, tout en subissant une imposition de tarifs élevés sur l’acier, l’aluminium, les produits forestiers et l’amorce d’une délocalisation de son industrie automobile vers les États-Unis. Dans ce contexte, bien qu’une loi ait été adoptée par le parlement canadien pour la protéger, quel sera le sort de la gestion de l’offre instaurée dans les années 1970 (œufs, volaille, lait)?

« La stratégie du gouvernement du Canada, c’est de courber le dos avant la négociation de l’ACEUM (Accord Canada-États-Unis-Mexique) prévue pour le 1ᵉʳ juillet 2026. La tactique, c’est d’attendre que les chiffres économiques fassent mal à Trump comme les marchés boursiers, et surtout l’inflation, le coût du panier d’épicerie, et que le citoyen consommateur le fasse payer aux élections de mi-mandat l’automne prochain en 2026 », croit le professeur.

Frédéric Courleux, expert en régulation des marchés agricoles, agroéconomiste et conseiller en politiques agricoles au Parlement européen
Frédéric Courleux, expert en régulation des marchés agricoles, agroéconomiste et conseiller en politiques agricoles au Parlement européen

Le retour des stocks stratégiques en Europe

« La dérégulation des années 1990 pour tenter de rehausser les prix internationaux, l’abandon des quotas laitiers et de sucre a été catastrophique en Europe. Vous avez résisté avec votre mise en marché collective et ce n’est pas le moment de lâcher », a indiqué Frédéric Courleux, expert en régulation des marchés agricoles, agroéconomiste et conseiller en politiques agricoles au Parlement européen.

Les États-Unis, quant à eux, n’ont jamais appliqué ce logiciel de dérégulation et opèrent sous un système de gestion de l’offre semblable au vôtre, par exemple dans le secteur laitier, mais sans les quotas.

— Frédéric Courleux, expert en régulation des marchés agricoles, agroéconomiste et conseiller en politiques agricoles au Parlement

Selon l’expert, la troisième mouture de la politique agricole commune (PAC) depuis son instauration après la Deuxième guerre mondiale est prévue en 2027. Celle-ci va miser sur l’instauration de stocks alimentaires stratégiques. Ceux-ci avaient été abandonnés dans les années 1995 sous l’égide de l’OMC alors que les États-Unis accusaient l’Union européenne d’écouler leurs surplus à prix de dumping sur le marché international.

La Covid-19, une inflation alimentaire galopante et l’invasion de la Russie en Ukraine en février 2022 sont venus brasser les cartes. « Le coût de maintenir ces stocks sera bien moindre que l’insécurité de l’approvisionnement dans l’Union européenne (450 millions d’habitants) tout en étant un outil pour réguler l’inflation alimentaire », a indiqué Frédéric Courleux.

Un appui citoyen?

Ce Grand colloque sur la mise en marché collective était organisé pour souligner le 70e anniversaire de la Loi sur la mise en marché des produits agricoles, alimentaires et de la pêche instaurée en 1956. Plants conjoints, gestion de l’offre, agences de vente, ont été instaurés au cours des décennies suivantes.

Il est essentiel de réaffirmer la pertinence de nos outils collectifs et de mettre en commun nos connaissances afin de mieux composer avec les turbulences qui secouent la commercialisation des produits agroalimentaires, de la pêche et de la forêt privée.

— Martin Caron, président de l'UPA

Martin Caron, qui s'adressait aux quelque 200 personnes réunies le 15 octobre dernier à Drummondville, s’est dit confiant sur l’appui des Québécois au secteur agricole de la province en soulignant les résultats d’un sondage UPA-Léger, lesquels indiquent que les citoyens disent bénéficier de produits locaux avec un bon rapport qualité-prix, et que le secteur favorise l’autonomie et la sécurité alimentaire.

Reste que dans l’ensemble de la population, à très grande majorité urbaine, la mise en marché collective et la gestion de l’offre sont mal comprises.

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