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Chroniques / Pause-Pensée

Un géant dans la tourmente

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Oh, que les temps sont durs chez les héritiers des Pionniers de Rochdale! Depuis quelques années, le Co-op Group, avec sa fabuleuse enseigne The Co-op, ses huit millions de membres et ses 100 000 employés, fait le quotidien de la presse britannique.

Toute une série de mauvaises décisions semble avoir plongé le groupe coopératif dans un cauchemar qui n’en finit plus. De nombreuses fusions et acquisitions – pas toujours bien avisées, dit-on – ont sérieusement compromis sa santé financière.

« Trop gros », ont clamé les membres, déplorant leur impuissance devant toute la hiérarchie qui s’est édifiée entre la base et sa tête dirigeante. Un coup d’œil à la structure démocratique du groupe donne à croire, en effet, que les membres sont bien loin des décisions. Ils élisent leurs délégués au sein de 48 comités territoriaux, ces délégués élisent leurs représentants dans sept conseils régionaux, lesquels peuvent élire 15 membres sur les 21 du conseil d’administration. On a implanté une plateforme électronique pour permettre aux membres de donner directement leurs opinions et commentaires, mais l’initiative n’a pas eu les effets escomptés.

Toujours est-il qu’en juin 2013 le monde a basculé. Le conseil d’administration a admis que la réserve de l’entreprise présentait un trou béant de 1,5 milliard de livres sterling (2,8 milliards $ CA). On a nommé un nouveau chef de la direction. On a aussi invité lord Paul Myners, ex-président de Marks & Spencer et du groupe Guardian Media, à siéger au conseil comme administrateur indépendant et on lui a confié le mandat spécial de revoir la gouvernance du grand groupe. Puis, l’année s’est terminée sur un scandale : le président de la branche bancaire (The Co-op Bank) a dû démissionner à la suite d’une affaire de drogue et de sexe. Annus horribilis.

Mais ça continue. En mars 2014, le nouveau chef de la direction a remis sa démission. « Ingouvernable! » a-t-il dit à propos du groupe coopératif. La goutte qui a fait déborder le vase : des fuites ont laissé entendre qu’on allait doubler la rémunération globale de la haute direction, portant la sienne à trois millions de livres (5,6 millions $ CA). Ce qui, évidemment, a choqué les membres qui ont rappelé qu’à Mondragon (une référence mondiale en coopération), on respecte encore le ratio de neuf pour un entre le plus haut et le plus bas salarié, et qu’on réussit quand même à attirer de bons gestionnaires.

En avril, lord Myners a remis son rapport sur la réforme de la gouvernance. Des changements draconiens y sont proposés, notamment la mise sur pied d’un autre conseil d’administration plus restreint, composé d’une dizaine de gestionnaires et de professionnels. Certains élus en poste, a-t-il précisé, ne sont pas qualifiés pour administrer une entreprise aussi grande et aussi complexe.

Le rapport a fait grand remous. On a accusé lord Myners de bafouer la nature coopérative du groupe. Et on a aussi écorché au passage toute l’équipe de dirigeants : on a mis en doute l’équité dans la coopérative (comment justifier qu’un gestionnaire gagne des millions annuellement?), les intentions cachées des gestionnaires (tentent-ils d’orienter le groupe vers une démutualisation?) ainsi que les mauvais choix de recrutement (pourquoi aller chercher des gens qui n’ont pas la culture coopérative?).

En mai, devant le tollé de protestations, lord Myners a démissionné de son siège. Réunis en assemblée générale, les membres ont adopté à l’unanimité une réforme prescrivant un plus grand contrôle des membres sur leur entreprise, des exigences de compétences plus élevées pour les élus du conseil d’administration et l’ajout au règlement de régie interne d’un article interdisant la démutualisation du groupe. Le diable est dans les détails, cependant. Il faudra voir comment ces grands principes seront interprétés.

Aux dernières nouvelles, le Co-op Group ne détenait plus que 30 % de sa branche bancaire (The Co-op Bank) et il s’était départi complètement de ses activités en pharmacie (The Co-op Pharmacy) et en agriculture (The Co-op Farms). Les temps sont durs, vraiment. Que cette triste histoire fasse leçon. Gouvernance et proximité, voilà deux enjeux éminemment névralgiques pour les coopératives. 

Colette Lebel

QUI EST COLETTE LEBEL
Colette a occupé le poste de directrice des Affaires coopératives chez Sollio Groupe Coopératif. Elle collabore au Coopérateur depuis plus de 20 ans.

colette.lebel@lacoop.coop

colettelebel@sollio.coop

QUI EST COLETTE LEBEL
Colette a occupé le poste de directrice des Affaires coopératives chez Sollio Groupe Coopératif. Elle collabore au Coopérateur depuis plus de 20 ans.

colette.lebel@lacoop.coop