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GES en agriculture : prendre le taureau par les cornes

Photo : iStock

COMMENT RÉDUIRE SES ÉMISSIONS DE GAZ À EFFET DE SERRE ? QUELLE EST LA CONTRIBUTION DES SYSTÈMES AGRICOLES AUX ÉMISSIONS GLOBALES DE GES ? CES QUESTIONS CONTINUENT DE SEMER LA CONFUSION. LES OPINIONS DIVERGENT. LES ÉTUDES AUSSI. COMMENT S’Y RETROUVER ? TROIS EXPERTS NOUS FONT PARTAGER LEUR SAVOIR. [PREMIER D’UNE SÉRIE DE TROIS ARTICLES]

L’ONU signalait en novembre dernier que les émissions globales de GES ont augmenté de plus de 2 % en 2019. Quelle est la contribution de l’agriculture à ces émissions? Comment réduire son empreinte? Entretien avec Claude Villeneuve, directeur de la Chaire en éco-conseil de l’Université du Québec à Chicoutimi.

Il y a parfois confusion dans la façon dont on mesure la contribution de l’agriculture au réchauffement climatique. Quelle est votre vision?

Dans le plus récent Rapport sur l’écart entre les besoins et les perspectives en matière de réduction des émissions, on quantifie les émissions de GES totales dans le monde à 55 milliards de tonnes d’équivalent CO2 par année. Globalement, les émissions de l’agriculture peuvent varier entre 16 et 25 % de ce total*. Une bonne part d’entre elles est liée au changement d’usage des terres, particulièrement en forêt tropicale. On inflige à cette forêt ce qu’on a fait ici aux XVIIe et XVIIIe siècles. On rase les forêts pour faire des terres agricoles. Cette pratique occasionne des émissions, tout comme le brûlage du bois qui s’ensuit. 

On compare souvent l’agriculture au transport. Quelles sont les émissions dans ce secteur?

Elles sont difficiles à évaluer, car elles sont comptabilisées dans ce qu’on appelle « les émissions liées aux carburants fossiles et à l’industrie », qui représentent, dans le monde, 36,5 milliards de tonnes. En 2016, les émissions totales de GES au Québec se chiffraient à près de 79 millions de tonnes d’équivalent CO2. Le transport routier compte pour 43 % de ces émissions. L’agriculture, pour 9,6 %, en augmentation depuis 1990**. [Voir les figures 1 et 2.]

Comment notre agriculture, chez nous, contribue-t-elle aux changements climatiques?

Il y a trois grands champs d’émissions. Le premier, c’est la fermentation entérique [dans l’intestin des animaux]. Cette fermentation produit du méthane (CH4), un gaz au potentiel de réchauffement 28 fois plus puissant que le gaz carbonique (CO2) sur un horizon de 100 ans. Une vache émet presque autant qu’une auto, soit près de quatre tonnes d’équivalent CO2 par année. Par litre de lait, on arrive à 0,91 kg de CO2, ce qui n’est pas extravagant, et à 1,4 kg par kilo de fromage. La viande rouge entraîne la plus grosse empreinte carbone, avec 27 kg de CO2 par kilo produit. Les poulets et les porcs émettent beaucoup moins.

Quels sont les deux autres champs d’émissions?

Le deuxième, c’est la fertilisation azotée des terres. En utilisant des engrais azotés, vous favorisez la dénitrification du sol et les émissions de protoxyde d’azote, un gaz au potentiel de réchauffement près de 300 fois plus puissant que le CO2. Ces émissions varient en fonction des sols et des cultures. Le troisième élément, ce sont les carburants fossiles utilisés pour le travail du sol et le séchage des grains. La combustion de chaque kilo de propane produit trois kilos de CO2. Ça va vite!

Y a-t-il d’autres éléments contributeurs en agriculture?

Les fumiers en citerne, lorsqu’ils sont en décomposition anaérobique [en absence d’oxygène], peuvent émettre du méthane. Enfin, il y a des émissions indirectes de gaz halogéné, de fréon par exemple, liées à la chaîne de froid du lait et de la viande.

Comment les producteurs peuvent-ils réduire leurs émissions de méthane et de gaz carbonique?

Ce n’est pas si simple. Certaines recettes à base de légumineuses peuvent réduire la fermentation entérique des bovins. On peut aussi remplacer une quantité de carburant par des biocarburants. Mais l’utilisation des engrais azotés et des machines nécessaires pour produire la biomasse agricole ne se traduit pas par des gains nets en leur faveur. Les biocarburants forestiers seraient préférables. Il y a des paradoxes à considérer, car plus vous produisez intensément, moins vous générez d’émissions par kilo. Ainsi, la production d’un litre de lait bio émet un peu plus de gaz à effet de serre que celle d’un litre de lait conventionnel. En revanche, le bio se démarque positivement sur tous les autres indicateurs.

Les sols sont d’excellents puits de carbone, notamment grâce au non-travail du sol. Qu’en pensez-vous?

C’est l’objectif de l’initiative « 4 pour 1000 », lancée lors de la conférence de Paris. Elle vise à lutter contre les changements climatiques en augmentant de 0,4 % (ou de 4 pour 1000) la quantité de carbone dans les sols agricoles à l’échelle mondiale [voir ici]. On propose, comme pratiques, de ne pas laisser les sols à nu, de moins les travailler – donc de réduire les émissions liées à la décomposition lorsqu’on laboure – et d’introduire des cultures intercalaires, qui agissent comme engrais vert.

Pour réduire nos GES, certains proposent de ne plus consommer de viande. Quel est votre avis?

Plusieurs rapports, dont ceux du GIEC et de la FAO, suggèrent de descendre de niveau trophique [relatif à la nutrition] dans la chaîne alimentaire, en se rapprochant du végétarisme ou du flexitarisme. La consommation de viande rouge, de charcuteries et de plats surgelés (la transformation est un gros émetteur) émet entre 3 et 5 kg d’équivalent CO2 par portion. Les repas à base de végétaux, d’œufs, de produits laitiers, de poulet ou de porc émettent entre 10 et 30 fois moins. 
Comme mentionné précédemment, la fermentation entérique des animaux de boucherie et la chaîne de froid expliquent cette différence.

Un carnivore, à raison de 10 repas de bœuf ou de produits transformés par semaine, émettra deux tonnes (2000 kg) de GES par année, alors qu’un végétarien ou un flexitarien (une demi-portion de viande rouge par semaine, œufs, produits laitiers, la majeure partie des calories provenant des végétaux) peut réduire son empreinte à 250 kg, soit huit fois moins.
Naturellement, il faut éviter le gaspillage alimentaire, qui touche près de 40 % de tout ce qui est produit et entraîne des émissions inutiles.

Ça ne veut pas dire de jeter les vaches dehors! Mais manger moins de viande rouge, favoriser les chaînes courtes et suivre le Guide alimentaire canadien, oui.

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* « Cette variation dépend des modes d’inventaire, selon que l’on comptabilise les émissions directes ou les émissions de cycle de vie, en incluant par exemple la perte de puits de carbone liée au déboisement ou les émissions liées à la chaîne du froid pour la conservation des aliments. En gros, les émissions directes sont celles qui résultent des carburants, du méthane émis par les ruminants et la gestion des fumiers, ainsi que les émissions de protoxyde d’azote liées à l’utilisation d’engrais azotés. » Claude Villeneuve

** Inventaire québécois des émissions de gaz à effet de serre en 2016 et leur évolution depuis 1990

Patrick Dupuis

QUI EST PATRICK DUPUIS
Patrick est rédacteur en chef adjoint au magazine Coopérateur. Agronome diplômé de l’Université McGill, il possède également une formation en publicité et en développement durable. Il travaille au Coopérateur depuis plus de vingt ans.

patrick.dupuis@lacoop.coop

patrick.dupuis@sollio.coop

QUI EST PATRICK DUPUIS
Patrick est rédacteur en chef adjoint au magazine Coopérateur. Agronome diplômé de l’Université McGill, il possède également une formation en publicité et en développement durable. Il travaille au Coopérateur depuis plus de vingt ans.

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