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Simon Beaulieu et Josée Malenfant à la pêche à l’anguille

Photo : Simon Beaulieu pêche l’anguille à Rivière-Ouelle, comme son père et ses deux grands-pères l’ont fait avant lui.

À la vue des dizaines d’anguilles capturées dans les filets, Simon Beaulieu, pêcheur et producteur de lait à Rivière-Ouelle, hurle de joie. Les prises du jour seront bonnes, très bonnes.

Durant les mois de septembre, octobre et novembre, lorsque la pêche bat son plein, la fébrilité est à son comble. Le père et les grands-pères de Simon pratiquaient aussi cette activité, que le ministère de la Culture songe à faire reconnaître comme patrimoine immatériel. C’est d’eux qu’il a tout appris. « Ç’a toujours fait partie de notre vie », dit-il.

Simon n’est pas seul dans cette aventure fluviale et maritime. Il la partage depuis une décennie avec sa conjointe, Josée Malenfant. Une véritable communion. Chaque fois, c’est un plaisir renouvelé. 

Ce poisson tout en longueur – car l’anguille est bien un poisson, et non un « serpent » – passe sa vie entre la mer et l’eau douce. C’est dans la première qu’il se reproduit et meurt, et dans la deuxième que sa descendance s’ébat la majeure partie de son existence.

La migration de l’anguille des eaux douces vers la mer des Sargasses (son seul et unique lieu de reproduction), située au sud-ouest des Bermudes, la fait passer par le grand fleuve, un périple de quelque 4 000 km. C’est alors qu’on prélève les spécimens au passage : ils sont happés dans des fascines, ingénieux systèmes faits de branches d’aulne ou de bouleau et de filets, disposés dans l’eau le long de la côte, selon une technique amérindienne.

Sur les huit pêcheurs du Kamouraska, quatre sont aussi producteurs agricoles, établis à Rivière-Ouelle. Ensemble, ils possèdent les seuls permis donnant accès à cette ressource.

Ils étaient plus de 60 pêcheurs d’anguilles dans les années 1960-1970, répartis de Québec à Rimouski, rappelle Josée. On en pêchait alors 300 à 400 tonnes par saison. Les prises de 2018 se sont élevées à 22 tonnes, soit près d’un millier d’anguilles de deux kilos par pêcheur. 

Le manque de relève, l’abandon pur et simple de même que la diminution des stocks ont fait chuter le nombre de pêcheurs et les prises. Surpêche, barrages et autres obstacles le long du périple de l’anguille contribuent au déclin des populations.

« À l’époque de la construction des barrages, on se préoccupait bien peu de l’impact que ces infrastructures avaient sur la biodiversité des lacs, fleuves et rivières, note Simon, administrateur chez Avantis Coopérative. Les anguilles passaient sous le radar. Les temps ont changé. »
Hydro-Québec, Ontario Power Generation, l’Association des pêcheurs d’anguilles et de poissons d’eau douce du Québec ainsi que le ministère des Ressources naturelles et de la Faune du Québec ont pris conscience du problème et déployé des mesures pour y remédier. Ensemencement massif de civelles (jeunes anguilles) en eau douce, études, collaboration avec les pêcheurs.

La mer des Sargasses, vaste comme deux fois le Québec et en partie jonchée d’algues, permet à l’anguille de s’adonner à ses activités reproductrices dans le plus grand secret. Jamais encore on ne l’a vue s’accoupler ou pondre ses œufs. On a bien tenté de la suivre avec des émetteurs, mais le contact se perd dans les profondeurs des eaux. On connaît son périple, mais non pas ses habitudes de reproduction. Cette étape cruciale est d’autant plus un mystère qu’elle ne se reproduit pas en captivité.

Les civelles se dirigent vers les lacs, fleuves et rivières où elles passeront toute leur vie. Cette expédition n’est pas sans peine. Barrages et turbines mettront, là aussi, un terme au périple migratoire de nombre d’entre elles. Les civelles qui arriveront à destination y demeureront jusqu’à 25 ans. Elles accumuleront les ressources nécessaires, dont 15 à 25 % de graisse. Elles cesseront alors de se nourrir et amorceront leur pèlerinage vers la mer des Sargasses, pour boucler la boucle et s’y reproduire avant de mourir. Sacrifice et destin.

Les prises des huit pêcheurs d’anguilles du Bas-Saint-Laurent ne représentent que 7 à 8 % de cette ressource hauturière, indique Josée.
L’anguille fascine et est un mystère pour bien des gens. Le couple multiplie les présentations auprès du public pour faire connaître ce poisson (Anguilla rostrata), qui, précisons-le, ne donne pas de décharges électriques! On le confond à ce titre avec un autre poisson du nord de l’Amérique du Sud ressemblant à l’anguille, mais ne faisant pas partie de l’ordre des Anguilliformes.

Faire connaître l’anguille auprès des consommateurs est aussi une tâche que Josée et Simon se sont donnée. Grâce à leurs efforts et au bouche-à-oreille, l’anguille, que l’on considérait naguère comme le poisson des pauvres, fait de nombreux adeptes. Des épiceries gardent des anguilles dans leurs viviers. Des boucheries et poissonneries en tiennent sur leurs étals. Des restaurateurs offrent ce poisson sur leur menu. Des consommateurs s’approvisionnent directement à la ferme, auprès des pêcheurs. Le chef du restaurant montréalais Manitoba, Simon Mathys, a même assisté avec toute sa brigade à une pêche chez Simon et Josée, afin d’en parler en toute connaissance à sa clientèle, avide d’une cuisine du terroir originale.

Il faut dire que l’organisme Les trésors du fleuve – fondé en 2010 par Simon, Josée et un ami pêcheur, Rémi Hudon – y est pour beaucoup.

En collaboration avec le Centre de développement bioalimentaire du Québec, à La Pocatière, on a élaboré des produits fins – « merrine » (terrine de la mer), saucisse, anguille fumée, filet d’anguille –, avec des analyses nutritionnelles à la clé. L’anguille, source de vitamine D, d’oméga-3 et d’omega-6, plaît de plus en plus.

La ressource n’est pas en danger, assurent les pêcheurs Simon et Josée, qui exploitent aussi une ferme laitière d’une quarantaine de vaches, la Ferme L’Ansillon. Mais on doit lui prêter attention. Les études et projets d’ensemencement portent leurs fruits.

On ne peut faire de projections de mise en marché, précisent-ils. C’est la nature qui décide : marées, environnement, climat, vents. Une foule de paramètres influencent le cycle de vie de l’anguille et les prises. On prend ce que la nature offre, sans lui nuire.

Patrick Dupuis

QUI EST PATRICK DUPUIS
Patrick est rédacteur en chef adjoint au magazine Coopérateur. Agronome diplômé de l’Université McGill, il possède également une formation en publicité et en développement durable. Il travaille au Coopérateur depuis plus de vingt ans.

patrick.dupuis@lacoop.coop

patrick.dupuis@sollio.coop

QUI EST PATRICK DUPUIS
Patrick est rédacteur en chef adjoint au magazine Coopérateur. Agronome diplômé de l’Université McGill, il possède également une formation en publicité et en développement durable. Il travaille au Coopérateur depuis plus de vingt ans.

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